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Jérémie. Blanchelande voulait que la liberté fût rendue à ces malheureux; il n'osa cependant, contre la résistance qu'il rencontrait, prendre sur lui de la leur donner: seulement il les fit transporter au Cap.

Au Port-de-Paix, les hommes de couleur n'avaient pas été plus heureux dans leurs tentatives qu'à Jérémie; seulement le sang humain n'avait point coulé dans cette ville; enveloppés par des forces supérieures, ils avaient été embarqués et conduits au Cap, où ils arrivèrent à peu près en mêmetemps que leurs frères de la Grande-Anse.

Enquittant Jérémie, Blanchelande se rendit aux Cayes, suivi du général Rigaud. Il fut reçu dans cette place avec de grands honneurs. Des noirs soulevés dans les mornes de la Hotte, faisaient craindre pour la sûreté de cette ville; on demandait que le gouverneur marchât contre eux avec toutes les forces qu'il pourrait réunir; c'était surtout sur les hommes de couleur qu'il aurait pu compter, mais la coopération de ceux-ci était incertaine, et leur zèle douteux, tant que l'exécution de la loi du 4 avril ne leur serait pas garantie, et c'était surtout aux Cayes que l'exécution de cette loi semblait devoir rencontrer plus d'obstacles de la part des colons, et principalement des petits blancs.

Le gouverneur pensant qu'une attaque à force armée ne pourrait réussir, voulut négocier ; mais l'assemblée provinciale, toujours soupçonneuse,

fit peser sur lui les plus graves accusations; elle le força, par ces accusations injustes, à ne plus suivre son projet de pacification; enfin, il fut sommé de dissiper, par la force des armes, le rassemblement des noirs réunis aux Platons, défilé principal des mornes de la Hotte, au nord-ouest des Cayes.

Il se mit à la tête du peu de troupes qu'il put réunir, et qui se composaient de quelques détachements de la marine de l'État, aux ordres de MM. de Sercey et d'Esmangard, de trente-trois propriétaires des Cayes, et d'un détachement d'artillerie nationale, sous les ordres de Saint-Cyr. Le général Rigaud et quelques soldats étaient à l'avant-garde. Trois colonnes de cinq cents hommes chacune devaient suivre ce mouvement; les planteurs du Port-Salut, du Camp-de-l'Abbaye et des Anglais devaient coopérer au succès, en chassant les ennemis du bras droit des Trois Rivières. Un coup de canon tiré le 6 août à la pointe du jour, devait donner le signal de l'attaque; mais la colonne de gauche fut la seule qui se présenta au rendez-vous; elle attendait le coup de canon, lorsque les noirs fondirent sur elle, la mirent en déroute, et la détruisirent presque entièrement. La deuxième colonne, qui n'arriva que le lendemain sur le terrain, fut repoussée avec une perte de plus de cent hommes; son lieutenant-colonel Doyle fut laissé parmi les morts. La troisième colonne fut

battue à son tour, et les vainqueurs s'établirent sur le champ de bataille, aux cris perfides ou sincères de Vive le Roi! vive Blanchelande! C'en fut assez pour que les reproches les plus amers, et peutêtre les plus injustes fussent adressés au gouverneur: on ne tint nul compte de la bravoure personnelle qu'il avait montrée dans le combat; et il ne s'éleva qu'une voix contre cet administrateur.

Blanchelande retourna au Cap; la révolte régnait encore dans la province du Nord, vers la frontière espagnole, où elle était encouragée par les menées de l'ennemi, et par l'assistance occulte qu'il prêtait aux rebelles : car plus d'une fois il leur livra les blancs qui venaient lui demander un asile.

Aussitôt que Saint-Léger et Mirbeck étaient arrivés en France, leur rapport avait éclairé l'Assemblée nationale sur le véritable état de la colonie. Ils avaient surtout fait comprendre quelle était l'importance financière et commerciale pour la métropole, des établissements français de Saint-Domingue, et le décret du 4 avril avait été la conséquence des délibérations qui furent agitées à ce sujet

Des secours avaient été promis en même temps que ce décret était parvenu dans l'île. Le 19 septembre, le général Desparbès, ayant sous ses ordres les maréchaux-de-camp d'Hinisdal, pour le Nord; de Lasalle, pour l'Ouest; et de Montesquiou Fezensac, pour le Sud, débarqua dans la colonie avec six

mille hommes de troupes de ligne et de volontaires républicains. Les commissaires annoncés par le même décret arrivaient en même-temps que ces troupes. L'Assemblée nationale avait fait choix pour cette mission de Santhonax, de Polverel et d'Ailhaud, dont les événements qui vont se dérouler développeront le caractère. Ils étaient munis de pouvoirs sans bornes; et leur première déclaration devant l'assemblée coloniale fut qu'ils ne reconnaîtraient à Saint-Domingue que deux classes distinctes et séparées : les hommes libres, sans distinction de couleur, et les esclaves.

Cette déclaration, qui annonçait une marche décidée; l'arrivée des troupes d'Europe, et l'union qui semblait renaître parmi les propriétaires de toute couleur, pouvaient sauver la colonie; mais les commissaires, au lieu d'agir avec vigueur contre les insurgés, perdirent un temps précieux en vaines délibérations. Ils s'occupèrent à écouter les plaintes réciproques des partis; à prononcer la déportation du gouverneur Blanchelande, et la dissolution de l'assemblée coloniale, en même temps qu'ils rendaient un arrêté où les violences et les fausses mesures de ce corps étaient excusées.

Ce fut alors que la nouvelle des événements du 10 août parvint à Saint- Domingue : les partisans de l'ancien régime voulurent en profiter pour opérer dans l'île une contre-révolution ; mais les meneurs de ce mouvement hésitèrent, et les troupes qui pa

raissaient disposées à le favoriser, attendirent vainement au Cap, dans le Champ-de-Mars, les ordres qui devaient diriger leur zèle. Les commissaires, qui avaient reconnu le danger, profitèrent d'un convoi de dix-huit cents hommes, que le gouverneur de la Martinique, où la contre-révolution venait de prendre le dessus, n'avait pas voulu recevoir. Ils marchèrent contre les soldats assemblés du Champ-de-Mars; mais ils n'eurent pas même la peine de combattre, les officiers du régiment du Cap ayant refusé de répandre le sang français. Ces braves gens s'embarquèrent avec le gouverneur Desparbès: non sans que cet événement, qui paraissait n'avoir pas de suite, n'eût violemment soulevé de nouveau toutes les passions.

Cependant les commissaires s'étaient enfin décidés à faire marcher des troupes contre les noirs révoltés; ils avaient nommé le général Rochambeau gouverneur, et le firent marcher sur Ouanaminthe. Mais les rebelles s'étant retirés dans les montagnes à son approche, il rentra au Cap sans les y poursuivre, et cette expédition n'eut d'autre résultat que d'accroître l'audace de l'ennemi, en mêmetemps qu'elle diminua l'élan des troupes qu'on lui opposait. Ce fut alors que les agens de l'Assemblée nationale se séparèrent pour aller administrer chacun un département de la colonie. Avant leur départ, ils avaient dressé une liste de proscription, où un grand nombre de gens recommandables, ac

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