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CHAPITRE V.

L'Escaut de 1839 à 1863..

Actes qui ont précédé le rachat du péage de l'Escaut.
Préliminaires et traité du 12 mai 1863.

L'Escaut après le traité de 1839 fut donc libre; le droit de fl. 1.50 par tonneau payé par le trésor belge ne portait point de préjudice à la navigation, ne causait ni embarras ni vexation aux capitaines de navires, mais pouvait occasionner, par un accroissement de prospérité commerciale, des sacrifices de plus en plus lourds pour le gouvernement. C'est ce qui arriva en effet. La navigation les ports de Gand et d'Anvers s'accrut dans une proportion considérable; le mouvement maritime depuis 1840 à 1862, c'est-à-dire en vingt-deux ans, avait triplé '. La somme payée pour droits à la Hollande s'était accrue dans une proportion très forte, puisque de 612,373.33 fr. en 1840 elle était montée à 2,184,105.88 en 1861, soit plus que le triple; la Belgique depuis 1839 y avait consacré plus de 25,000,000 de francs et les capitaux dépensés pour cet objet et mis à intérêts de 5 %, correspondraient à un capital de 47,650,000 francs.

Or si la Belgique, pour ne pas entraver la navigation de notre fleuve, avait consenti lors du traité avec la Hollande

1 V. notes à la fin.

en 1839 à rembourser ce péage, devait-elle continuer à acquitter une charge qui s'aggravait sans cesse et qui, aux termes des traités, eût dû être répartie entre tous les États participant à cette navigation? La loi du 2 mai avait stipulé qu'avant le 1er janvier 1843 on aurait examiné si le bénéfice de la disposition du remboursement par l'État, devait être maintenu en faveur des pays avec lesquels il ne serait pas intervenu d'arrangements commerciaux; cette question fut posée par le projet de loi du 10 novembre 1842 prorogeant ce terme jusqu'au 1er juin 1846, non résolue directement, mais convenue par cette clause que tant que la loi du 5 juin 1840 ne serait pas retirée, elle subsisterait dans ses effets. Le gouvernement n'était donc point tenu de perpétuer ce péage et il avait usé en 1842 et en 1843 à l'égard de la Prusse et des États-Unis du droit de suspension du remboursement du péage, à la suite d'entraves apportées par ces puissances à notre commerce et à notre navigation dans leurs ports. Les navires prussiens, au nombre de 70 en 1841, de 80 en 1842 et de 129 en 1843, jouissaient des faveurs de tonnage et de pilotage accordées aux navires nationaux, ainsi que du remboursement du péage de l'Escaut, tandis que nos navires au nombre de trois, pendant ce même temps, étaient soumis à des surtaxes et à des droits extraordinaires de pavillon; ce retrait provisoire -28 juillet 1844 des avantages accordés aux navires prussiens, en l'absence de toute réciprocité, cessa par un arrangement conclu avec la Prusse le 7 septembre suivant, et l'on remboursa même les droits divers et le péage non restitué pendant le temps où ces mesures extraordinaires restèrent en vigueur.

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Dans nos traités avec plusieurs pays, la stipulation du remboursement du péage avait été, il est vrai, pour le gouvernement l'occasion de réclamer, en échange, pour

notre commerce des avantages commerciaux; l'insertion de clauses relatives à la libération de leurs navires avait ainsi acquis à ces pays un remboursement permanent pendant l'existence de leurs traités avec la Belgique ; tant que duraient ces conventions, le gouvernement était donc tenu de ne rien modifier à cette restitution de droits. Cependant cette charge devenait trop lourde pour que notre gouvernement pùt la supporter seul indéfiniment 1.

En 1856 les délégués des puissances européennes discutaient à Copenhague les conditions auxquelles les péages du Sund et des Belts pourraient être abolis. La Belgique saisit cette occasion, sous la direction de M. le vicomte Vilain XIIII, ministre des affaires étrangères, pour rappeler publiquement que le remboursement du péage de l'Escaut n'était pour personne un droit acquis, et demanda au Danemark d'être dispensé du paiement de sa part contributive dans le rachat des droits du Sund et des Belts, promettant de son côté de rembourser le péage de l'Escaut au pavillon danois et d'acquitter la quote-part du Danemark dans la capitalisation ultérieure de ce péage.

Le principe du rachat ayant été admis par toutes les puissances pour la capitalisation des droits perçus sur le Sund, et toutes ayant consenti à contribuer, pour une partie correspondante, aux droits payés chaque année par leurs navires dans la formation du capital nécessaire à ce rachat, la Belgique mit en avant la question de capitaliser également le péage de l'Escaut et d'y faire participer chaque puissance; le Danemark fit des objections, mais reconnut enfin l'équité de la proposition de la Belgique. Il reçut 30,476,325 reichsthalers, répartis entre les diverses.

Exposé des motifs de la loi portant rachat du péage de l'Escaut,

puissances maritimes, et la Belgique y participa pour 301,455 reichsthalers.

Le principe était posé, le fait devait se réaliser dans un avenir plus ou moins prochain; la Belgique ne le pouvait pas immédiatement parce que, comme nous l'avons dit plus haut, elle avait établi en obligation formelle vis-à-vis de certaines puissances le remboursement qui, d'après la loi de 1839, n'était qu'un acte volontaire et non obligatoire; elle devait donc reconquérir, à l'expiration des traités, sa liberté d'action et ce fut dans ce sens que travaillèrent sans relâche nos agents diplomatiques près des cours étrangères sous l'habile et intelligente direction du secrétaire général des affaires étrangères, M. le baron Lambermont.

Cette question rencontra en 1860 une nouvelle circonstance favorable pendant que M. le baron de Vrière occupait le département des affaires étrangères, la capitalisation du péage du Stade perçu par le gouvernement hanovrien. Le résultat nous fut favorable, et le 13 février 1861 le remboursement fut résolu par les mêmes principes que celui du Sund; la Belgique fut taxée à 19,413 thalers pour sa part des 2,857,238 thalers, et ce fut en échange de la part éventuelle du Hanovre dans le rachat du péage de l'Escaut que le gouvernement acquitta notre part dans la capitalisation du droit de Stade ou de Brunshausen.

Les voies étaient donc préparées et la Belgique pouvait également faire un appel aux nations maritimes pour capitaliser le péage de l'Escaut et réclamer pour elle ce que l'on avait fait pour le Sund et pour l'Elbe. Nos traités de commerce de 1856 à 1861, arrivés à leur échéance ou dénoncés, avaient fait place à de nouveaux arrangements qui nous permettaient de mettre un terme au remboursement du péage.

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Le gouvernement s'adressa d'abord à celui des Pays-Bas qui fit le meilleur accueil à nos démarches; les relations amicales établies entre la cour de La Haye et celle de Bruxelles avaient aplani les difficultés politiques antérieures et faisaient espérer de voir réaliser cette grande mesure si éminemment utile et féconde pour notre commerce.

Après avoir obtenu l'adhésion de la Hollande, le gouvernement s'adressa aux divers États intéressés.

L'Angleterre y souscrivit et presque toutes les nations maritimes accueillirent favorablement les propositions de la Belgique. Le principe accepté, il restait à déterminer deux questions.

Il fallait établir et le capital de rachat et la répartition à faire entre les divers États chargés de le fournir. Des négociations furent ouvertes avec le cabinet de La Haye, afin de fixer le chiffre de la somme totale moyennant laquelle il renoncerait au péage, et avec les États intéressés, pour discuter leur contingent et le nôtre.

Le péage étant établi d'après le tonnage, chaque État devait contribuer pour une part proportionnelle au mouvement de sa navigation dans l'Escaut. La Belgique, qui avait le plus d'intérêt à résoudre la question, mais qui eût difficilement pu faire accepter par les autres États une part relativement aussi élevée que la sienne, agit comme l'avait fait Hambourg et prit une quote-part plus considérable dans la capitalisation, afin de faciliter la solution générale. Elle inscrivit donc à sa charge un tiers du capital entier. Les deux tiers restants devaient être divisés entre les autres

États, au prorata de l'importance de leur navigation.

Ce mode de répartition fut adopté par l'Angleterre, par le plus grand nombre des nations intéressées et par la Hollande pour la somme de 36 millions, chiffre qui servit de base aux diverses négociations.

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