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CHAPITRE III.

L'Escaut, du traité de Munster à 1795.

Décadence. Quelques mesures favorables au commerce. Tentatives de Joseph II pour rouvrir l'Escaut.

A partir de 1648, le commerce d'Anvers fut complétement nul; nous ne recevions plus les denrées coloniales que par l'intermédiaire de la Hollande; celle-ci s'était réservé l'approvisionnement d'Anvers, des environs et de la Belgique entière, non seulement de ces denrées, mais encore du sel raffiné que l'article 13 avait également assuré entre les mains des Hollandais.

Est-il étonnant dès lors que le découragement fut tel à Anvers que l'arrivée d'un navire de Biscaye en 1665, venu par les eaux intérieures des Flandres et chargé de vins d'Espagne, ait été un véritable événement? Le magistrat en eut une telle satisfaction qu'il fit cadeau au capitaine, au nom de la ville, d'un ornement de vaisseau valant douze fl. de Flandre, tant Anvers était émerveillée de voir dans son port d'autres navires que ceux de Hollande et dès cet instant même saluait avec transport l'espoir de voir revivre ses quais. Mais ce n'était qu'une espérance passagère et mensongère ! Quelques mesures prouvent cependant que

l'on ne considérait pas toute prospérité comme évanouie. En 1666, Charles II octroya au magistrat d'Anvers le droit de prélever une redevance de 1/4 % 1 sur les marchandises et denrées conduites à Anvers par les eaux intérieures des Flandres, afin de consacrer le produit, jusqu'à concurrence de fl. 40,000, à la construction et à l'armement d'une frégate destinée à protéger le commerce. Or celui-ci depuis 1585 n'était plus qu'un commerce intérieur de consommation d'une certaine importance encore, mais dont les vaisseaux ne pouvaient dépasser Lillo. Cette mesure fut donc d'une inefficacité complète. Un autre projet formé sous la sage administration de Maximilien de Bavière, plus utile s'il avait pu se réaliser, était celui du creusement d'un canal à travers le pays de Waes, de Bruges à l'Escaut, aux environs du fort Marie; puis, en 1698, l'octroi des lettres-patentes pour l'érection d'une compagnie commerciale, dans le but de trafiquer directement avec la Guinée et les Indes orientales. Mais peu après (1er novembre 1700) Charles II mourut et la guerre qui s'éleva en Europe au sujet de la succession de ses vastes états ensanglanta nos plaines et nous livra à la merci de nos rivaux, les Hollandais et les Anglais, unis par par le traité de La Haye connu sous le nom de la Grande Alliance.

Pendant six ans les troupes alliées couvrirent la Belgique ; après Ramillies, le conseil d'État fut subordonné à une commission anglaise, présidée par le duc de Marlborough, et soumise à ses ordres ou réquisitions. Celles-ci ne tendirent qu'à un seul but, la destruction de notre commerce; les édits de Maximilien furent abolis, et le pays ruiné fut livré à la concurrence absolue des producteurs anglais et hollandais.

1 KREGLINGER, Impôts communaux.

La paix d'Utrecht (1713) suivie du funeste traité de la Barrière (1715) nous fit passer à l'Autriche et celle-ci dut subir les conditions humiliantes que Philippe IV avait acceptées à Munster: le commerce des Pays-Bas autrichiens (art. 20) et tout ce qui en dépendait devait rester sur le pied établi par la convention de Munster qui se trouvait confirmée par le traité de 1715. Les réclamations des Belges furent vaines, l'empereur Charles VI fit valoir des raisons d'intérêt général et nous fùmes de nouveau sacrifiés aux exigences d'une politique égoïste et odieuse.

Et cependant les Belges ne se décourageaient pas; le projet de creuser un canal d'Anvers à Ostende fut repris, on commença même les travaux; mais le gouvernement, animé du meilleur zèle apparent, ne fit rien pour nous et recula devant des menaces jalouses. Le canal resta inexécuté.

Pendant cette triste période, depuis 1715, et malgré les efforts tentés, sous l'administration paternelle de Charles de Lorraine, pour nous relever de l'étreinte mortelle où nous tenait une main perfide et plus puissante, le commerce était mort, les flots de l'Escaut en remontant devant la ville n'y apportaient plus, comme au temps de la splendeur commerciale, des navires nombreux et de riches cargaisons.

On favorisa bien par divers édits le transit vers l'Allemagne, on établit des entrepôts dans différentes villes (Anvers, Bruxelles, Bruges, Gand, Malines, Nieuport) où les marchandises pouvaient séjourner franches de droits pendant un an; mais le commerce et la navigation étaient nuls, les navires ne venait plus que très-rarement par les eaux intérieures.

Après le traité de la Barrière, avait été conclue avec les Provinces-Unies une convention ultérieure, le 22 décembre 1718, par laquelle il fut établi qu'un accord plus explicite

aurait été convenu au sujet des intérêts commerciaux ; mais le 16 mars 1731 rien encore n'avait été réglé, et lorsqu'à cette année fut confirmée à Vienne la Pragmatique-Sanction pour assurer la succession du trône d'Autriche, la paix fut maintenue de nouveau au détriment de la Belgique. L'on sait comment.

La compagnie d'Ostende, octroyée par lettres-patentes du 19 décembre 1722 de Charles VI, fondée au capital de six millions de florins, avait entrepris de relever le commerce de la Belgique, en amenant à Ostende de riches cargaisons de thé, de soieries et autres produits des Indes. Les premières opérations avaient été saluées avec joie et couronnées d'un succès matériel très-important; plusieurs expéditions furent organisées et rien ne les arrêta, ni la destruction inique des établissements fondés à Bankibas, sur les bords du Gange, et à Coblon sur la côté du Coromandel, entre Madras et Sadraspatnam; ni la prise de ses vaisseaux par des capitaines hollandais, autant à redouter pour nos marins que les corsaires et pirates d'Alger ou de Tunis; ni les difficultés sans nombre que nous suscita la jalousie de l'Angleterre et de la Hollande. La première rendit passibles de fortes amendes (£500) tout Anglais convaincu d'avoir navigué pour compte de la compagnie, la seconde punit de bannissement perpétuel et de la confiscation des biens, tout Hollandais servant dans la marine belge. Malgré ces obstacles, les Belges continuèrent avec un même courage. Mais cette énergique persévérance ne rencontra que tiédeur de la part de nos gouvernants; et notre cause si juste fut sacrifiée aux exigences iniques de la Hollande qui invoquait faussement les art. 5 et 6 du traité de Munster pour nous interdire tout commerce dans les Indes. L'intérêt politique de la maison d'Autriche dominait cette question vitale pour le commerce belge; l'empereur céda aux circonstances et,

dans l'intérêt de la succession de sa fille au trône, il fit le le sacrifice des droits et de la fortune de ses sujets.

Il fut établi par le même traité qui sanctionnait que tout. commerce et navigation entre les Pays-Bas autrichiens et les Indes orientales cesseraient pour toujours, que des commissaires se seraient réunis à Anvers pour convenir de tout ce qui concernait les Pays-Bas catholiques, dans le sens de l'art. 26 du traité de la Barrière et principalement pour faire un nouveau traité de commerce et le tarif des droits d'entrée et de sortie. Nous n'étions plus en effet libres de régler nous-mêmes ce qui concernait nos tarifs de douanes! Des conférences furent ouvertes en conséquence en 1737, mais n'aboutirent pas, par la mort de Charles VI en 1740, et les graves événements dont la Belgique fut de nouveau le théâtre interrompirent les négociations. Elles furent reprises à Bruxelles en 1751, mais sans succès, les Hollandais ne voulant pas admettre le premier principe posé par les commissaires impériaux, que les engagements devaient être réciproques et réciproquement exécutés.

Tant d'audace irrita les Hollandais qui refusèrent de continuer les préliminaires et la situation resta telle jusqu'à ce que le successeur de Marie-Thérèse réclamât en 1781 le départ des troupes étrangères logées dans les divers forts d'après les dispositions du traité de 1715.

Cependant, bien que le commerce fùt peu prospère sous l'administration de la maison d'Autriche, les droits de tonlieu avaient encore certaine importance.

Depuis le 9 mai 1644, Anvers jouissait de l'administration des tonlieux par la cession, sous forme d'engagère, que lui en fit Philippe II pour la somme de 360,000 florins ou 250,000, selon d'autres. Elle la conserva jusqu'en 1763; mais

1 BRIAVOINE.

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