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quand j'y songe. L'idée de détruire tant de travaux de l'homme n'est guère charitable et n'est pas d'une exécution facile. Quelques mois vont décider si la plus belle contrée de l'Amérique doit être un désert stérile ou un état florissant. >>

Cependant, dans le courant du mois de juin 1814, le ministre des colonies, Malouet, envoya aux Indes occidentales trois commissaires chargés de transmettre au gouvernement français des informations relatives à l'état de Saint-Domingue, et aux dispositions de ses chefs. Le choix des agents employés à cette mission n'était pas de nature à rassurer le gouvernement haytien sur les suites qu'elle devait avoir; c'étaient Dauxion-Lavaysse, de Medina, et Draverman : le premier avait été membre du comité de salut public à Paris, sous Robespierre; le second avait servi à Saint-Domingue dans l'armée de Toussaint - Louverture, et avait livré aux troupes de Leclerc un poste important qu'on lui avait commis.

Suivant les instructions qui leur prescrivaient de se rendre sans délai à la Jamaïque ou à PortoRico, ces émissaires passèrent en Angleterre, et partirent de Falmouth dans un paquebot pour la Jamaïque; ils arrivèrent dans cette île à la fin du mois d'août.

Le 6 septembre, Lavaysse, chef de la commission, commença ses démarches en écrivant de Kingstow, au président du Sud, une première lettre qui demeura sans effet, comme elle resta d'abord sans réponse.

Le 1er octobre, le même agent adressa une autre lettre à Christophe; cette missive, qui renfermait le plus singulier mélange de flatterie et de menaces, provoqua de la part du conseil-d'État une adresse dans les termes les plus énergiques, et une réponse du secrétaire-d'État Prezeau, qui dut laisser l'agent français sans aucun espoir de mener à bout son entreprise.

Le 24 septembre, après dix-huit jours d'attente, il reçut de Pétion une invitation de se rendre au Port-au-Prince; et quand il fut arrivé dans cette ville, il fit par écrit, au chef de la république, le propositions suivantes :

Que le président reconnaîtrait et proclamerait la souveraineté du roi de France;

2° Que le président et les autres habitants, en imitation de ce qui avait été fait en France à l'époque de la chute de Bonaparte, s'érigeraient en gouvernement provisoire sous l'autorité de Louis XVIII;

3° Qu'ils arboreraient le drapeau blanc. En retour de cette soumission, il promettait au président et à ses collègues une honorable distinction et des récompenses, et il les assurait que le pro grès des lumières en France avait détruit la tyrannie des préjugés, et que Louis, comme la Divinité dont il était le représentant, portait une égale affection à tous ses sujets, sans aucune distinction de couleur.

Dans cette lettre, Lavaysse prodiguait les invectives au monarque tombé, qu'il était de mode d'outrager alors, au général Leclerc, et à tous les chefs de l'expédition de 1802, qu'il traitait de brigands.

La réponse de Pétion fut sage et modérée. Le président n'avait pu rien décider sans prendre l'avis du sénat; mais il pouvait déjà rappeler que la révolution française n'avait pas moins causé de maux à la population noire ou mêlée d'Hayti, qui l'avait d'abord repoussée, qu'aux blancs alors enthousiasmés pour ses principes, et devenus depuis les ardents adorateurs de tous les gouvernements qui leur promettaient le renversement des institutions qui avaient abattu l'esclavage.

Le 2 novembre, une assemblée générale des autorités d'Hayti fut convoquée au Port-au-Prince; et il fut unanimement résolu de rejeter les propositions de la France. Cette résolution fut immédiatement communiquée à Lavaysse par le président, avec les raisons qui l'avaient motivée. Une note supplémentaire annonçait que, désirant rétablir des relations commerciales entre la France et son ancienne colonie, la république haytienne consentait à fixer une base d'indemnité pécuniaire à allouer aux anciens colons français, pour les pertes qu'ils avaient éprouvées, et en retour de laquelle ceux-ci devraient consentir une renonciation entière et complète de leurs droits et de leurs prétentions.

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Lavaysse n'avait pas de pouvoir pour transiger aux conditions qu'on lui proposait; il quitta le Port-au-Prince dans les premiers jours de novembre, et les choses en restèrent dans le même état que devant. Nous avons dans les mains toutes les pièces relatives aux négociations entamées entre l'agent français et le gouvernement républicain d'Hayti, imprimées au Port-au-Prince par l'ordre de Pétion et précédées d'une adresse de ce chef au peuple et à l'armée.

Franco de Medina, l'un des collègues de Dauxion, qui s'était rendu dans le Nord vers le même temps, fut encore moins heureux que celui-ci. Arrêté par les ordres de Christhophe, il fut exposé le 12 novembre 1814, sur la place publique du Cap, « de manière, disait la proclamation royale qui dénonçait ses projets au peuple d'Hayti, à ce que chacun eût la faculté de l'interroger ».

Le 19 janvier 1815, le Moniteur Universel contenait la protestation suivante :

Paris, 18 janvier 1815.

« Le ministre secrétaire-d'état de la marine et des colonies, a mis sous les yeux du roi des lettres insérées dans les papiers publics, et qui ont été adressées de la Jamaïque sous les dates des 6 septembre et 1er octobre derniers, aux chefs actuels de Saint-Domingue, par le colonel Dauxion-Layaysse. M. Dauxion, dont la mission toute pacifique avait

pour but de recueillir et de transmettre au gouvernement des renseignements sur l'état de la colonie, n'était nullement autorisé à faire des communications aussi contraires à l'objet de cette mission; le Roi en a témoigné un profond mécontentement, et a ordonné de rendre publique sa désapprobation.

« Le ministre etc. Comte BEUGNOT. »

Cependant les anciens colons étaient trop flattés de leurs rêves d'or pour abandonner aussitôt l'espérance dont Malouet les avait bercés. L'expérience venait de les convaincre que la voie des négociations ne devait amener aucun heureux résultat; ils songèrent de nouveau à la conquête. Leur parti avait alors une grande influence dans les délibérations du cabinet français; et malgré la protestation du 18 janvier sur les intentions pacifiques du ministère qui avait commissionné Dauxion et Medina, on fit les préparatifs d'un armement qui devait mettre à la voile au printemps de l'année

1815.

Mais un événement, sans lequel on avait compté, vint de nouveau déjouer tous les projets des colons. Avant que la flotte d'expédition eût pu être prête à quitter l'Océan, au mois de mars 1815, Bonaparte traversait la Méditerranée entre l'île d'Elbe et le golfe Juan; vingt jours après il entrait dans Paris, le 29 mars, il décrétait l'abolition de la traite

et,

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