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périra; ce sera par les contrariétés que nous éprouvons de la part des propriétaires. Les désastres du Cap ont déjà donné une grande secousse; encore un pas en sens contraire à la direction que nous donnons, et tout est bouleversé. Nous ne serons plus les maîtres d'arrêter le torrent ; le sol ne périra pas, les productions renaîtront, mais les propriétaires ne seront plus les maîtres.

« Si l'on cède aux Espagnols, aux brigands, ou si l'on s'amollit devant eux; disons mieux, si nous ne faisons pas la conquête de la partie espagnole, les Espagnols et les brigands envahissent, brûlent, pillent et dévastent tout.

« Si vous contrariez les mesures que nous prendrons graduellement pour préparer, sans nuire à la culture, un affranchissement qui désormais est inévitable, un affranchissement se fera tout à la fois par insurrection et par conquête; dès lors plus de culture, plus de propriété; que deviendra même la sûreté personnelle de tout homme libre, quel qu'il soit, quelle qu'en soit la couleur ? il ne restera plus à Saint-Domingue que le pur sang africain, et le sol ne sera plus qu'un monceau de cendres et de ruines.

Vous avez parmi vous des philantropes imprudents, qui voudraient l'affranchissement subit et universel; ceux-là n'ont pas calculé ce que produirait cette révolution avec des hommes qui ne sentent pas encore la nécessité du travail, parce qu'ils

pas éternelle

vos frères

que

n'ont encore que des jouissances bornées, et qu'ils ont par conséquent peu de besoins. Vous avez parmi vous des aristocrates de la peau, comme il y en a parmi les blancs; aristocrates plus inconséquents, plus ingrats que les blancs. Ceux-ci n'humilient que leurs enfants, et ne les tiennent ment dans les fers; et vous, c'est de vous vous déclarez les ennemis, ce sont vos mères que vous voulez retenir éternellement dans l'esclavage. Vous voulez être au niveau des anciens libres, et vous voulez conserver à jamais les monuments de votre origine servile! Ayez donc enfin un républicanisme pur: : osez vous élever à la hauteur des droits de l'homme; songez que le principe de l'égalité n'est pas le seul, que celui de la liberté marche avant lui. C'est bien assez, c'est beaucoup trop que les intérêts mal entendus de la culture coloniale nous aient forcés jusqu'à présent de composer avec les premières lois de la nature, que la crainte des excès que pourrait commettre une peuplade encore brute, nous force d'attendre que la civilisation soit commencée, avant de la déclarer libre ; ne lui laissez pas du moins le temps de sentir sa force et de déclarer son indépendance; car alors tous les maîtres sont perdus !... »

Cette lettre, où les commissaires avaient exhalé tous leurs chagrins, annonce assez qu'il connaissaient la source de tout le mal. Ils organisèrent néanmoins les bandes de Pierrot, et Polverel mar

cha sur l'Ouest à la tête d'un corps d'hommes de couleur, pour balayer la route et attaquer les frontières espagnoles; mais, malgré quelques succès partiels, cette tentative resta infructueuse.

Santhonax était demeuré au Cap, avec 1,800 soldats à peine, contre trente mille noirs qui l'entouraient. Dans ce pressant danger, le commissaire civil crut beaucoup faire pour le salut des blancs demeurés autour de lui, en prononçant, le 29 août, l'affranchissement général des esclaves. Polverel se trouvait dans l'Ouest au moment où cette déclaration fut promulguée; il put sentir quel coup elle portait aux esprits des propriétaires, et il prévit la faible impression qu'elle produirait sur les noirs, trop exaltés pour en être touchés, et qui croyaient tenir dans leurs mains bien plus qu'on ne leur offrait : cependant il se garda de la désaprouver publiquement. L'ordonnateur Delpech, qui venait d'être appelé à remplacer Ailhaud au sein de la commission civile, fut moins prudent dans le Sud; il discuta hautement les droits de ses collègues à faire la déclaration qui venait d'émaner d'eux, et augmenta ainsi la confusion qu'elle produisait déjà, même parmi les hommes de couleur, propriétaires d'esclaves aussi-bien que les blancs.

Pour remédier à ce désordre, les commissaires prirent la résolution de se rendre tous trois dans l'Ouest, pour arrêter un plan uniforme; mais le commissaire Delpech tomba malade et mourut dans

l'entrefaite. Ses collègues firent ouvrir alors dans les deux provinces de l'Ouest et du Sud, des registres sur lesquels les habitants donnèrent par écrit, et sans opposition, la liberté à leurs esclaves: étrange contradiction dans les mêmes hommes qui, naguère encore, refusaient le moindre contact avec les anciens libres.

Les nègres de ces deux parties se tinrent satisfaits de ces actes publics, qui reconnaissaient solennellement leur indépendance: ils retournèrent dans les habitations qu'ils avaient désertées, et reprirent leurs travaux. Quelques-unes de ces habitations se trouvaient sans propriétaire et sans commandeur; ils en cultivèrent les terres en commun, pour s'en partager les fruits..

Ces mesures auxquelles la nécessité avait fait pour les blancs une loi de souscrire, avaient achevé de ruiner leur attachement déjà ébranlé pour la mèrepatrie; les meneurs royalistes en profitèrent pour rappeler d'anciennes propositions faites au gouvernement anglais, et que l'état de paix où se trouvait cette puissance vis-à-vis la république française, avait fait repousser. Heureusement pour ces meneurs, la guerre avait éclaté de nouveau au mois de février, entre ces deux états; et peu de jours après, le cabinet de Saint-James avait accédé aux propositions anciennes des colons, quand ceuxci avaient presque oublié qu'ils les eussent faites. Adam Villamson gouverneur de la Jamaïque, avait

reçu tous pouvoirs à cet égard : ce fut vers le milieu du mois d'oût 1793, qu'il en fit donner avis dans l'Ouest et dans le Sud de Saint-Domingue. L'occasion était heureuse, elle fut avidement saisie; les planteurs de la Grande-Anse, dont la coalition a déjà figuré dans cette histoire, députèrent aussitôt à Saint-Yago de la Vega, Venant de Charmilly, l'un d'entre eux, avec le traité suivant, qui fut adopté presque sans difficulté.

Propositions des habitants de la Grande-Anse.

« ART. Ier Les habitants de Saint-Domingue ne pouvant recourir à leur légitime souverain pour les délivrer de la tyrannie qui les opprime, invoquent la protection de sa majesté britannique, lui prêtent serment de fidélité, la supplient de lui conserver la colonie, et de les traiter comme de bons et fidèles sujets jusqu'à la paix générale, époque à laquelle sa majesté britannique, le gouvernement français et les puissances alliées, décideront définitivement entre elles de la colonie de Saint - Domingue

2. Jusqu'à ce que l'ordre et la tranquillité soient rétablis dans la colonie, le représentant de sa majesté britannique aura tout pouvoir de régler et d'ordonner toutes les mesures de sûreté et de police qu'il jugera convenables.

« 3. Personne ne pourra être recherché pour raison des troubles antérieurs, excepté ceux qui

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