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Les instituteurs publics et leurs élèves, une députation du corps des artisans, précédée par un artisan en chef, une députation des agriculteurs, une députation du commerce étranger, une députation du commerce national, précédées chacune par un de ses principaux membres; les membres de la justice, et enfin toutes les autorités civiles et militaires formaient le cortége du nouvel empereur, qui fut couronné dans le Champ-de-Mars du Port-au-Prince, sur un trône élevé au-dessus d'une estrade, deux mois à peu près avant que Bonaparte répétât en grand cette scène aux yeux de la vieille Europe. Il ne manqua pas à ce couronnement, plus qu'à celui de l'usurpateur français, d'être consacré par le pouvoir ecclésiastique : le clergé Haytien fut des premiers à saluer Dessalines empereur, et le premier acte que ce pieux souverain fit de sa puissance, fut d'en rendre à Dieu des grâces publiques par un Te Deum qu'il fit chanter le jour même, et que, à la manière de Toussaint, il entonna le premier, de la voix la plus forte de son empire.

L'institution de la dignité impériale à Hayti, et le vœu du peuple qui la conférait à Dessalines, furent en outre sanctionnés par une nouvelle constitution.

Cette constitution avait été discutée par vingttrois hommes dont les noms étaient portés en tête de cet acte, et commençait ainsi :

«< En présence de l'Être -Suprême, devant qui

tous les hommes sont égaux, et qui a distribué tant d'espèces de créatures sur la surface de la terre, pour manifester sa gloire et sa puissance par la diversité de son travail ;

« Et en présence de toutes les nations qui nous ont si injustement et si long-temps considérés comme des êtres rebutés, nous déclarons que cette constitution est la libre expression de notre cœur et de notre volonté. »

La déclaration préliminaire décrétait l'empire d'Hayti état libre, souverain et indépendant; elle proclamait en outre, pour toujours, l'abolition de l'esclavage, l'égalité des rangs, l'autorité des mêmes lois pour tous, l'inviolabilité de la propriété, la perte des droits de citoyen par l'émigration, et la suspension de ces droits par la banqueroute; l'exclusion pour tous les blancs, de quelque espèce qu'ils fussent, du droit d'acquérir aucune propriété, excepté seulement pour ceux qui avaient été naturalisés, et pour les enfants et les parents de ceuxci; l'adoption du nom générique de noirs, pour tous les sujets d'Hayti, quelle que fût leur couleur. Il était en outre déclaré que nul n'était digne d'être Haytien, s'il n'était bon père, bon fils, bon époux, et surtout bon soldat. Les parents n'étaient pas admis à déshériter leurs enfants, et chaque citoyen était réquis de professer un art mécanique. L'empire d'Hayti, un et indivisible, fut partagé en dix gouvernements militaires, commandés cha

cun par un général; chacun de ces commandants était indépendant des autres, et devait correspondre directement avec le chef du gouvernement, qui, au titre d'empereur, joignait celui de commandant en chef de l'armée. Le dernier article de la constitution portait que Dessalines, le vengeur et le libérateur de ses concitoyens, était appelé à remplir ces fonctions, et qu'il règnerait sous le nom de Jean-Jacques Iar.

Le titre de majesté fut conféré au nouvel empereur ainsi qu'à son auguste épouse l'impératrice: leurs personnes furent déclarées inviolables, et la couronne élective; mais l'empereur avait le droit de désigner son successeur parmi un nombre choisi de candidats; une rente annuelle et viagère fut assignée comme douaire à l'impératrice et aux enfants reconnus par sa majesté; les fils du souverain devaient passer par tous les grades dans l'armée. Tout empereur qui attacherait à lui un corps privilégié, sous le nom de garde d'honneur ou sous tout autre nom, devait être regardé, par ce fait, en guerre avec la nation, et chassé du trône, qui alors serait occupé par un des conseillers d'état, choisi par la majorité des membres de ce corps.

L'empereur avait le droit de faire, d'approuver et de publier les lois, de nommer et de renvoyer les fonctionnaires publics, de diriger les recettes, les dépenses de l'état et la fabrication des monnaies; de faire la paix ou la guerre, de conclure

des traités, de distribuer à son plaisir la force armée; et, seul, il avait le pouvoir de faire grâce aux criminels, ou de commuer leurs peines.

Les généraux de division et de brigade devaient faire partie du conseil-d'état. Il devait y avoir en outre un ministre des finances chargé de l'intérieur, un ministre de la guerre, chargé de la marine, et un secrétaire-d'état.

Toutes personnes pouvaient faire juger leurs différends à l'amiable et par des arbitres.

Chaque commune devait avoir un juge de paix, dont la compétence ne s'étendait que sur les affaires au-dessous de 100 dollars, et avec le droit d'appel au tribunal du district. Les crimes militaires étaient soumis à un conseil spécial.

Aucune religion dominante n'était admise; la liberté des cultes était proclamée; l'État ne devait se charger du soutien d'aucune institution religieuse.

Les crimes d'État devaient être jugés par un conseil nommé par l'empereur; toutes les propriétés appartenant aux Français blancs étaient reconnues comme biens de l'État; toutes les maisons des citoyens étaient déclarées inviolables.

Le mariage était déclaré un acte purement civil, et le divorce permis dans certains cas.

La constitution était mise sous la sauve-garde des magistrats, des pères et mères, citoyens et soldats, et recommandée à leurs descendants, à tous les amis

pays,

de la liberté, aux philantropes de tous les comme un signe éclatant de la bonté de Dieu qui, dans le cours de ses décrets immortels, leur avait donné l'occasion de briser leurs fers et de se constituer un peuple libre, civilisé et indépendant. Cette constitution si sage, mais qui devait, comme tant d'autres, être peu respectée, fut acceptée par l'empereur, et il fut ordonné qu'elle serait mise de

suite à exécution.

La condition des cultivateurs était la même que sous le système de Toussaint: ils travaillaient pour des gages qui étaient fixés au quart des produits, et ces produits étaient abondants; on avait proscrit le fouet et toutes les peines corporelles.

La paresse était regardée comme un crime, mais seulement punie de prison; et l'on estimait aux deux tiers du travail forcé des temps d'esclavage, la somme de travail produite sous l'exercice du nouveau régime.

Il était arrêté que les noirs cultivateurs ne pouvaient travailler que dans les divisions où ils avaient été premièrement attachés; mais s'ils avaient quelques raisons pour changer, le commissaire ou l'officier du district leur en donnait la permission. La plupart des possessions étaient dans les mains du gouvernement comme confisquées; mais elles étaient louées pour une rente annuelle, et cette: rente était généralement fixée suivant le nombre des cultivateurs, et non d'après l'étendue du sol.

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