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CHAPITRE Ier.

Des tonlieux en général. Leur antiquité.

commune à toute espèce de tonlieux.

Origine

Le tonlieu était un droit payé au souverain pour la faculté concédée aux marchands de traverser en sécurité son territoire. Tout pays était fermé et la faveur accordée de transporter des marchandises de l'un à l'autre, ou d'une partie du pays à une autre, semblait autoriser le propriétaire ou simple usufruitier à prélever certaine redevance. Dans l'origine celle-ci n'était perçue que sur les étrangers: c'était une sauvegarde; plus tard, les habitants mêmes du pays y furent soumis.

Il y avait ainsi des péages pour les transports par eau et par terre; ces derniers, perçus sur les routes ou dans les villes, portent spécialement le nom de tonlieu, mais ce mot est également générique pour désigner toute espèce de péage; c'est ainsi que nous le trouvons dans les chartes et ordonnances et que nous le considérerons dans la suite.

Quelle fut l'origine de ces péages? Depuis les temps les plus reculés, on trouve des vestiges de tonlieux; dans les législations des peuples barbares il en est souvent parlé, et dans le Code Théodosien, code qui dans nos provinces.

s'est perpétué dans les populations primitives, même après la conquête des Franks, nous trouvons mentionnés les tonlieux ou péages. Avant donc que d'examiner ce que furent ces péages dans les siècles primitifs de notre histoire, voyons rapidement ce qu'ils furent chez ce peuple qui laissa des traces si persistantes de son influence dans les mœurs, les coutumes et la législation de notre pays.

Ces péages remontent sinon aux premiers rois de Rome, du moins à leurs successeurs et furent bientôt odieux au peuple. Tite-Live nous apprend que Valerius Publicus les abolit dès la chûte des rois : Portoriis quoque et tributo plebe liberata, ut divites conferrent qui oneri ferendo essent. Mais à mesure que les besoins de la république allèrent croissant, il devint nécessaire de les remettre en vigueur. La loi Cecilia en suspendit de nouveau l'exécution et, selon Dion, Quia vectigalia Urbem et reliquam Italiam vehementer affligebant, lex quæ ea tollebat, omnibus gratissima erat (lib. 37).

Les empereurs renouvelèrent les anciens impôts et péages ou en créèrent de nouveaux, selon le témoignage du même historien: Augustus vectigalia partim priùs abrogata renovavit, partim nova excogitata instituit. Chez les Romains, l'uniformité ne paraît pas avoir existé dans les portoria ou tonlieux ', et les lois particulières de chaque ville ou la volonté du censeur qui les imposait y apportait fréquemment des modifications. L'empereur Pertinax, enfin, supprima les péages « établis, dit Hérodien, par les tyrans, sur les routes et chemins, pour se créer des ressources, et rendit la liberté à la circulation des produits.

' V. Dictionnaire de la conversation, art. PÉAGE.

L'histoire romaine constate ainsi, à diverses époques, l'existence des péages. Lorsque nos provinces furent soumises à la domination romaine, le lourd cortège d'impôts qui ruinait les pays conquis, les accabla également, et l'on ne sait que trop, par le système du fermage des impôts aux publicani, de quels maux ceux-ci pressurèrent les provinces de l'empire romain en extorquant des sommes beaucoup plus considérables.

Les empereurs Sévère et Antonin prescrivirent qu'aucun impôt nouveau ne pouvait être levé sans autorisation de l'empereur, ni décrété par les cités vectigalia nova nec decreto civitatum institui possunt, et Valérien, dans l'une de ses ordonnances, reconnaît que cette règle n'était pas enfreinte; mais, pour prévenir la fraude dans la perception, il ordonna que celle-ci fût établie par un tableau des droits que l'on ne pourrait plus dépasser et, en outre, que ce qui serait prélevé illégalement serait restitué 1. Constantin porta même contre les fermiers des édits plus sévères, punissant de l'exil ceux qui se rendraient coupables du crime d'établir dans les provinces des charges plus élevées que les vieilles coutumes ou les lois du fisc le permettaient 2.

Mais si les empereurs poursuivaient les exactions, ils voulaient aussi que tous contribuassent aux impôts et aux péages, témoin Valentinien et Valens qui, dans leur rescrit ad Florentum, prescrivaient que « nul ne doit être exempté des péages, parmi ceux qui font le commerce ou qui trans

1

Ergo et exigi aliquid quod illicite poscatur competens index vetabit et id quod exactum videtur, si contra rationem Juris extortum est, restitui jubebit.

* C. IV. 62. Si provincialium nostrorum querela de conductorum aviditate constiterit, et probatnm fuerit ultra vetustam consuetudinem et nostræ terminos jussionis aliquíd cos profligasse, rei tanti criminis exilio perpetuo puniantur.

portent des marchandises, excepté les bateliers, lorsqu'il est prouvé qu'ils transportent pour leur propre compte 1. »

Les impôts n'étaient pas entièrement établis au profit du fisc; celui-ci en percevait une double part et le reste était attribué à l'État, sous réserve des besoins publics des villes et des ordres. On formait ainsi trois parts, dont deux étaient attribuées au fisc du prince depuis l'institution même de ces droits; la troisième fut donnée aux villes et municipes par Théodose et Valentinien, de telle manière que ces villes furent elles-mêmes les arbitres de leurs ressources et dépenses sans devoir se reposer sur autrui. Ces empereurs accordèrent même de placer ces droits où les municipes le croyaient le plus de leur intérêt, en respectant toutefois les droits des ordres et des cités 2.

Dans nos provinces, les péages s'établirent de bonne heure, et dans la loi salique il en est parlé comme existants d'après l'ancienne coutume, antiqua consuetudine; leur existence remontait donc à une époque reculée, soit que les péages perçus sous les Romains se fussent continués, soit que les conquérants plus récents en eussent introduit de nouveaux.

Dans les législations des barbares, comme dans la loi

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1 Vectigalium enim non parva functio est, quæ debet ab omnibus, qui negotiationis seu transferendarùm mercium habent curam, æquâ ratione, dependi, exceptis naviculariis, quum sibi rem gerere probabuntur.

2

(COD. THOED., Const. IV.)

Exceptis his vectigalibus quæ ad sacrum patrimonium nostrum quocumque tempore pervenerunt, cetera reipublicæ, civitatum atque ordinum æstimatis dispendiis, quæ pro publicis necessitatibus tollerare non desinunt, reserventur, quum duas portiones ærario nostro conferri prisca institutio disposuerat; atque hanc tertiam jubemus adeo in ditione urbium municipumque consistere ut proprii compendii curam non in alieno potius quam in suo arbitro noverint constitutam. Designatæ igitur consortium portionis eatenus juris ordinum civitatumque obnoxium maneat, ut etiam locandi, quanti suâ interest, licentiam sibi noverint constitutam.

romaine, c'est le chef de l'État qui seul accorde l'autorisation d'établir des péages. Dans ces lois les thelonie, les tonlieux, sont mieux séparés et désignés spécialement; dans la loi romaine les vectigalia étaient les droits d'entrée sur les marchandises, c'est-à-dire les droits du vingtième ou du quarantième (quadragesima) et les portoria, les péages sur chemins, routes et rivières; mais nous avons vu plus haut (rescrit de Valentinien et Valens) les vectigalia s'appliquer aussi à ceux qui transportaient les marchandises, à l'exception des marins; cette exception ne pouvait s'entendre que des tonlieux, et non des droits de douane, l'arrivée par mer ne donnant nullement l'entrée libre aux produits. Nous trouvons plus tard le mot telonei, et celui-ci est écrit dans les lois et les chartes de manières très-diverses: theloneus (lex salica), theloneum (1. langobardorum), tholoneum (capitul. Caroli) tolnetum, tunleium (vers 1083), tool et tollium (charte de 1165), toolagium (sous Philippe-le-Bel), thelonagium (dans diverses bulles des papes), et en français tonnelieu et tonlieu.

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La loi salique défendait que l'on exigeât de personne des tonlieux dans des lieux ouverts, là où il ne fallait pas passer l'eau dans un navire ou traverser un pont, et la loi des Langobards (liv. III, titre I, loi 5), réprimant la perception des tonlieux abolis, ne permet d'en lever que là où les usages anciens en avaient établi, preuve évidente de l'antiquité du péage. Et, de même que la loi des Saliens, celle des Langobards voulait que le péage fùt la rémunération d'un

Teloneus aut census non exigatur a quolibet uti nec aquam navigio aut pontem transeundum non est.

(Cap. Car. ad legem Salicam 818) Codex legum antiquarum. Lindenbrogi. Francoforti (1613).

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