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ont rendu une pleine justice au grand caractère de Toussaint-Louverture, ont pesé avec amertume sur les circonstances, peu honorables pour notre nation, qui ont accompagné son arrestation et sa mort. Nous ne devons voir dans leurs plaintes à ce sujet, qu'un juste sentiment d'honneur et de loyauté. C'est ce même sentiment qui inspira ceux de nos historiens qui ont raconté l'horrible captivité de Sainte-Hélène.

Toussaint ne fit pas la révolution de SaintDomingue, il la reçut toute faite des mains des moteurs de l'insurrection, qu'il faut faire remonter, non à la première levée des noirs, mais à des mouvements antérieurs dont celui-ci ne fut que l'inévitable conséquence. Des services rendus, dans un temps opportun, au parti qui triompha, élevèrent Toussaint au-dessus même des chefs de ce parti, qu'il écarta de la route quand ils lui eurent permis d'y cheminer avec lui. Enfant d'une caste inférieure, qui devint par lui la première, mais sans laquelle il n'aurait rien été; quand le fait même de son élévation avait tué tous les préjugés de couleur et de rang, il flatta ces préjugés, moins peutêtre par politiqueque par une faiblesse d'esprit à laquelle d'autres que lui, et sur un plus grand théàtre, ne furent pas non plus étrangers. Il tomba par l'abus du système militaire et par les conséquences de la nécessité où il s'était trouvé de placer toute la richesse aux mêmes maius où il plaçait tout le

pouvoir. Le besoin de conserver l'une, le désir du repos nécessaire pour en jouir, lassèrent bientôt de la guerre, des chefs à qui elle faisait tout perdre, et des soldats qui n'avaient rien à défendre. Nous n'osons juger ses dernières actions; mais, si les complots qu'on l'accusa de tramer ne laissaient aucun doute, une condamnation légale devait justifier sa mort. S'ils n'étaient pas vrais, en l'emprisonnant on se rendit deux fois coupable, et par la violation d'un traité, et par l'indigne ruse qui prépara cette violation.

Dans le moment à peu près où la soumission de Toussaint assurait la victoire des Français, mais avant la déportation de ce chef, Rigaud, qui avait quitté la France, vint débarquer au Port-au-Prince où les chefs de l'armée française l'avaient appelé, et fut bientôt suivi de plus de quatre cents des anciens officiers de sa troupe, réfugiés à Cuba depuis la fin de la guerre du Sud, et à qui son retour semblait un signal de rappel. L'enthousiasme de la population de couleur fut porté au comble, quand elle revit ces braves; mais les blancs, témoins de l'accueil qu'on leur fit, craignirent qu'à l'ennemi qu'ils venaient d'enchaîner, il n'en succédât un autre non moins terrible. Rochambeau surtout, imbu de tous les préjugés coloniaux et aristocratiques, et fidèle à sa haine contre la race des mulâtres, auxquels il préféraitles noirs mêmes, conçut de vives alarmes, et les fit facilement partager

au capitaine général. Un ordre ne tarda pas à être porté, et Rigaud fut réembarqué peu de temps après son arrivée, non sans que le mécontentement de tous les hommes de sa caste fit hautement sentir ce que son renvoi avait d'impolitique, après la fausse démarche qui avait amené son rappel.

La déportation de Toussaint, qui eut lieu peu de temps après, causa une impression beaucoup moins vive. Sans compter que les maux et les fatigues sans nombre de la campagne qui venait de cesser avaient dissipé en grande partie le prestige de la gloire militaire de ce chef, les complots qu'on lui imputait, et qui semblaient devoir rallumer le feu de la guerre, avaient frappé la population de l'île de trop d'effroi, pour qu'elle ne vît pas, au moins avec indifférence, éloigner de son sein l'homme dont la présence semblait menacer si cruellement sonrepos.

Débarrassé des craintes que Toussaint même désarmé et soumis lui inspirait encore, Leclerc parut un moment vouloir s'occuper de l'organisation d'un système colonial, approprié aux besoins des lieux et des personnes qu'il devait régir. Un conseil dont les membres étaient choisis parmi les plus riches des propriétaires de toute couleur, fut convoqué à cet effet; mais ce conseil ne s'assembla guère que le jour où on ouvrit ses séances. Des soins plus pressants firent reculer l'exécution des plans qu'on avait conçus, et auxquels ils devint inutile de songer peu de temps après.

On avait voulu tenter un désarmement général des troupes noires, et cette opération n'avait pu se faire sans résistance de la part de quelques-uns des chefs de bandes. Dans l'Ouest surtout, et dans le Sud, il y eut plusieurs mouvements insurrectionnels provoqués, selon toute apparence, par la politique anglaise, attentive à profiter des moindres occasion de jeter partout la discorde. Les excès les plus atroces signalèrent les succès du parti insurgé, que commandaient les nègres Lamour et Lafortune; et, ce qu'on pourra moins comprendre, ces cruautés furent vengées par des représailles encore plus terribles, et qui ne s'exerçaient pas seulement sur les auteurs des crimes qu'on voulait punir. Tout ce qui parut suspect aux Français, vainqueurs à leur tour, fut frappé comme coupable; et des enfants et des femmes furent placés par leur rage au rang de ces suspects.

Tant d'actes d'une infame barbarie révoltèrent jusqu'aux noirs les plus attachés à la France : le général de la septième demi-brigade coloniale Charles Belair, neveu de Toussaint, se déclara enfin pour ses frères, qu'il était las de voir immoler : il rallia à sa cause toute la population de l'Artibonite, et se retira avec ces mécontents dans les mornes du Cahos. Dessalines marcha de SaintMarc contre cette troupe: il fut soupçonné d'avoir eu, en partant, le dessein de se joindre à elle s'il trouvait la position tenable. Il paraît que ce chef

en jugea autrement dès la première entrevue qu'il eut avec le général rebelle, puisqu'il se rendit maître de sa personne par trahison, et qu'il l'envoya au Cap chargé de fers.

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Une commission toute composée de noirs ou d'hommes de couleur, fut appelée à juger Charles Belairet sa femme, prisonnière avec lui: à l'unanimité ils furent condamnés à mort l'un et l'autre ; et, passés ensemble par les armes le jour même, ils moururent sous le feu des soldats de leur caste, dont pas un ne murmura de remplir cet horrible devoir.

Ces victimes ne furent pas les seules: trois cents des noirs de l'Artibonite qui avaient suivi le chef insurgé, furent massacrés par Dessalines, qui vengeait alors les blancs dans le sang noir, comme peu de mois auparavant il vengeait ceux de sa couleur dans le sang européen.

Ce fut bientôt le tour du Nord à sentir le fléau d'une nouvelle insurrection. Le noir Sylla qui, lors de l'embarquement de Toussaint, avait seul tenté d'opérer un soulèvement, reparut de nouveau avec plus de succès. En même temps un second Macaya, et un autre chef plus habile, nommé Sans-Souci, organisaient la révolte sur tous les points; et, plus redoutable encore que ces ennemis, la peste dévorait les soldats de la France à mesure que la mer les apportait dans l'île. Vingt officiers généraux avaient déjà succombé sous les coups de ce fléau terrible;

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