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mandat politique, trouva l'occasion trop favorable pour la laisser échapper. Il écrivit au général Toussaint, pour lui conseiller de retenir Maitland prisonnier. Celui-ci n'était encore à moitié de sa route, quand il reçut d'une personne qui lui était dévouée, un avis pressant qui l'engageait à retourner sur ses pas, et qui l'instruisait de la lettre écrite par le Commissaire à Louverture. L'Anglais hésita quelques instants; mais une noble confiance, et peutêtre le besoin de revoir le général noir, qu'il ne désespérait pas encore d'acquérir à l'Angleterre, l'emportèrent sur les avis de la prudence; il poussa en avant et arriva au camp français peu de temps après la lettre de Roume. Louverture la tenait à la main, quand lord Maitland fut introduit dans sa tente il la présenta au général ennemi; et quand celui-ci, incertain des résolutions ultérieures du chef noir, en eut prit lecture, Toussaint lui en remit une autre : c'était sa réponse au Commissaire, dont il repoussait les conseils comme une lâcheté indigne du caractère de l'homme auquel ils s'adressaient et de la mission de celui qui les avait donnés.

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Maitland et les siens abandonnèrent le môle Saint-Nicolas avec la honte et sans le fruit de la fausse démarche qui leur avait fait briser leurs premières conventions pour en entamer de nouvelles.

Cependant Toussaint, dont ces dernières circonstances venaient d'accroître encore l'autorité, pro

clamait de son chef des amnisties générales. Tandis qu'en France les temples étaient fermés et le culte catholique proscrit pour les réveries théophilanthropiques de Lareveillère-Lepeaux; le chef militaire de Saint-Domingue rassemblait le peuple dans les églises, ordonnait de chanter le Te Deum, et après que cet hymne avait été chanté, il montait en chaire, proclamant les succès de la république triomphant de ses ennemis en Europe et à SaintDomingue, et prononçait en son nom le pardon de tous ceux qui avaient secouru les Anglais; tandis que, de son côté, Hédouville proscrivait les mêmes hommes; il ajoutait qu'ils n'avaient qu'un moyen de faire oublier leurs torts, celui de se retirer sur leurs habitations, pour y vivre désormais en paix et y faire prospérer la culture.

Alors les noirs battaient la campagne pour faire rentrer ceux des propriétaires qui ne se présentaient pas au jour fixé. La discipline de ces hommes était admirable, dit M. Pamphile de La Croix, et ce n'était pas là le moindre des triomphes de Toussaint - Louverture. La modération qu'il apportait dans tous ces actes lui soumit l'orgueil de tous les créoles; les hommes qui, la veille, le traitaient de brigand, le saluaient le lendemain ; car ils espéraient par son crédit se remettre en possession de l'obéissance des noirs, qui n'obéissaient plus qu'à lui seul.

Le général Hédouville, dont l'autorité était par

tout méconnue, se plaignit par lettre à Toussaint Louverture; celui-ci lui répondit par des proclamations adressées aux troupes, et qui portaient le caractère d'une haute onction religieuse et d'une grande tolérance politique. C'était placer Hédouville dans une position fausse: car avec la population superstitieuse qui était maîtresse des événements, il eût été dangereux d'improuver les pieux sentiments affichés par Toussaint, et il y aurait eu encore plus de péril à revenir sur les amnisties qu'il proclamait.

Toutes ces mesures doublèrent le crédit du chef des noirs auprès des émigrés de toutes les classes, et de ceux des créoles qui avaient suivi le parti des Anglais, et que l'agent du Directoire voulait impitoyablement proscrire; et l'ascendant de Toussaint sur les siens était tel, que dans tout ce qu'il accordait aux blancs, même à leur préjudice, ils ne voyaient rien que de juste. Ainsi des partis si long-temps divisés semblaient se rapprocher; et le général français, lui seul, les voyait tous s'éloigner de lui. Enfin il résolut d'appeler au Cap Toussaint Louverture et le général Rigaud, sous un spécieux prétexte; mais ce noir, sans se rendre à son invitation et pour éviter les conséquences de son refus, envoya des émissaires secrets soulever les quartiers qui lui étaient le plus dévoués, afin de contraindre le général Hédouville à s'embarquer pour la France.

Cependant le général Rigaud venait de passer au Port-au-Prince, se rendant au Cap. M. de La Croix rapporte, d'après les plus respectables autorités, les différentes sensations qui agitèrent Toussaint en cette occasion, lors qu'on lui fit craindre la réunion de Rigaud à l'agent du Directoire. « Laissez, « leur dit-il, laissez aller M. Rigaud prendre les «< ordres du Directoire; soyez tranquilles, retirez<< vous.... » Quelques personnes seulement restèrent avec lui, et il continua... d'une voix sombre et creuse: «<.... Je pourrais bien le faire arrêter.... << mais Dieu m'en garde ! j'ai besoin de M. Rigaud....... Il est violent..., il me convient pour faire la «<< guerre... et cette guerre m'est nécessaire. La << caste des mulâtres est supérieure à la mienne. Si je lui enlevais M. Rigaud, elle trouverait peut<< être un chef meilleur que lui... Je connais M. Rigaud, il abandonne son cheval quand il galope, « il montre son bras quand il frappe... Moi je galope aussi, mais je sais m'arrêter sur place; et,

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quand je frappe, on me sent, mais on ne me voit "pas. M. Rigaud ne sait faire des insurrections que << par du sang et des massacres: moi je sais aussi << mettre le peuple en mouvement. Il gémit, M. Rigaud, de voir en fureur le peuple qu'il excite; « moi je ne souffre pas la fureur: quand je parais « il faut que tout se tranquillise.

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Cependant par les menées de Toussaint et du colonel Moyse, son neveu et son émissaire, la garni

son noire du fort Dauphin se soulevait. Toussaint parut en personne au foyer de l'insurrection, harangua les troupes et les conduisit sur le Cap. Il ar riva de nuit au fort Belair; le canon d'alarme se fit entendre: d'un autre côté, dans la ville, on battait la générale, et les troupes allaient prendre leurs postes. On s'attendait à combattre, mais le général Hédouville, pour éviter une effusion de sang inutile, s'embarqua, emmenant les bâtiments qui étaient en rade, et, suivi de 15 à 1,800 personnes de toute couleur. Du vaisseau qu'il montait, il publia une proclamation par laquelle il prévenait les habitants des projets de Toussaint-Louverture, accusant ce chef d'avoir concerté avec le cabinet de Saint-James, et le gouvernement fédéral, un projet de révolution depuis long-temps médité.

Hédouville n'avait pas encore mis à la voile, quand Toussaint-Louverture prit possession du Cap; son premier soin fut d'envoyer au Directoire de la république, un rapport justificatif que nous citons dans quelques-unes de ses parties, comme un curieux document.

TOUSSAINT-LOUVERTURE, général en chef de l'armée de Saint-Domingue, au Directoire de la république.

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Citoyens directeurs, lorsque, par mes dernières dépêches, je me déterminai à solliciter ma retraite, à vous la demander par l'organe du ministre de la

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