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justices seigneuriales; mais la propriété en était à celui qui originairement avait contribué à leur construction et à leur entretien; cette participation se faisait d'après les modes les plus divers et c'est de là que se diversifiaient aussi les usages qui régissaient la propriété du sol des routes. Charles-le-Chauve, portant un édit en 844 sur la reconstruction des ponts, dit : « ubi antiquitùs fuerunt (pontes) reficiantur ab is qui honores illos tenent de quibus ante pontes facti vel restaurati fuerunt. » Quelle que soit la signification du mot honores, ce capitulaire nous montre la diversité des modes de contribution et nous porte à croire que', là où on levait des tonlieux, les restaurations devaient se faire sur les fonds du tonlieu '.

Toutes les questions concernant la propriété du sol de nos grands chemins, dit RAEPSAET, ont été réglées par la possession et l'usage, et le roi et les seigneurs respectifs ont leur intention fondée en droit pour les parties du chemin qui traversent leur seigneurie, parce que, étant les propriétaires primitifs de leur villa, ils en sont demeurés les propriétaires et les possesseurs aussi longtemps qu'un tiers n'en a pas acquis une partie.

Il en fut des rivières comme des routes; le lit du fleuve n'appartenait pas au prince, témoin l'acte de Louis-leHutin ordonnant une enquête sur l'usage suivi, à l'occasion de la contestation soulevée par les seigneurs sur la juridiction du roi, : « super jurisdictionibus vero locorum, cheminorum, vel itinerum et fluminum publicorum, quas jurisdictiones domini territoriales infrà quorum jurisdictiones et terras prædicta consistunt, ad se pertinere asserunt, et per gentes nostras (officiers) dictas jurisdic

'RAEPSAET, Euv. compl. V.

tiones usurpantes indebile impeditos esse, inquiratur veritas, qualiter de præmissis usi sunt tempore beati Ludovici et ejus filii Philippi regis franciæ et stabitur illi parti quæ melius probabit et si non probetur, juri communi.» Le cours du fleuve n'était donc pas de droit régalien, sinon il eût été hors de saison de faire enquête sur l'usage suivi sous saint Louis et son fils, les droits régaliens étant imprescriptibles. Ici donc, comme sur les routes, le prince exerçait son pouvoir à titre de droit domanial et, par suite, pouvait donner en propriété privée les péages perçus sur les rivières. Tant que son autorité est respectée, il interdit les tonlieux prélevés sans son autorisation, témoin les ordonnances nombreuses des Carlovingiens. Sous les faibles successeurs de Charlemagne, les seigneurs s'emparèrent de toute la part de souveraineté qu'ils purent enlever au roi et établirent les péages malgré lui; mais au fur et à mesure que le souverain sait faire respecter son autorité ou qu'il en ressaisit quelque partie, il réprime les abus et dispose de ces domaines aliénables en faveur de ceux qu'il croit dignes de cette marque de bienveillance.

Résumant donc les faits et les principes renfermés dans ce chapitre, nous voyons les tonlieux, établis par l'esprit fiscal des Romains, appliqués dans notre pays par ces conquérants sur une large base; ces péages existaient aussi chez les Gaulois, et César parle des vectigalia perçus par les Venètes, et Tacite des vectigalia et onera commerciorum, douanes, connues à Cologne; les villes de Varnes et d'Autun en prélevaient également. Ils se maintinrent sous les Franks, et dès les premiers rois, l'existence en est signalée, sous Gontran, Childéric et Sigebert, vers le milieu du VIe siècle; les tonlieux nous sont renseignés dans l'édit de 615 dans lequel Clotaire II ordonne de lever les tonlieux per ea loca et de specibus ipsis, comme sous les règnes de ses prédécesseurs.

Déjà, en 575, fut donné par Chilpéric au chapitre de Tournai le tonlieu de l'Escaut, qui était perçu non seulement sur les bateaux naviguant sur ce fleuve, mais encore sur tout commerce par terre et par eau, sur le passage des ponts et sur les marchandises'.

Ces tonlieux, autorisés par les rois, étaient perçus avec leur assentiment et bien souvent au profit de particuliers, d'abbayes, de couvents et de villes. Ils n'étaient pas originairement royaux et appartenaient aux propriétaires riverains; plus tard ils devinrent l'apanage des rois. Clovis a dù déjà les constituer comme bénéfices aux chefs des diverses tribus qui avaient fait la conquête avec lui, en même temps qu'il leur donna les villæ, les honores, les pagi, etc.; mais ces seigneurs ne tardèrent pas à introduire des tonlieux nouveaux, réprimés, abolis par Pépin et Charlemagne, mais inutilement combattus par leurs successeurs. Le pouvoir et les richesses des féodaux s'accrurent ainsi au détriment des suzerains, et Hugues Capet ne put que les autoriser définitivement pour s'attacher davantage des rivaux mécontents de son avénement au trône.

Le pouvoir royal, en s'affermissant, les reprit, les organisa, en concéda des parties à titre gratuit ou onéreux; dans la suite, les tonlieux consentis aux propriétaires par le prince, devenus des objets d'exactions et d'injustices, passèrent entre les mains du fisc pour être perçus uniquement à son profit; mais dès lors leur assiette ne fut changée, ni augmentée qu'avec l'assentiment des États.

Après les tonlieux parurent dans nos provinces les droits d'entrée, de sortie, de transit, de prohibition, même en

1 RAEPSAET, V, 177, de navibus superfluvio scalt, vel quolibet commercio seu et de carragio (charette) vel de sagenis (bateaux), de ponte super fluvio scalt, vel de omnibus venalibus ubicunque vendantur.... undecumque teloneus exigetur.

temps de guerre, ces dernières modérées par les licentes ou autorisations spéciales; puis vers le fin du XVIIe siècle, les droits de douane tels qu'ils sont restés jusqu'à notre époque, perdant toutefois dans les dernières années leur caractère protecteur pour remplir un but plus essentiellement fiscal.

Quant au tonlieu sur l'Escaut, celui dont nous aurons spécialement à nous occuper, il appartenait au duc de Brabant qui en départit diverses parts à des particuliers, ainsi que nous le verrons plus loin.

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Noms divers sous lesquels il fut perçu. Droits de

conduite sur le Hont.

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Nous rappellerons, comme un souvenir et non comme une preuve de l'ancienneté du tonlieu perçu sur l'Escaut à Anvers, la fable de la prétendue origine de cette ville. Inventée par Lucius Tongrensis, à qui du moins on l'attribue, elle fut acceptée par les premiers annalistes; mais plus tard Divæus, Molanus et Miræus ne la considérèrent plus que comme une fiction dénuée de tout fondement. Si donc, avec les historiens modernes, nous ne regardons que comme une fable, trouvée après coup pour l'explication d'une origine ignorée, cette légende qui persiste toujours dans l'esprit populaire, n'a-t-il pas existé un fait qui lui ait donné quelque apparence de vraisemblance et de vérité ? Le péage prélevé par le seigneur, ou le chef des Ganerbiens aux temps plus historiques, tel que fut peut-être Rauhingus, n'avait-il pas déjà une existence antérieure?

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