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souffraient, tandis que les soldats regorgeaient de tout. Ce n'était pas comme aux journées de juillet, où la garde royale ne recevait ni vivres ni munitions. Les rations de pain et de viande, de vin et d'eau-de-vic étaient faites largement et régulièrement; les soldats allaient prendre le fourrage, le bois et le charbon dans les bateaux, sans compter avec personne, car les propriétaires n'étaient pas là pour défendre leurs droits, et d'ailleurs leurs réclamations auraient été vaines auprès d'hommes qui, avant la victoire, traitaient déjà Lyon en pays conquis.

Quoique les troupes fussent maîtresses absolues des quartiers de Bellecour et de Perrache, elles étaient dans la continuelle inquiétude d'une surprise, au point que tous les toits des maisons autour de la place furent couronnés de soldats, pour qui l'apparition subite d'un chat était un sujet d'alarmes, tant ils avaient l'esprit frappé de l'idée que les insurgés étaient partout. Quand ils apercevaient une tête à quelque lucarne.ils n'hésitaient pas à tirer. On les a vus faire la chasse aux hommes sur les toits. Un malheureux fut tué sur une maison de la rue du Plat; un italien nommé Bertolio,

plâ

il

trier de profession, fut tué aussi dans la rue du Pérat. Poussé par une imprudente curiosité, cet homme était monté sur la maison de Bellevue, qu'il habitait, pour examiner l'aspect que présentait la place; il était sans armes; des voltigeurs l'aperçurent et le mirent en joue; il se sauva,'mais une balle l'atteignit et l'étendit roide mort; les soldats poussèrent du pied le cadavre était au bord du toit, et il tomba dans un petit jardin de da maison au coin de la rue du Pérat et de la Charité. Pour justifier ces meurtres, on disait que les insurgés tiraient des maisons voisines, ce qui ne pouvait se supposer raisonnablement; c'eût été se vouer en effet à une mort certaine, pour la stérile satisfaction de tirer un seul coup de fusil, car aussitôt qu'on entendait la détonation d'une arme à feu dans le voisinage, tout le monde était sur pied; cent voix s'élevaient, et malheur aux maisons que la peur ou la vengeance désignaient, elles étaient marquées non pas de la croix noire, mais par le boulet et une grêle de balles.

La lutte continuait pourtant sans que rien pût faire prévoir une solution, quoiqu'il fût arrivé des renforts de troupes et de l'artille

rie. Des nouvelles fâcheuses vinrent aggraver la position des choses; on apprit que Grenoble, Vienne et Saint-Etienne avaient tenté un mouvement républicain; le courage des insurgés s'en accrut; et les troupes craignant que le soulèvement ne fût devenu gé néral en France, commencèrent à calculer les suites possibles de leur acharnement contre le peuple.

Si le gouvernement avait voulu s'en tenir à la revanche des trois journées de novembre, la guerre civile aurait touché à son terme, car nous étions au soir du troisième jour; mais la leçon n'était pas assez complète. La nuit vint donc, comme les précédentes, non pour ramener le silence et le calme, mais pour envelopper de son voile funèbre des scènes de carnage et de destruc. tion qui ne semblaient plus qu'un horrible passe-temps.

QUATRIEME JOURNÉE.

SAMEDI 12 AVRIL.

La fusillade, qui n'avait pas ćessé pendant toute la nuit, reprit dès le matin avec une nouvelle énergie. Nous voyions déjà le quatrième soleil de l'insurrection, et les posi-. tions étaient de part et d'autre les mêmes que le premier jour.

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Dès le commencement, l'autorité avait donné le mot à ses suppôts, et on s'était hâté de répandre le bruit que la révolte était soudoyée par les légitimistes; l'autorité savait de reste qu'il n'en était rien, mais elle voulait exploiter cette opinion à son profit. En conséquence, des commissaires. de police furent envoyés à l'hôtel des Colonies, au domicile de M. Adolphe de Bourmont et de M. Sala, avec l'ordre de faire une visite rigoureuse chez ces messieurs, et de les conduire ensuite en prison. M. de Bourmont était arrivé de Paris depuis peu de jours, allant rejoindre sa famille en Suisse; il avait consenti à s'arrêter à Lyon pour aider au tirage d'une loterie faite au profit des Vendéens, et il était sur le point de repartir pour Genève, lorsque l'insurrection éclata et l'en empêcha. Quant à M. Sala, il était à Lyon depuis le commencement de décembre, tout le monde le savait, tout le monde le voyait, sa conduite était au grand jour. Si l'autorité avait eu des griefs réels contre lui, rien n'était plus facile que de l'arrêter tous les jours et à toutes les heures; mais plutôt, cela n'eût servi à rien en ce moment, au contraire, c'était une bonne fortune pour

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