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CINQUIÈME JOURNÉE.

DIMANCHE 13 AVRIL.

Le dimanche matin 13, le feu sembla s'être ralenti, et tous les cœurs s'ouvrirent à l'espérance de voir la fin des malheurs auxquels la ville était en proie. Cependant

le canon grondait toujours et les coups de fusil se succédaient. La circulation fut enfin. permise; le colonel de la gendarmerie délivra des laissez-passer qui ne mettaient pas le porteur à l'abri d'une balle qu'une sentinelle aurait eu la fantaisie de lui envoyer au détour d'une rue; mais en les exhibant aux sergens ou aux caporaux commandant les postes, on pouvait aller chercher du pain et de la viande, s'informer de ses parens et de ses amis, et recueillir quelques nouvelles sur l'état des choses.

Depuis le premier jour de l'insurrection, pas un journal n'avait paru, cela sc-comprend facilement. Cependant le Réparateur, journal légitimiste, dont les bureaux et l'imprimerie sont dans un quartier qui fut occupé dès le premier jour par les insurgés, rendit compte, dans trois supplémens; des journées des 9, 10 et 11. Les deux premiers avaient été imprimés, le troisième était prêt à l'être. Quelques numéros de ces supplémens furent répandus dans la ville, dans la soirée du 12 et dans la matinée du 13, lorsqu'il fut permis de circuler. Ce jour-là, dix sapeurs du génie, commandés par un sergent, se rendirent à l'imprimerie du Répa

rateur, avec l'ordre de leur colonel de briser les formes du troisième supplément, dont on avait déjà tiré quelques exemplaires. Ce ne fut que par une sorte de transaction que l'imprimeur obtint de ces censeurs d'une nouvelle espèce la permission d'accomplir lui-même cette opération; car la destruction de la composition exécutée par des mains. plus accoutumées à manier la hache que des caractères, eût entraîné de graves dommages.

Ce fait-là est d'une haute importance; il suffit pour montrer la voie d'arbitraire et de despotisme dans laquelle le pouvoir avait le projet bien formé de s'engager; c'était un essai qu'on tentait sans se compromettre ; car l'ordre, qui d'ailleurs n'était que verbal, n'émanait pas directement du général commandant, mais d'un simple colonel, dont au besoin on aurait désavoué le zèle excessif.

Cependant le feu du canon des insurgés postés à Fourvières ne se ralentissait pas. On se décida enfin à les chasser de cette position; et au lieu de l'aborder par le Chemin-Neuf, comme on pouvait le faire sans risques, on envoya un fort détachement composé d'infanterie et de dragons, par la

chaussée Perrache, le pont de la Mulatière et Sainte-Foi, pour tourner une position qu'il était si facile de prendre de front, puisqu'elle n'était pas défendue par plus de dix ou douze hommes qui n'y restaient que parce qu'on voulait bien les y laisser. Ce détachement, fort d'environ 300 hommes, était arrivé sur la hauteur à trois heures après midi; il reconnut en passant le fort de Saint-Irénée et sès ruines encore fumantes; il n'y avait personne; il descendit ensuite par la rue des Fossés, qui va de la porte Saint-Irénée à celle de Trion. Dans ce trajet, il y eut quelques coups de fusil tirés de part et d'autre; un sergent major blessé grièvement, fut transporté chez le sieur Gagnières, pharmacien, rue des Machabées, où il expira avant la fin du jour. Les soldats, par représailles, fusillèrent un ouvrier ivre qu'ils trouvèrent en faction devant le cabarèt du sieur Morelon, à l'embranchement du chemin de la Favorite et de Champvert. A la vue de la troupe, les insurgés abandon ́ ́nèrent la barricade qui était à l'extrémité de la rue de Trion, à l'angle de la maison du sieur Gallin, aubergiste. Ils évacuèrent l'écurie, qui leur servait de corps de garde,

et s'enfuirent à toutes jambes par le chemin qui conduit de Saint-Just à la Quarantaine. Ils étaient quinze armés de fusils; et dans leur empressement de rentrer chez eux et de se cacher, ils jetèrent dans un jardin qui est au bas de la montée de Choulan, leurs quinze fusils, qui y furent retrouvés le lendemain par la troupe de ligne. Ainsi, cette insurrection, contre laquelle on déployait un si grand appareil de forces depuis cinq jours, était dissipée comme d'un souffle dans une de ses positions les plus fortes, par le seul fait d'une simple démonstration et d'un commencement d'attaque.

Le détachement, arrivé à l'extrémité de la rue de Trion, et en face de la barricade que les insurgés avaient abandonnée à son approche, enfonça la porte du sieur Tignat et celle du sieur Forest, et se mit à gravir au pas de course le coteau escarpé au sommet duquel se trouvé le plateau de Fourvières; il traversa le cimetière, le clos Billiet et celui de la Providence. Les soldats s'établirent aussitôt dans la maison de cette communauté, et tirèrent par les fenêtres sur les dix ou douze insurgés qui occupaient la terrasse de Fourvières. La place n'était pas te

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