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celui-ci aperçut Barrio Nuevo, le prenant par la main, il le conduisit sous un grand arbre, où ils s'assirent tous deux sur des couvertures de coton; en même temps cinq ou six capitaines indiens vinrent embrasser le général espagnol, armés, comme il le raconte lui - même, de casques, d'épées et de boucliers, et entourés de grosses cordes teintes en rouge, qui leur servaient de cuirasses.

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Alors Barrio Nuevo, adressant la parole au cacique, lui dit : « L'empereur, mon très redouté seigneur et le vôtre, le plus puissant des souve« rains du monde, mais le meilleur des maîtres, m'envoie pour vous exhorter à mettre bas les «< armes; il vous offre le pardon du passé, à vous, « et à tous ceux qui vous ont suivi; mais il a donné « ordre de vous poursuivre à toute outrance si « vous persistez dans votre rébellion : j'amène des "forces suffisantes pour que cet ordre soit exécuté ». Alors l'envoyé remit au cacique une lettre de son souverain.

L'Indien avait attentivement écouté son discours; il lut avec une joie respectueuse, la lettre de Charles V, dans laquelle l'empereur l'appelait Dom Henri; il la baisa et la mit sur sa tête. Ayant ensuite parcouru le sauf-conduit de l'audience royale, scellé du sceau de la chancellerie ; « A présent que le très auguste empereur me donne sa parole, dit-il à Barrio Nuevo, je ressens, « comme je le dois, l'honneur que me fait sa ma

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jesté, et j'accepte, avec une très humble reconnais«sance, la grâce qu'elle veut bien m'accorder». Alors il s'approcha des siens, leur montrant la lettre de l'empereur, et disant qu'il n'y avait plus moyen de refuser l'obéissance à un aussi puissant monarque, qui leur témoignait tant de bonté. Ils répondirent tous par leurs acclamations ordinaires, c'est-à-dire, rapporte l'historien que nous suivons, par de grandes aspirations qu'ils tirèrent avec effort. de leur poitrine, en appellant leur chef Dom Henri, notre seigneur. Alors on s'assit en cercle, les provisions des Espagnols furent mêlées au gibier et au poisson des insulaires, et l'on but successivement avec de grands cris, et les démonstrations du plus profond respect, à la santé de l'empereur et à celle du cacique.

Le protecteur des Indiens, Las-Casas, vint bientôt lui-même trouver Dom Henri, et les premières paroles qu'il entendit de sa bouche furent celles-ci : « Pendant toute la guerre, je n'ai pas manqué un jour à dire mes prières ordinaires; j'ai exactement jeûné tous les vendredis; j'ai veillé avec beaude soin sur la conduite et les mœurs de << mes sujets; j'ai pris surtout de bonnes mesures

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pour empêcher tout commerce suspect entre les « personnes de différents sexes: évêque, bénis<< moi ». Ce fut surtout par la présence du noble prélat que les dernières défiances du cacique furent calmées; il se rendit enfin à San-Domingo, où la

paix fut signée. On lui laissa choisir un lieu où il s'établirait avec tous ceux de sa nation, dont il fut déclaré prince héréditaire, avec exemption de tout tribut, et sous l'obligation seulement de rendre hommage à l'empereur et à ses successeurs, toutes les fois qu'il en serait requis.

Il se retira peu de temps après dans un endroit nommé Boya, à treize ou quatorze lieues de la capitale, vers le nord-est. Tous les Indiens qui purent prouver leur descendance des premiers habitants de l'île, eurent permission de le suivre. Leur postérité subsistait encore, mais peu nombreuse en 1750, au même lieu, et jouissait des mêmes priviléges. Leur prince, qui s'intitulait cacique de l'île d'Hayti, jugeait et condamnait à mort; mais il avait un appel à l'audience royale. Ils étaient quatre mille, lorsqu'ils vinrent s'établir à Boya, sous les auspices de Dom Henri.

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LIVRE SECOND.

DEPUIS la négociation mise à fin par Barrio Nuevo, jusqu'à l'an 1586, l'histoire de l'île Espagnole n'offre rien de remarquable. Il serait sans intérêt de rapporter ici la liste des gouverneurs qui se succédèrent dans cette période sans rien faire de sage ou de grand; car la colonie dépérissait de jour en jour, les mines étant heureusement presque abandonnées; mais la culture du sol n'avait que très peu gagné à cet abandon qui semblait devoir lui rendre une foule de bras devenus inutiles, et tourner toute l'activité des colons vers de nouvelles industries.

Au milieu de cette détresse générale de l'île, San-Domingo s'embellissait par les soins d'une administration plus soigneuse d'étonner l'Europe de l'histoire de son luxe, que d'utiliser pour la mèrepatrie des conquêtes qui avaient tant coûté à l'humanité et à la religion. Cette ville dont nous avons déjà cité la magnificence d'après les récits d'Oviedo, renfermait en 1586, trois couvents dédiés à saint Dominique, à saint François, et à sainte Marie; mais elle n'avait qu'un hôpital.

On vantait surtout l'architecture de sa cathédrale, et les riches dotations de son siége apostolique. Nous avons dit que cette ville superbe fut en partie détruite par l'amiral anglais sir François Drake. Ce fut en 1586, sous le règne d'Élisabeth, que l'escadre de ce navigateur célèbre parut dans les Antilles, où elle s'empara d'une grande partie des possessions et des vaisseaux espagnols dans ces mers. San - Domingo demeura pendant un mois au pouvoir du commodore anglais, et déjà le feu avait fait disparaître la moitié de cette belle cité, quand le conquérant abandonna sa proie pour une rançon de sept mille livres sterlings.

En 1625, de nouveaux ennemis, plus terribles, quoique d'abord on les eût redoutés moins, partirent des côtes d'Angleterre et de France pour venir inquiéter la puissance espagnole dans l'archipel occidental. L'Europe était alors en paix; mais le droit que s'était arrogé l'Espagne, d'arrêter tous les bâtiments que ses flottes rencontraient au-delà du tropique, justifiait des représailles qui, sans être autorisées par les métropoles de l'Ancien Monde, étaient au moins tolérées et peut-être secrètement encouragées par elle.

Il y avait déjà long-temps que des navigateurs anglais et français fréquentaient les îles du Vent sans qu'ils eussent jamais songé à s'y établir, ou plutôt sans qu'ils en eussent trouvé les moyens; peutêtre aussi n'avaient ils pas jugé digne de leur attention un sol qui ne produisait encore aucune des

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