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n'eut jamais. Tandis qu'il reposait en paix dans son habitation, sur la foi de traités solennels, il fut saisi, chargé de fers, entraîné avec toute sa famille, et transporté en France. L'Europe entière sait comment il termina sa carrière infortunée, dans les tortures et les supplices, au donjon du Château-de-Joux.

« Telle fut la récompense réservée à son attachement pour la France, et aux services éminents qu'il avait rendus à la colonic.

« A ce moment, fut donné le signal d'arrêter toutes les personnes suspectes dans l'île. Tous ceux qui avaient fait paraître une ame forte et éclairée, quand nous réclamâmes les droits de l'homme, furent les premiers saisis. Les traîtres même, qui avaient le plus contribué aux succès des armées françaises, en servant de guides à leur avant-garde, et en excitant leurs compatriotes à la vengeance, ne furent pas épargnés. D'abord, on voulut les vendre dans des colonics étrangères, mais comme ce plan ne réussissait pas, on résolut de les transporter en France, où un travail accablant, les galères, les fers, les prisons les attendaient.

<< Alors les colons blancs, dont le nombre s'était progressivement accru, voyant leur pouvoir suffisamment établi, mirent bas le masque de la dissimulation, déclarèrent ouvertement le rétablissement de l'esclavage, et se conduisirent en raison de cette déclaration. Ils eurent l'impudence de réclamer, comme leurs esclaves, des hommes qui s'étaient distingués par d'éclatants services rendus à leur pays, dans l'état civil et dans l'état militaire. De vertueux et d'honorables magistrats; des guerriers couverts de cicatrices, dont le sang avait coulé pour la France et pour la liberté, allaient retomber sous le joug de la servitude. Ces colons, à peine rentrés en possession de leurs terres, et dont le pouvoir pouvait être détruit par la moindre cause, signalaient déjà et choisissaient de loin ceux qui devaient être les premières victimes de leur vengeance.

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L'orgueilleuse et liberticide faction des colous, de ees marchands de chair humaine, qui, depuis le commencement de

la révolution, n'avaient cessé d'empoisonner tous les gouvernements qui s'étaient succédés en France, de leurs plans, de leurs projets, et de leurs Mémoires extravagants et atroces, tous tendant à notre ruine; ces hommes factieux, tourmentés par le souvenir du despotisme qu'ils avaient autrefois exercé à Hayti, en proie à leurs basses et cruelles passions, mirent tout en jeu pour ressaisir la proie qui leur avait échappé. Indépendants sous l'Assemblée constituante, terroristes sous les jacobins, et enfin zélés bonapartistes, ils savent se couvrir du masque de tous les partis, pour en obtenir des places et de la faveur. Ce fut ainsi que par leurs conseils insidieux, ils poussèrent Bonaparte à entreprendre son injuste expédition contre Hayti. Ce fut cette faction qui, après avoir conseillé cette expédition, lui fournit les ressources pécuniaires dont elle manquait, au moyen de souscriptions qui furent ouvertes à cette époque. En un mot, ce fut cette faction qui fit couler par torrents le sang de nos compatriotes; qui inventa les tortures inouies dont nous fûmes tourmentés; c'est à ces colons que la France doit la perte d'une nombreuse armée, qui périt dans les plaines et les marais d'Hayti. C'est à eux qu'elle doit la honte d'une entreprise qui a imprimé une tache indélébile au nom français.

Toutefois la majorité du peuple commença à prendre les armes, pour la conservation de sa vie et de sa liberté. Ce premier mouvement alarma les Français, et parut assez sérieux au général Leclerc pour le porter à convoquer une assemblée extraordinaire de colons, afin d'adopter les mesures les plus convenables à ramener un meilleur état de choses; mais ces colons, loin de se désister de leurs principes atroces, malgré l'imminence du danger, s'écrièrent unanimement : « Point

«

d'esclavage, point de colonie ! »

« Membres de ce conseil, ce fut en vain que nous élevâmes notre voix pour prévenir la ruine totale de notre pays; en vain nous représentâmes l'injustice horrible de replonger dans l'esclavage tant d'hommes libres; en vain (car nous connaissions

l'esprit de liberté qui animait nos compatriotes) nous dénonçâmes cette mesure comme la plus sûre voie de ruiner le pays, et de le détacher à jamais de la France: tout fut inutile. Convaincus qu'il ne restait plus aucun espoir de conciliation, qu'il nous fallait choisir entre l'esclavage et la mort, les armes à la main, nous détrompâmes nos compatriotes dont les regards étaient fixés sur nous, et nous prîmes tous unanimement nos épées, résolus de chasser pour jamais les tyrans de notre sol, ou de mourir.

« Le général Leclerc avait déjà annoncé la réduction de l'île, et il avait reçu, de presque toutes les villes maritimes de France (où étaient les principaux défenseurs de l'esclavage ), des lettres de félicitation sur sa prétendue conquête. Honteux d'avoir donné lieu à des espérances trompeuses, mortifié de ne pouvoir achever sa détestable entreprise, et redoutant l'approche d'une guerre terrible, le désespoir abrégea ses jours, et l'entraîna dans la tombe.

<< Parmi ce long tissu de crimes qui distinguèrent l'administration du général Leclerc, je choisirai la conduite qu'il tint envers le général haytien, Maurepas, et qui exciterait la pitié de la personne la moins sensible. Maurepas, homme de mœurs douces et agréables, estimé de ses concitoyens pour son intégrité, fut un des premiers à se joindre aux Français, et leur avait rendu les services les plus signalés. Cependant cet homme fut tout à coup enlevé du Port-au-Prince, et transféré à bord du vaisseau amiral, alors à l'ancre vers les côtes du Cap; là, après l'avoir attaché au grand mât, ils lui mirent en dérision sur les épaules deux épaulettes, attachées par des clous tels qu'on s'en sert pour attacher les différentes pièces de la charpente d'un navire, et ils lui couvrirent la tête d'un chapeau de général. Dans cette affreuse position, ces cannibales, après avoir donné cours à leur féroce joie, le précipitèrent, lui, sa femme, et ses enfants dans la mer. Tel fut le destin de ce militaire vertueux et infortuné.

LIVRE SIXIÈME.

À la mort de Leclerc, le commandement en chef fut dévolu au général Rochambeau, qui était alors au Port-au-Prince. Il se hâta de se rendre au Cap; mais son arrivée apporta peu de changement dans la situation des affaires. On concevait de grandes espérances de la connaissance qu'il avait de l'île et du caractère des noirs; mais il est douteux qu'il possédât le talent de mettre à profit son expérience et ses connaissances, et surtout que son orgueil de colon ne l'aveuglât pas dans l'usage qu'il aurait pu faire de l'une et des autres; il l'est encore plus, du reste, que tous les talents du monde eussent pu réussir dans la position où il se trouvait; l'armée française était de jour en jour plus affaiblie et plus découragée, tandis que celle des noirs acquérait de nouvelles forces, et voyait s'en augmenter son ardeur et sa confiance.

Plusieurs actions de peu d'importance eurent lieu entre des détachements des deux armées. L'une des plus considérables se passa dans les plaines

du port Saint-Nicolas; et les Français y eurent l'avantage, ce qui arriva rarement durant cette dernière période de la guerre. La bataille continua pendant la nuit ; et, quand les armes ou les moyens de s'en servir leur eurent manqué,les combattants, luttant corps à corps, se précipitèrent les uns les autres dans la mer.

Les attaques réitérées de l'ennemi forcèrent bientôt les Français d'abandonner les avantages qu'ils avaient obtenus. Ils furent plus heureux au Fort-Dauphin, qui, après avoir soutenu pendant quelque temps une vigoureuse attaque par terre et par mer, se rendit au général Clauzel.

A la fin de l'année, on estimait à près de trente mille le nombre des Français qui avaient péri: et, quoiqu'on continuât d'envoyer des troupes du Hâvre et de Cherbourg, chaque renfort devenait d'un moins grand secours que le précédent, parce que les expéditions ne consistaient plus qu'en conscrits non exercés, et tirés des provinces déjà épuisées par les armées de la république.

Le commencement de l'année 1803 ne fut remarquable par aucune opération active. Les Français se tenaient renfermés dans leurs fortifications, attendant, dans un état complet d'épuisement, l'arrivée de nouveaux renforts. Les noirs, dont le nombre augmentait tous les jours, se préparaient à recommencer les hostilités avec une nouvelle vigueur, dans l'espoir d'amener le débat à une

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