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à la voile, suivant les conventions, sous pavillon français, tirèrent leur bordée, amenèrent leur villon, et se rendirent. Les prisonniers de guerre étaient au nombre d'environ huit mille.

Un détachement français restait encore en possession du Môle, sous le commandement du général de Noailles, qui fut sommé par le commodore anglais de capituler. Ce chef refusa, assurant qu'il avait pour cinq mois de vivres. Cependant dès la nuit suivante, le 2 décembre, il évacua la place. De six vaisseaux qui portaient ses troupes, un brick que montait le général fut le seul qui échappa : les cinq autres bâtiments, pris par les Anglais, furent envoyés à la Jamaïque, avec ceux rendus par Rochambeau.

Ainsi se termina cette déplorable expédition, dont les suites abattirent, en moins de deux ans, plus de soixante mille têtes; les officiers supérieurs, au nombre de quinze cents, près de huit cents officiers de santé, plus de trente-trois mille combattants de toutes armes, dont pas un sixième ne périt dans les combats. Elle coûta aux noirs plus de douze mille hommes; et un témoin oculaire, qui appartenait à l'armée française, rapporte que plus de quatre mille de ceux-ci trouvèrent la mort sous le coup d'assassinats juridiques, par le fer du bourreau, sous le feu de la mousqueterie, ou dans de terribles noyades du

genre de celles qui ont immortalisé, à Nantes, le nom de Carrier.

Voici comment Christophe s'exprimait dans son manifeste de 1814.

« A Leclerc succéda Rochambeau : ce monstrueux agent de Bonaparte, digne complice des colons, se souilla de toute espèce de crimes; il n'épargna ni le sexe, ni l'enfance, ni la vieillesse, et surpassa en cruauté les tyrans les plus barbares que nous offrent l'histoire ancienne et l'histoire moderne. Des gibets étaient élevés en tous lieux : on noyait, on brûlait, on infligeait les plus horribles châtiments, et tout par ses ordres. Il inventa une nouvelle machine de destruction, dans laquelle des victimes des deux sexes, entassées l'une sur l'autre, étaient suffoquées par la vapeur du soufre.

« Dans sa rage insensée, il fit venir de Cuba, à grands frais, une multitude de dogues; ils furent amenés par un Français, nommé Noailles, d'une illustre famille, qui fut le premier, après la révolution, à trahir ses bienfaiteurs; et des hommes furent abandonnés comme une proie à des chiens désireux de partager l'effrayante immortalité de leurs maîtres. Quel était notre crime? qu'avions-nous fait pour mériter un tel châtiment? Notre origine africaine devait-elle être pour nous une opprobre sans fin? La couleur de notre peau est-elle le sceau d'une dégradation éternelle ?

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« Suivant des recherches exactes, faites l'ordre du gouvernement, pendant l'espace de vingt-un mois que les Français demeurèrent dans l'île, plus de 16,000 de nos compatriotes périrent dans les tortures dont nous avons parlé. Les barbaries commises par ces modernes conquérants sur les enfants d'Hayti, surpassèrent de beaucoup les crimes des Pizarre, des Cortez, des Bodavilla, ces premiers fléaux du Nouveau-Monde.

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Malgré tous leurs efforts, nous avons réussi à chasser ces oppresseurs de notre sol.

« Pour nous préserver à jamais du retour de ces barbaries, de ces crimes inouis, pour nous mettre à l'abri de tant de perfidie et d'injustice, nous resolûmes de secouer le joug d'une domination étrangère; et en conséquence, le 1er janvier 1804, dans une assemblée générale des représentants de la nation, l'indépendance d'Hayti fut solennellement proclamée, et nous fîmes le serment de mourir libres et indépendants, et de ne jamais nous soumettre à aucun pouvoir étranger quel qu'il fût. »

LIVRE SEPTIÈME.

Le temps qui s'était écoulé entre la cessation des hostilités et le départ des Français, avait été employé par les noirs à préparer le nouvel ordre de choses qui allait commencer. Le premier acte d'autorité exercé par le général en chef, avait été une proclamation adressée aux habitants du Cap-Français, « pour chasser les craintes dont ils étaient «< alarmés, » à l'approche du changement qui se préparait. Il disait : «Que la guerre qui avait été « faite n'avait aucun rapport quelconque avec les « habitants de la colonie, et qu'il devait également «< assurer la tranquillité des habitants de toute cou«leur. » Il déclarait : « Que dans les conjonctures présentes il suivrait la même ligne de conduite: << observant que la manière dont les habitants de toutes classes, de Jérémie, des Cayes et du Port« au-Prince avaient été traités, était un gage «<< certain de sa bonne foi et de son honneur. » Il

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invitait «< ceux qui avaient de la répugnance à quit

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ter leur pays à y demeurer, les assurant qu'ils

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«< trouveraient protection et sûreté sous son gou« vernement; permettant toutefois à tous ceux qui étaient disposés à suivre l'armée française, « de le faire en liberté. »

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La veille de l'évacuation de la place, une autre proclamation fut publiée; elle était signée par Dessalines, Christophe et le mulâtre Clervaux.

« Au nom des noirs et des hommes de couleur:

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L'indépendance de Saint-Domingne est proclamée. Rendus à notre dignité primitive, nous avons assuré nos droits; nous jurons de ne jamais les céder à aucune puissance de la terre. Le voile affreux du préjugé est déchiré; qu'il le soit à jamais! Malheur à celui qui voudrait en rassembler les sanglants lambeaux!

« Vous, propriétaires de Saint-Domingue, errants dans les contrées étrangères, en proclamant notre indépendance, nous ne vous défendons point à tous, qui que vous soyez, de revenir dans vos propriétés loin de nous cette idée! Nous n'ignorons pas que, parmi vous, plusieurs ont renoncé à leurs anciennes erreurs, abjuré l'injustice de leurs prétentions exhorbitantes, et reconnu le bon droit de la cause pour laquelle nous avons versé notre sang depuis douze années. Les hommes qui nous rendent cette justice, nous les traiterons comme des frères : qu'ils comptent à jamais sur notre estime et notre amitié ; qu'ils reviennent parmi nous; le Dieu qui nous protège, le Dicu des hommes libres nous dé

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