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pas la dernière qui fit prendre les armes aux Espagnols sous l'administration de ce gouverneur. En 1506, une rébellion nouvelle éclata dans la province d'Hyguey. Après la première expédition d'Esquibel, le gouvernement avait promis aux insulaires plus qu'il ne voulut leur accorder : ceux-ci se plaignirent d'abord, et des plaintes ils en vinrent à agir; le fort bâti par les Espagnols, sur leur territoire, fut rasé, et la garnison massacrée. Esquibel fut de nouveau envoyé contre eux. La résistance ne fut pas moins opiniâtre qu'elle l'avait été trois ans plus tôt, et enfin, la prise du cacique Cotubanama mit un terme à la guerre. Ce dernier rejeton de la race royale haytienne trouva, comme la reine de Xaragua, la mort sous la main du bourreau, après avoir vu succomber une partie de son peuple sous les coups des tyrans d'Europe. En 1507, il ne restait déjà plus, dans toute l'ile Espagnole, que soixante mille indigènes, c'est-à-dire la seizième partie à peu près de ce qu'on y en avait trouvé quinze ans auparavant.

Il s'en fallait de beaucoup qu'un aussi faible nombre pût suffire aux travaux exigés par la cupidité des concessionnaires. Ovando imagina de proposer au roi de transporter dans la colonie tous les habitants des îles Lucayes, les premières que Colomb eût découvertes. C'était, ajoutait-on, pour appuyer demande, le seul moyen de travailler à la conversion de ces idolâtres, auxquels on ne pouvait sans danger

la

envoyer des missionnaires, d'ailleurs, déjà trop peu nombreux dans la métropole des Antilles.

Le roi, toujours favorablement prévenu pour la gestion du gouverneur, et qui d'ailleurs dut être gagné par le pieux motif qu'on mettait sous ses yeux, donna son consentement, et une flottille fut équipée pour cette première expédition, qui devait être imitée bientôt et surpassée sur des côtes plus lointaines. On rougit pour l'humanité en lisant à quelles fourberies on eut recours pour engager ces pauvres insulaires à quitter leur patrie. On allait, disait-on, les mener dans une région délicieuse habitée par les ames des parents et des amis dont ils pleuraient la mort: c'étaient ces êtres chers eux-mêmes, qui, par la bouche des nouveaux débarqués, les invitaient à venir les joindre dans leur beau séjour.

Quarante mille de ces malheureux se laissèrent séduire à de si touchantes promesses; mais, lorsque arrivés à l'île Espagnole, ils purent voir à quel point on les avait abusés, le chagrin en fit périr un grand nombre; d'autres osèrent tout entreprendre pour se sauver. On raconte qu'un bâtiment espagnol en rencontra une troupe, à cinquante lieues en mer, dans une pirogue, autour de laquelle ils avaient attaché des calebasses pleines d'eau douce! ils allaient débarquer sur la terre natale, lorsqu'ils furent enlevés par le navire, et replongés dans les horreurs de l'esclavage auxquels ils avaient si audacieusement échappé.

Au milieu de tant de désordres le gouverneur et les siens élevaient leur fortune. Le trésorier, Bernardin de Sainte-Claire, étalait surtout scandaleusement ses richesses; et un annaliste espagnol rapporte qu'un jour qu'il donnait une fête au gouverneur, on servit, en guise de sel, de l'or en poudre. Mais tant de folies et de malversations forçèrent enfin son protecteur d'en avertir la cour. Le roi envoya un officier nommé Davila, pour exiger les comptes du trésorier, qui se trouva redevable de soixante mille pesos d'or. Son bien fut saisi, et vendu à l'encan; mais Sainte-Claire, après que le roi fut payé sur la vente, se trouva encore fort riche; il ne perdit que sa charge, qui fut alors réunie à celle d'intendant de justice, sous le titre de trésorier-général.

Cependant les bras manquaient pour l'exploitatation des mines, il fallut songer à trouver de nouveaux ouvriers. Un habitant de l'île fit sans succès une descente à la Guadeloupe; en 1511 environ, il ne restait plus que quatorze mille Indiens chargés de tout le travail de la colonie, et cette race allait être tout-à-fait retranchée. Las-Casas, pour en sauver au moins les faibles restes, ouvrit l'avis de faire arracher aux côtes de l'Afrique de plus robustes esclaves. L'humanité suggéra cette idée au pieux prélat; il aurait mieux valu sans doute qu'il proposât de combler des mines dont l'or ne pouvait être extrait qu'au prix de la vie de tant

d'hommes; si la cupidité espagnole eût pu accepter ce conseil donné au nom de la divinité. L'or, dit un historien, était alors leur seul dieu

Dans cette même année 1511, le conseil du roi, frappé des plaintes qui ne cessaient d'arriver de la colonie et n'ayant pu résister à l'éloquence d'un dominicain, envoyé à la cour par ses frères établis dans l'île Espagnole, résolut de faire cesser le désordre dont enfin on avait osé l'instruire, et rendit un décret qui proclama la liberté des Indiens; c'est-àdire que, comme les bêtes de charge s'étaient extrê

* Ce même écrivain rapporte le fait suivant, qui semble rentrer dans notre sujet. Les caciques de Cuba s'étaient assemblés pour aviser aux moyens d'empêcher les Espagnols de venir surprendre l'île, qu'ils semblaient menacer. « Toutes précautions << sont inutiles, s'écria hautement Hatuey, l'un d'entre eux, si, << avant toutes choses, vous ne tâchez de vous rendre propice « le dieu des Espagnols. Je le connais, ce dieu, le plus puissant « de tous je sais le moyen de le gagner, et je vais vous l'ap

prendre. Aussitôt il se fait apporter un panier, où il y avait de l'or; et, le montrant aux caciques : « Le voilà, dit-il, « célébrous une fête en son honneur, il nous regardera d'un air < favorable » ; et, tous à l'instant se mirent à fumer autour du panier, à chanter, à danser, jusqu'à tomber d'ivresse et de fatigue.

Le lendemain matin Hatuey rassembla les caciques, et leur dit : « J'ai beaucoup réfléchi sur l'affaire dont je vous ai parlé ; << mon esprit n'est pas encore tranquille; et je ne pense pas que << nous soyons en sûreté tant que le dieu des Espagnols sera parmi nous. Partout où ils le trouvent, ils s'y établissent pour le posséder ; il est inutile de le cacher, ils ont un secret mer

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mement multipliées dans l'île, il fut expressément défendu de faire porter aux insulaires aucun fardeau, ou de se servir contre eux du bâton, ou du fouet il fut aussi nommé des visiteurs sans le consentement desquels il n'était permis d'en mettre aucun en prison. Enfin, on régla, qu'outre les dimanches et fêtes, ils auraient dans la semaine un jour de relâche, et que les femmes enceintes ne seraient assujetties à aucune sorte de travail.

Les dispositions de cet édit n'ayant point été exécutées par les obstacles sans nombre qu'y apportèrent

<< veilleux pour le découvrir; si vous l'aviez avalé, ils vous « éventreraient pour l'avoir. Je ne sache que le fond de la mer « où ils n'iront pas assurément le chercher ; c'est là qu'il faut le « mettre. Quand il ne sera plus parmi nous, ils nous laisseront « en repos ; car c'est uniquement ce qui les attire hors de chez

< eux. >>

Le conseil parut admirable; les caciques rassemblèrent tout leur or, le jetèrent à la mer assez loin du rivage, et s'en revintent fort contents; persuadés, qu'avec ce précieux métal, ils avaient noyé toutes leurs inquiétudes.

L'île de Cuba fut pourtant surprise par une troupe d'Espagnols; et Hatuey brûlé vif, pour n'avoir pas voulu se convertir à la foi catholique. Il était attaché au poteau funeste, lorsqu'un religieux le conjura de nouveau d'embrasser cette foi, et de se procurer le bonheur du Paradis. « Y a-t-il des Espagnols dans le « lieu de délices dont tu me parles, dit brusquement le cacique? — « Il y en a, repartit le missionnaire; mais il n'y en a que << de bons. Le meilleur n'en vaut rien, reprit l'Indien, et je ne veux point aller où je puisse craindre d'en rencontrer « un seul. » Il périt au milieu des flammes.

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