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avait, dès le soulèvement de nos provinces, bloqué l'Escáut et fermé le fleuve aux navires belges. C'est que le traité de Paris de 1814 avait bien déclaré par son art. 5 la libre navigation du Rhin et, par un article secret, étendu ce principe à la navigation de l'Escaut; mais si en fait le principe de la liberté de l'Escaut n'avait pas été soulevé, en droit il ne fut jamais reconnu par les provinces du nord. Celles-ci donc regardaient comme existante encore la stipulation odieuse du traité de Munster 1.

La conférence réunie à Londres réclama la liberté de l'Escaut et la levée du blocus des ports et des côtes, considérant le rejet de cette demande comme un acte d'hostilité envers elle. La Hollande céda et rouvrit l'Escaut le 30 janvier 1831, en protestant contre cet article du protocole; mais la conférence passa outre.

Le 20 janvier avaient été posées, en 18 articles, les bases de séparation entre la Hollande et la Belgique, laissant la rive gauche de l'Escaut à la première, malgré les réclamations de nos plénipotentiaires et le 27 du même mois, les bases concernant les arrangements de commerce.

Ce sont ces dernières que nous allons examiner en détail, comme se rattachant spécialement à notre sujet.

L'article 3 du projet de traité était ainsi conçu.

<< Il est entendu que les dispositions des art. 108 jusqu'à 117 inclusivement de l'acte général du congrès de Vienne relatives à la libre navigation des fleuves et rivières navigables, seront appliquées aux rivières et aux fleuves qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge. »

Le congrès belge réclamait, comme indispensable à la garantie d'écoulement des eaux des Flandres et à la libre navigation du fleuve et du canal de Terneuzen, la pos

AUG. PARENT, De l'affranchissement de l'Escaut.

session de la rive gauche de l'Escaut. La Belgique protesta donc contre les bases du traité; la Hollande s'y rallia. Son ancienne politique commerciale n'était plus soutenable; elle reposait sur le monopole de la navigation du fleuve et devenait impossible avec le système général de l'Europe moderne, qui consacrait la liberté de navigation.

L'Escaut, entre la mer et Anvers, était de nouveau complétement libre par l'adhésion de la Hollande, sauf l'application ultérieure des art. 108 à 117 du Congrès de Vienne.

Sur ces entrefaites, la Belgique s'était choisi un roi. L'acceptation de la couronne par le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha avait été subordonnée à l'adoption des concessions nouvelles et des bases définitives comprises par la conférence dans une nouvelle convention de 18 articles, destinée à servir de base au traité définitif. Ces 18 articles furent adoptés par le Congrès belge le 9 juillet 1831, après dix jours de discussions parfois orageuses, par 126 voix contre 70. L'article 7 de ces dispositions du 26 juin 1831, reproduisant l'art. 3 de ceux du 27 janvier, y ajoutait :

« La mise à exécution de ces dispositions sera réglée dans le plus bref délai possible. La participation de la Belgique à la navigation du Rhin par les eaux intérieures, entre ce fleuve et l'Escaut, formera l'objet d'une négociation séparée entre les parties intéressées à laquelle les cinq puissances prêteront leurs bons offices.

» L'usage des canaux de Gand à Terneuzen et du ZuidWillemsvaart, construits pendant l'existence du royaume des Pays-Bas, sera commun aux habitants des deux pays; il sera arrêté un règlement sur cet objet. >>

Cette proposition relative aux eaux intérieures remplis

sait une lacune des traités de 1815, qui établissaient la liberté de la navigation du Rhin, mais ne parlaient pas des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin. Mais la clause que la négociation ultérieure relative à cet objet devait se faire entre les parties intéressées soulevait bien des critiques, puisqu'ainsi l'on nous faisait régler cette question avec la Hollande. Or celle-ci avait cherché de tout temps à contrarier nos combinaisons commerciales et n'avait jamais eu pour système politique que de temporiser dans les questions d'arrangements pour des objets qu'elle avait en son pouvoir et dont elle voulait user seule, témoin les négociations pour la navigation du Rhin avec les États allemands, plus puissants que la Belgique et à qui la Hollande avait tenu tête pendant quinze ans jusqu'au règlement définitif du 31 mårs 1831. On ne craignait plus, il est vrai, de voir la Hollande faire stationner une flottille à l'embouchure de l'Escaut pour empêcher le passage à tous les bateaux qui voudraient monter le fleuve jusqu'à Anvers, ainsi que cela se pratiquait en 1790. L'art. 7 des préliminaires, mis en rapport avec le traité de Vienne, proscrivait trop formellement cette prétention; mais rien n'établissait que la Hollande n'y pût percevoir à son profit des droits de péage excessifs sur les navires qui remonteraient l'Escaut, et des impôts, équivalents à la fermeture, pour passage des marchandises sur son territoire. On exagerait cette crainte et l'on entrevoyait des droits de péage, de convoi, de visite, des tourments et des tracasseries sans nombre. La Belgique accepta néanmoins, comprenant que pour prendre rang parmi les nations avec l'assentiment de toute l'Europe, il nous fallait nous montrer faciles et traitables dans tout ce qui n'intéressait pas directement notre indépendance et notre sécurité. Or, cette fois, ce fut la Hollande qui refusa d'adhérer aux dix-huit articles. Le roi Guillaume répondit

le 12 qu'il ne pouvait accepter les bons offices des puissances surtout lorsqu'elles étaient elles-mêmes parties intéressées dans la question de la libre navigation de l'Escaut bien qu'il fût disposé à ouvrir sans délai une négociation pour régler cette liberté. « Cette considération, disait-il, concerne de trop près la dignité du roi, l'indépendance de la Hollande et le respect que les puissances portent à celle de tous les peuples, pour s'y arrêter davantage. » Les difficultés restaient ainsi sans solution, lorsque le roi Guillaume, qui avait réuni depuis quelque temps son armée sur la frontière belge, fit envahir tout-àcoup nos provinces. L'intervention de l'armée française fut jugée nécessaire, et la Conférence de Londres, devant des prétentions inconciliables, trancha toutes les difficultés par un arbitrage forcé. Elle arrêta les arrangements définitifs le 15 octobre 1831 en 24 articles; la discussion en fut orageuse dans les chambres belges; c'est que la Conférence avait décidé la question territoriale en faveur de la Hollande et lui donnait non seulement la rive gauche de l'Escaut mais une partie du Limbourg et du Luxembourg. Les questions financières étaient d'un autre côté plus favorables à la Belgique et diminuaient sensiblement notre part dans la dette hollandaise. La Belgique subit le sacrifice imposé par la conférence, parce que du refus dépendait l'existence de la Belgique; c'étaient les décisions finales et irrévocables des cinq puissances qui, d'un commun accord, étaient résolues à amener elles-mêmes l'acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse, si elle venait à les rejeter.

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L'article 9 des 24 articles portait : « Les dispositions des art. 108 à 117 inclusivement de l'acte général du Congrès de Vienne relatives à la libre navigation des fleuves et rivières navigables seront appliquées aux fleuves et rivières

navigables qui séparent ou traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais. En ce qui concerne spécialement la navigation de l'Escaut, il sera convenu que le pilotage et le balisage, ainsi que la conservation des passes de l'Escaut en aval d'Anvers, seront soumis à une surveillance commune ; que cette surveillance commune sera exercée par des commissaires nommés à cet effet de part et d'autre ; que des droits de pilotage modérés seront fixés d'un commun accord et que ces droits seront les mêmes pour le commerce hollandais et pour le commerce belge. Il est également convenu que la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin, pour arriver d'Anvers au Rhin et vice-versâ, restera réciproquement libre et qu'elle ne sera assujettie qu'à des péages modérés qui seront provisoirement les mêmes pour le commerce des deux pays. »

Des commissaires devaient se réunir, dans le délai d'un mois, à Anvers, pour arrêter le montant définitif et permanent de ces péages et régler l'exécution des dispositions de cet article. La réciprocité était stipulée pour le droit de pêche en faveur des sujets des deux pays et, en attendant le règlement précité, la navigation des fleuves et rivières navigables devait rester libre au commerce des États, mais soumis provisoirement aux tarifs de la convention de Mayence du 31 mars 1831, pour la navigation libre du Rhin, ainsi qu'aux autres dispositions de cette convention, en tant qu'elles pouvaient s'appliquer aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois les deux territoires.

Cet article nous admettait donc à la propriété commune de l'Escaut; c'est ce que la Hollande repoussait formellement comme contraire à la souveraineté de son territoire. Elle ne consentait pas davantage à nous donner la libre navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le

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