Page images
PDF
EPUB

les chefs, et les propriétaires opulents de la colonie, le conseil, cinq ans après, fatigué des plaintes nouvelles qui s'élevaient, fit pour cet objet particulier un réglement très sage, qui fut remis à des commissaires envoyés pour le faire exécuter. Il leur recommandait:

1° Qu'ils fissent en sorte d'engager les insulaires à travailler librement aux mines;

2° Que l'heure d'aller au travail et d'en sortir fût fixée;

3o Que personne n'y fût employé avant l'àge de vingt ans, ni après celui de cinquante;

4° Qu'il n'y eut jamais plus du tiers d'un village dans les mines; et que les mêmes hommes n'y restassent pas au-delà de deux mois de suite;

5° Que les femmes n'y fussent point admises, à moins qu'elles ne s'y offrissent elles-mêmes, et avec l'agrément de leurs maris;

6° Que les mineurs gardassent ce qu'ils auraient tiré du minérai jusqu'au temps de la fonte; qu'alors, tout ce qui s'en trouverait dans la bourgade fût porté par les mineurs accompagnés du visiteur et du Cacique, au lieu où se ferait la fonte ;

7° Que ce qui en proviendrait, fût divisé en trois parts égales; dont la première appartiendrait au roi, et les deux autres seraient distribuées entre le cacique, le mineur et la bourgade, après néanmoins qu'on en aurait tiré de quoi payer les frais de la fonte, les outils, et toutes les dépenses communes;

8° Que dans toute l'île il y eût douze mineurs castillans, dont l'emploi serait de découvrir les mines, et de les montrer aux Indiens, à qui seuls il serait permis d'y travailler; et que les appointements de ces mineurs-généraux fussent payés moitié par le trésor, et moitié par les Indiens.

9° Que ceux des Espagnols, qui avaient ou qui auraient, dans la suite, des esclaves caraïbes, pourraient les faire travailler aux mines pour leur compte, à condition de payer au roi le dixième, si ces esclaves étaient mariés, et le septième s'ils ne l'étaient pas; et, pour leur donner moyen d'avoir des esclaves, le roi s'engageait à fournir des caravelles toutes équipées, avec défense, sous peine de la vie; de courir sur d'autres que sur des cannibales. Ce nouveau réglement eût put adoucir la situation du petit nombre d'indigènes qui restait encore, mais il ne fut point exécuté. Las-Casas, qui avait été nommé visiteur-général de la colonie et protecteur des Indiens, éleva fortement la voix et fit valoir les droits attachés à ces deux charges: mais son courage mit sa vie en péril sans apporter aucun soulagement aux maux qu'il dénonçait.

Bientôt l'intrépide missionnaire repassa en Europe, et, devant une junte, présidée par Charles V, nouveau roi d'Espagne, et depuis empereur d'Allemagne, il s'expliqua sans ménagement sur les désordres honteux et la conduite cruelle des tyrans de l'île Espagnole.

[ocr errors]

«Eh! dans quel pays du monde, Sire, s'écriat-il, les apôtres et les hommes apostoliques ont«ils jamais cru avoir droit sur la vie, sur les biens « et sur la liberté des infidèles ? Quelle étrange «< manière de prêcher l'Évangile, cette loi de grâce « et de sainteté, qui, d'esclaves du démon, nous « fait passer à la liberté des vrais enfants de Dieu, « que de réduire en captivité ceux qui sont nés libres, que de déchirer à coups de fouet des in<< nocents dont tout le crime, par rapport à nous, « est de ne pouvoir supporter les travaux dont nous « les accablons, d'inonder leur pays d'un déluge de « sang; de leur enlever jusqu'au nécessaire, et de « les scandaliser par les plus honteux excès! Voilà, «sire, ce qu'on cache à Votre Majesté ; voilà ce que

[ocr errors]
[ocr errors]

j'ai vu, et sur quoi je ne crains pas d'être dé<< menti. Jugez à présent la cause des Indiens, se«<lon votre sagesse, votre équité, votre religion; « et je m'assure qu'ils souscriront sans peine à votre

«<< arrêt. >>

[ocr errors]

Charles Quint écouta avec émotion la véhémente harangue du prélat: mais les soins plus pressants de son ambition l'empêchèrent de faire droit à ses réclamations; sa flotte mettait à la voile à la Corogne, et la couronne impériale l'attendait à Vienne. Ce qui restait de la race indienne fut donc encore livré pour un temps à la barbare cupidité de ses maîtres.

Mais tant de cruautés faillirent trouver un terme tout autre que leurs auteurs ne l'avaient attendu.

En 1519, dans la vingt-septième année de la découverte, une poignée de ces malheureux insulaires, triste reste de plus d'un million d'individus, qui peuplaient l'île à l'arrivée des Européens, ayant enfin trouvé un chef digne de les commander prirent les armes, et, pendant treize ans, résistèrent à toutes les forces, et à tous les efforts de leurs tyrans, jusque-là que la fierté castillane fut enfin obligée de traiter avec ces révoltés, et de leur donner, dans l'île Espagnole même, une souveraineté indépendante.

Dans la ville de Saint-Jean de la Maguana, un jeune espagnol, nommé Valençuela, avait hérité par la mort de son père, d'un département d'Indiens, ayant à leur tête un cacique chrétien, élevé dans la maison des religieux de Saint-François, et qui portait le nom de Henri. Tant qu'il avait été aux ordres du père de Valençuela, le jeune Indien, doucement traité par son maître, avait supporté son sort avec patience. Mais le nouveau possesseur était un tyran ; le cacique Henri porta ses plaintes devant toutes les autorités, sans obtenir justice d'aucune. Il n'avait que lui pour appuyer son droit ; il prit les armes, fit un appel à quelques mécontents; se retira avec eux dans les montagnes de Baoruco, et là, plein de la confiance du désespoir, il attendit les Espagnols.

Valençuela se présenta bientôt : douze soldats l'accompagnaient dans cette expédition dont l'issue ne lui semblait pas douteuse. Deux de ces soldats s'avançèrent vers Henri pour le saisir; le cacique

révolté représenta avec calme à l'Espagnol que son autorité avait cessé; et il lui conseilla de se retirer. La fureur de l'Européen en fut portée à son comble; il renouvela les ordres qu'il avait donnés : mais les deux premiers soldats qui obéirent tombèrent morts aux pieds d'Henri; trois autres furent blessés; le reste prit la fuite sans qu'on les poursuivît.

Le cacique se tenait toujours sur la défensive. En vain on envoya contre lui des forces plus considérables; il les battit à chaque rencontre; et, en peu de temps, il se vit à la tête d'une troupe nombreuse d'Indiens, parfaitement accoutumés à tous les détails de la tactique européenne, et qu'il armait de la dépouille des vaincus.

Treize années s'écoulèrent pendant lesquelles toutes les tentatives des Espagnols pour soumettre Henri n'aboutirent qu'à une suite non interromde défaites, dont chacune grossissait sa troupe pue en affaiblissant les forces de ses ennemis. Enfin, en 1533, le conseil de Madrid, lassé d'une guerre honteuse pour l'honneur de la couronne, aussi bien que dispendieuse pour l'État, envoya à l'île Espagnole, Barrio Nuevo, avec le titre de général, pour suivre vivement cette affaire s'il ne pouvait, comme commissaire impérial, la terminer par un traité avantageux.

Arrivé au centre des montagnes qu'habitait le cacique, et se fiant à sa générosité, le commissaire impérial lui fit demander un entretien. Dès que

« PreviousContinue »