Page images
PDF
EPUB

celui qui est mort pour le salut de tous! Ces hommes qu'on égorgeait étaient coupables, il est vrai; mais étaient-ils les seuls? Vous, hommes du pouvoir, vous combattiez avec eux naguère; comme eux vous étiez des révoltés, et vous avez déserté la cause du peuple pour l'opprimer. Parmi les exécuteurs de vos ordres impitoyables, combien en est-il qui furent décorés de la croix de juillet pour s'être mis en état de rébellion contre l'autorité légitime, et que vous avez décorés de la croix d'honneur en 1834, parce qu'ils se sont battus contre des révoltés avec lesquels ils marchaient en 1830?

Les taches de sang de l'église Saint-Bonaventure ne s'effaceront jamais; les assassins du peuple sont marqués au front d'un sceau indélébile comme les régicides.

Pendant tout le temps que les insurgés occupèrent le quartier des Cordeliers, l'église servit d'ambulance; on y recueillait les blessés, on leur donnait là les premiers soins, et ensuite on les transportait à l'Hôtel-Dieu; il y en a eu en tout vingt ou trente: presque tous acceptèrent avec empressement les consolations de la religion et les sacremens, qui leur furent administrés par les prêtres de la

paroisse. Plus tard on a fait à ces prêtres un crime de leur charité; ce serait donc aujourd'hui au samaritain qu'il faudrait adresser les reproches que l'Évangile fait à l'insensibilité du lévite? Un agent de police, le nommé Corteys, celui auquel les insurgés avaient fait grâce de la vie, quoiqu'ils eussent pris sur lui la liste des principaux chefs de la révolte, fut gardé dans l'église, ainsi qu'un sergent du 15° régiment d'infanterie légère et trois soldats du 6 de ligne, parmi lesquels était le caporal Merat, celui qui a dénoncé M. l'abbé Peyrard; aucun ne fut en butte à de mauvais traitemens.

Au moment où les insurgés virent qu'il ne leur était plus possible de tenir à Saint-Bonaventure, celui qui avait été chargé de garder l'agent de police Corteýs le relâcha en lui disant qu'il espérait qu'en temps et lieú il se souviendrait qu'on lui avait sauvé la vie, que quelques furieux demandaient à grands cris, Le premier usage que fit Corteys de sa liberté fut de profiter de la connaissance qu'il avait des lieux et de la retraite de plusieurs des insurgés pour y conduire les soldats.

Cet homme a reçu plus tard de la main des siens le châtiment de son ingratitude et

[ocr errors]

de son infamie. Revenant d'une expédition nocturne avec deux de ses pareils, il s'avança vers le factionnaire du pont Charles X, malgréles cris répétés de qui vive? Le factionnaire lui tira un coup de fusil à bout portant, et lui cassa l'épaule. On fut obligé de faire l'amputation du bras (1),

Les renseignemens pris sur les lieux s'accordent tous sur ce point, que les insurgés ne commirent là comme ailleurs aucun acte de violence, ni sur les personnes, ni sur les propriétés des habitans; ils se présentèrent dans les maisons, firent des quêtes, demandèrent du pain; ils reçurent ce qu'on leur donnait et ne prirent rien. Dans la nuit qui précéda le dénoûment du drame des Cordeliers, les ouvriers comprirent qu'ils s'étaient follement engagés dans une lutte dont l'issue ne pouvait que leur être funeste. Ils avaient ouvert les trois portes de la sacristie qui donnent sur la rue Champier, pour se préparer une retraite en cas d'une surprise qu'ils redoutaient pour la nuit même; on fut obligé d'enlever le Saint-Sacrement, qui avait été déposé à la sacristie; déjà on avait

(1) Il est mort plus tard des suites de cette opération.

1

dépouillé les autels, de peur de quelques profanations. Lorsque Saint-Nizier fut pris, les insurgés virent que leur fin approchait; quelques-uns songèrent à se sauver, les autres résolurent de mourir. Les prêtres les exhortaient à mettre bas les armes : c'était le langage qu'ils leur avaient tenu dès le commencement; ils avaient prodigué aux blessés et aux mourans les soins de leur saint ministère; ils ne pouvaient faire autre chose, et cependant on a arrêté l'un d'eux comme complice et coupable d'avoir fait des cartouches avec les insurgés. On sait que l'autorité voulait et voudrait encore mêler les légitimistes dans une affaire toute entre elle et les républicains. Elle pensa que rien n'agirait plus efficacement sur l'opinion publique, que la vue d'un prêtre accusé d'avoir participé à la rébellion, d'avoir fait des cartouches dans l'église même où il exerce les fonctions de vicaire, en face de ses collègues et de son supérieur, de son supérieur, dont le dévouement à l'ordre de choses n'est pas suspecté. Mais l'opinion publique a repoussé l'accusation, et elle a montré son indignation de ce que, sur le témoignage unique d'un sol

1

[ocr errors]
[ocr errors]

dat abruti par le vin, séduit peut-être par l'appât d'un salaire, on a arraché à ses amis et aux indigens dont il était l'appui, un jeune prêtre d'un caractère timide et pacifique, d'une piété douce et d'une modération reconnue, lorsque tous les témoignages se réunissent pour proclamer son innocence. On sera bien aise de lire la lettre écrite à ce sujet par le sieur Lagrange, après son arrèstation :

<< Prison de Roanne, le 13 juillet 1834.

« MON CHER CONCITOYEN,

« Je profite du premier moment où mon << secret cst rendu moins rigide pour vous << adresser l'extrait suivant de la déclaration << que j'ai faite dans mon interrogatoire à M. d'Angeville, juge d'instruction, qui a déployé dans l'accomplissement de ce de« voir la loyauté la plus impartiale et la plus « délicate.

« Je déclare sur l'honneur et sur ma foi << de républicain, que c'est un odieux men<< songe que l'accusation portée contre un << ou plusieurs de MM. les vicaires de SaintBonaventure, d'avoir contribué à la fabri

[ocr errors]
« PreviousContinue »