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LIVRE HUITIÈME.

La mort de Dessalines avait produit une sensation générale de joie parmi le peuple, fatigué de sa tyrannie; Christophe, dont le nom a été cité plusieurs fois dans les récits qui ont précédé, et qui depuis l'expulsion des Français, avait été le second dans le commandement, n'éprouva d'abord guère de difficulté à s'emparer de la suprême puissance.

Henri Christophe, créole noir de l'île de Grenade, était esclave à Saint-Domingue lors de la révolution de 1791; il avait été l'intime ami et le fidèle partisan de Toussaint, avec qui il avait beaucoup de ressemblance de caractère; il était connu pour avoir beaucoup de talents militaires; et dans ce temps encore il avait la réputation d'un homme humain et bienfaisant il était bon époux, bon père, observait avec exactitude ses devoirs de morale et de religion; et un observateur anglais, en faisant le portrait de ce chef n'a pas omis de dire, « qu'il « était un bon vivant, qui avait dans sa cave d'excel

lent vin, dont il usait librement, quoique sans

«<< excès. >>

Christophe, en arrivant au pouvoir, commença par écarter le titre pompeux d'empereur, pour celui de chef du gouvernement d'Hayti. Ses soins se tournèrent ensuite vers l'encouragement du commerce d'exportation; et une proclamation fut publiée le 24 octobre 1806, pour promettre aux nations neutres garantie et protection.

Mais Christophe ne jouit pas long-temps sans partage de la succession laissée vacante par la mort de Dessalines; le mulâtre Pétion, qui avait succédé à Clervaux dans la troisième place du gouvernement impérial, et de gouverneur militaire du Port-auPrince, se mit sur les rangs comme compétiteur.

Ce chef avait été élevé à l'école militaire de Paris, et il était connu pour un homme instruit, de mœurs douces, de manières engageantes. C'était l'officier du génie le plus estimé dans l'armée noire, et Christophe lui-même faisait grand cas de ses talents militaires..

Chacun des deux concurrents eut recours aux armes, pour soutenir ses droits. Une bataille eut lieu le 1 janvier 1807 dans les champs de Cibert; Pétion fut défait et obligé de fuir.

er

Christophe le poursuivit jusqu'aux portes du Port-au-Prince; et, dans l'espoir de completter son triomphe, il mit le siége devant cette ville, qu'il abandonna bientôt sans l'avoir prise.

Il ne trouva guère de difficulté à établir son autorité dans les districts septentrionaux de l'île; et le succès de sa première campagne avait affermi son pouvoir sur des bases trop solides, pour qu'il pût être renversé par aucune des entreprises de son rival dans le Sud.

Cependant il assembla au Cap-Français un conseil composé de généraux et des principaux citoyens; et, le 17 février 1807, ce conseil décréta une nouvelle constitution, qui déclarait libre tout individu résidant sur le territoire d'Hayti; abolissant ainsi l'esclavage à jamais. Le gouvernement était confié à un premier magistrat, avec le titre et la qualité de président et de généralissime des forces de terre et de mer. Cet office était à vie, et le président avait le droit de choisir son successeur, mais parmi les généraux seulement. Ce magistrat était aussi chargé des affaires étrangères, en paix et en guerre. Le conseil-d'état était formé par neuf membres, dont six devaient être des généraux : c'était un corps délibératif. La nomination des membres du conseil avait été confiée au président.

La religion catholique romaine fut déclarée religion de l'État; mais l'exercice de tout autre culte était toléré. Des écoles furent établies dans chaque district, et chaque Haytien, depuis l'âge de seize ans jusqu'à cinquante, fut astreint au service militaire.

Un des principes fondamentaux de cette constitution, était la déclaration qu'elle contenait, de

la part du gouvernement haytien, de ne troubler jamais les colonies des autres nations, et de tenter aucune conquête hors de leur île. Cette déclaration était nécessaire pour décider l'Angleterre à ne point attenter à l'existence d'un état qui l'inquiétait pour la conservation des siens; elle l'était encore pour engager cette puissance à défendre contre la France et contre l'ennemi du Sud, l'état formé au Nord de l'île.

Déjà l'Angleterre n'était que trop disposée à prêter son appui au parti de Christophe; car celui de Pétion venait de mettre en péril la Jamaïque, si voisine de la côte méridionale d'Hayti, et pour laquelle Toussaint-Louverture les avait fait trembler si souvent. Cette conspiration, qui tendait à rallier les mécontents de l'île anglaise à ceux de Saint-Domingue, ayait été découverte par Christophe, en février 1807, et la concession de quelques avantages commerciaux, avait été la récompense dont le gouvernement britannique avait payé ce service.

Plusieurs batailles furent livrées; tantôt Christophe fut vainqueur, tantôt Pétion eut l'avantage. Beaucoup de terrain et plusieurs yilles furent successivement occupées et abandonnées, prises et rendues par les armées des deux partis. Saint-Marc, l'Arcahaye, les Gonaïves, le Port-de-Paix furent le théâtre de combats terribles et opiniàtres; mais le point qui fut surtout disputé, était le môle Saint

Nicolas. Cette place, qui était occupée par une partie de l'armée de Pétion, fut enfin étroitement investie par Christophe en personne; et, après trente-deux jours de siége régulier, la garnison se rendit à discrétion, et fut réunie à l'armée du vainqueur. Après cet événement, qui eut lieu en octobre 1810, l'armée assiégeante fut en grande partie licenciée, et son chef s'en retourna au CapFrançais.

Depuis deux ans l'Espagne, envație par une armée française, était en proie à toutes les horreurs de l'anarchie, et les Espagnols d'Hayti disputaient aux Français, dans leur île, avec plus d'avantage et non moins d'opiniâtreté que dans la péninsule européenne, le terrain cédé en 1795. Dès l'année précédente, Christophe avait pris avantage de cette guerre, qui venait de se rallumer avec quelque énergie, pour rallier à sa cause les habitants de l'est de Saint-Domingue. Il leur avait fourni des secours d'armes et de munitions, pour les aider dans leurs entreprises. D'un autre côté, les Anglais secondaient les opérations dirigées contre les débris de la puissance française à Saint-Domingue. En novembre 1809, la ville de Samana et les vaisseaux qui étaient dans le port avaient été pris par une escadre anglaise, les troupes françaises avaient été faites prisonnières, les vaisseaux emmenés, et la place abandonnée aux Espagnols. En juillet 1810, une flotte anglaise, sous le commandement du gé

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