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tée assez à temps pour que le général Pamphile Lacroix et l'amiral Latouche-Tréville lui préparassent une résistance qu'il désespéra de vaincre. Il se retira sur le Mirebulais, après avoir livré au feu ou à l'épée tout ce qui se rencontra sur sa

route.

Cependant la guerre n'était point éteinte dans le Nord: les troupes du capitaine-général avaient été forcées de se replier dans les positions du Cap et du Fort-Dauphin, et les mornes du Cahos vomissaient chaque jour des ennemis tout frais, et nouvellement armés.

Ces mornes sont une longue chaîne de montagnes qui suit la rive droite de l'Artibonite, et dont les versants répondent à la fois dans la partie espagnole et dans les provinces de l'Ouest et du Nord de la partie française. Quelques ouvrages élevés par les Anglais, au temps de leur occupation, sur une hauteur appelée la Crête-à-Pierrot, en défendaient l'entrée principale. C'est là que, dans les premiers jours du débarquement de l'armée française, et, dit-on, le jour même de l'entrevue de Toussaint avec ses enfants, ce chef cacha ses trésors, estimés, selon quelques-uns, à deux cents millions de francs. Ils furent enfouis dans la terre par des noirs dévoués à sa personne; mais, s'il en faut croire des versions assez vraisemblables, ces noirs auraient été, en revenant de l'expédition, fusillés par des soldats apostés, qui eux-mêmes subirent le même

sort à quelque distance; et il en dut être ainsi des derniers meurtriers, jusqu'à ce que le chef se fût assuré que la trace de sa cachette était entièrement perdue.

Des amas considérables d'armes et de munitions étaient aussi réunis dans les mornes du Cahos. Une attaque de presque toutes les forces de l'armée française fut dirigée sur la Crète-à-Pierrot. Mille soldats au plus étaient enfermés dans cette redoute; mais avant qu'ils l'eussent abandonnée, le 25 mars 1802, elle avait coûté près de deux mille hommes aux assiégeants.

Dans le même temps, une escadre partie du Havre, et forte de quinze cents hommes, une division hollandaise, qui avait quitté Flessingue avec seize cents soldats, sous les ordres du contre-amiral Hartzinch, et une escadre de Brest, chargée de 1400 hommes, venaient de renforcer l'armée assaillante dans le Nord. Christophe commença alors à désespérer du succès de sa résistance; il se rendit au capitaine-général. Dessalines, pour qui il avait stipulé en même temps que pour lui, ne tarda pas à suivre son exemple. Les conditions du traité conclu avec eux leur assuraient la conservation de leurs grades et proclamaient une amnistie générale pour toutes les troupes qu'ils avaient commandées.

La soumission de Toussaient-Louverture se fit plus long-temps attendre. Elle eut lieu cependant le 1er mai 1802, à la suite d'un entrevue du chef

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noir avec le général Leclerc, dans la ville du Cap, où il s'était rendu à la tête de quatre cents guides, qui, dit un témoin oculaire, restèrent le sabre nu et en bataille, dans la cour du gouvernement, tout le temps que dura l'entretien.

Les Français avaient triomphé le but de la guerre, la soumission des noirs, était atteint; mais ce triomphe ressemblait à une défaite, quand Toussaint ou Dessalines passaient avec les chefs blancs dans les lieux publics du Cap, et que tous les honneurs, toutes les démonstrations d'admiration et de respect s'adressoient aux vaincus.

Dessalines et le général en chef eurent la liberté de se retirer chacun sur une de ses habitations. L'habitation Sancey, à laquelle Toussaint avait donné son nom de Louverture, fut choisie par ce chef pour le lieu de sa retraite. Il y demeurait quand la fièvre jaune se déclara au Cap pour achever la destruction de l'armée des vainqueurs. Les noirs, même en se soumettant, avaient compté sur ce terrible allié, et ils n'appelaient la paix qu'une suspension d'armes qui durerait jusqu'au mois d'août. Mais, la fièvre jaune n'attendit pas les grandes chaleurs pour répandre la mort autour d'elle. Elle rompit la trève plus tôt qu'on ne l'avait espéré. L'ambition de Toussaint voulut s'associer à ses succès: on l'en accusa du moins. On produisit deux lettres interceptées, écrites par lui à son aide-de-camp demeuré au Cap, et qui, si elles

sont authentiques, ne laisseraient pas douter un instant de ses projets. La santé du capitaine Leclerc, attaqué, à la Tortue, de la maladie générale, était surtout l'objet de son souci. Quoi qu'il en soit, on résolut de s'emparer de sa personne, et M. Pamphile de la Croix raconte que Dessalines, Christophe, et un grand nombre des principaux noirs, soit jalousie, soit qu'ils fussent fatigués de la guerre, et qu'ils en craignissent le retour, avaient déjà vivement sollicité auprès du général français la déportation de leur ancien chef. Par les ordres de Leclerc, le général Brunet fit demander à Toussaint une entrevue. Ils devaient se rendre l'un et l'autre au lieu convenu avec un nombre égal de satellites; mais les vingt compagnons de Toussaint étaient sans méfiance, et ceux du Français préparés au coup de main qu'on méditait. Quand les deux généraux se furent enfermés pour travailler, il ne fut pas difficile d'arrêter les noirs, qui venaient de quitter leurs armes, et, dans le même moment, le chef d'escadron Ferrari, aide-de-camp de Leclerc, se présenta devant Toussaint-Louverture, pour lui demander son épée. La résistance était inutile:Toussaint ne montra pas même de colère. On le conduisit aux Gonaïves, et le jour même on l'embarqua sur le vaisseau de guerre le Héros, dont le commandan 1. Savari a rapporté les paroles suivantes, qui lui furent adressées par son captif quand il le reçut à son bord: « En me renversant,

on n'a

abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté des noirs; il repoussera par les racines, parce qu'elles sont profondes et nombreuses.»

La famille de Toussaint fut embarquée avec lui; mais il n'obtint qu'après son arrivée à Brest de voir et d'embrasser un moment ces êtres chéris. Après cette courte entrevue, qui eut lieu sur le tillac du Héros, on conduisit Toussaint-Louverture, dans une voiture réservée aux criminels, et sous bonne escorte,au Château-de-Joux,en FrancheComté. Après deux mois de captivité à Brest, sa femme et ses enfants furent menés à Bayonne, et l'on a toujours ignoré ce qu'ils étaient devenus. A. l'approche de l'hiver, Toussaint fut transféré du Château-de-Joux dans la prison de Besançon, et mis dans un cachot, exposé à toutes les intempéries des saisons. La rigueur du froid avança les jours de cet homme, dont la vie s'était écoulée sous un ciel brûlant, et que d'ailleurs un profond chagrin dévorait. Il mourut au mois d'avril 1803. Plus d'une fois des émissaires du premier consul vinrent auprès de lui pour l'engager à découvrir la cachette de ses trésors: « J'ai perdu bien autre chose que des trésors, répondait-il », et c'était tout ce qu'on pouvait lui arracher.

Ainsi périt misérablement le premier des noirs, dont la vie et la fin offrent tant de points de rapprochement avec une existence plus illustre et des infortunes plus récentes. Les écrivains anglais, qui

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