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qu'ils se virent entourés par trente mille hommes de troupes, ils redevinrent plus exigeans que jamais. On fit de Lyon une place de guerre, on l'enveloppa dans un réseau de forts détachés; les esprits s'aigrirent. L'autorité, au lieu de s'interposer entre les deux partis, poussa à des mesures de rigueur en engageant les fabricans à ne rien, céder, et la prospérité du commerce lyonnais fut de nouveau compromise.

Les ouvriers redemandèrent l'exécution du tarif pour lequel ils avaient couru aux armes; on le leur refusa inhumainement; ils se seraient contentés d'une légère augmentation qui les aurait mis en état de nourrir leurs enfans; on parla au contraire de réduire encore leur modique salaire. A ces griefs venaient se joindre d'autres griefs non moins graves quelques misérables (ces faits n'accusent point des classes entières, il n'est question ici que d'un petit nombre d'individus signalés déjà au mépris de leurs concitoyens); quelques misérables, disonsnous, portaient le désordre et l'infamie dans

les familles des ouvriers, en cherchant à corrompre leurs femmes, leurs filles ou leurs sœurs. Tout ce qui avait quelque jeunesse ou quelque beauté était une proie assurée à leurs brutales passions; pour en venir à bout, ils usaient des moyens les plus révoltans, le besoin et la faim. Ces griefs, malheureusement trop réels, poussèrent l'exaspération au plus haut point, et les ouvriers jurèrent de nouveau de se venger. Ils se réunirent par des associations, ils se formèrent en sections, nommèrent leurs chefs, achetèrent des armes; et ce qui n'était d'abord qu'une querelle particulière, devint une affaire politique qui ne tendait à rien moins qu'à renverser la monarchie de juillet pour lui substituer la forme républicaine.

Dès lors la tranquillité publique fut mise en question tous les jours, les clubs et les assemblées populaires s'organisèrent, les ouvriers se coalisèrent et refusèrent de travailler si on ne faisait pas droit aux conditions qu'ils prétendaient imposer; le pouvoir ne fit encore rien pour calmer les esprits et

les ramener à l'ordre par la conciliation; loin de là, il semblait qu'il s'efforçât d'envenimer la querelle; il irrita les récalcitrans par les provocations intempestives et les insultes quotidiennes de ses journaux salariés et par le ton menaçant de ses arrêtés; il voulait en finir à tout prix, donner une leçon vigoureuse et prendre une revanche complète de la défaite de novembre, qui avait donné au peuple une haute idée de ses forces.

Dans le courant du mois de février dernier, une collision sérieuse fut sur le point d'éclater; tout le monde la prévoyait et l'annonçait, on fixait le jour et l'heure comme pour un spectacle. L'autorité le savait, mais elle n'agissait pas; elle ne voulait pas prévenir le mal : son but était d'en venir à le réprimer par la violence. Des attroupemens nombreux se montraient sur tous les points: au lieu de chercher à les dissiper par la douceur et la persuasion, par de sages et équitables concessions, on provoqua encore, on brava cette multitude sans armes, qui cette fois fut prudente et ne

recourut pas aux voies de fait. Les dispositions étaient prises, et l'on n'attendait qu'une pierre lancée ou un coup de fusil tiré dans la foule pour charger avec fureur et donner un libre cours à une vengeance impatiente de se signaler.

Après quinze jours d'agitation et d'inquiétude, le calme revint en apparence; mais les hommes sages prévirent bien qu'il ne durerait pas. Le mécontentement et la colère étaient trop grands chez les ouvriers, le désir d'en venir aux mains était trop manifeste, trop flagrant du côté de l'autorité. Quelques mutuellistes (1) furent arrêtés et livrés aux tribunaux. Cependant tout n'était pas fini; il semblait au contraire décidé que la guerre était déclarée; les partis étaient en présence; et retirés chacun dans leur camp, ils se préparaient au combat. Dorénavant il n'est plus question d'ouvriers demandant ou refusant du travail, c'est la république en pré

(1) On appelle ainsi une association composée de la plu part des chefs d'ateliers.

sence de l'orléanisme. Cependant les républicains prudens et modérés, comprenaient que le moment d'agir n'était pas venu, et ils voulaient qu'on attendît encore; mais la Société des droits de l'homme, composée des enfans perdus du parti, ne voulut rien entendre; la violence l'emporta dans les clubs, et il fut arrêté qu'on saisirait la première occasion favorable. Le pouvoir était prêt et ne désirait pas moins vivement que la lutte s'engageât: outre l'envie de regagner ses éperons perdus aux journées de novembre, dans la situation des esprits et des choses, il avait besoin d'une imprudente levée de boucliers de ses adversaires pour avoir un prétexte aux yeux de la nation de demander à une Chambre dévouée, des lois d'exception qu'il jugeait nécessaires à sa conservation. Il avait été obligé de réduire l'armée, il voulait aussi un prétexte pour la remettre sur le pied de guerre (1). On redoutait l'influence et les progrès tou

(1) Toutes les fois que le télégraphe apportait à Paris la

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