Page images
PDF
EPUB

PREMIERE JOURNÉE.

MERCREDI 9 AVRIL.

LE mercredi 9 avril, le tambour se fit entendre dès six heures du matin. L'autorité militaire déploya toutes ses forces. Les troupes, le sac au dos et les armes chargées, furent rangées en colonnes serrées sur la place Bellecour; le 7° régiment de dragons

était à cheval; une batterie de campagne, mèche allumée, était prête à faire feu; un bataillon fut placé à la tête du pont de l'Archevêché, un autre à celle du pont volant, sur la rive gauche; une compagnie du 7o régiment d'infanterie légère se plaça par section sur la place Montazet, au coin de la rue des Prêtres; un bataillon du même régiment occupa la cour de l'archevêché, pendant que ses deux compagnies d'élite prirent possession de la cour et de la terrasse de l'hôtel de Chevrières; les issues de l'Hôtel-de-Ville étaient hérissées de chevaux de frise et gardées par des détachemens d'infanterie et de dragons; d'autres troupes restèrent détachées sur la place Tholozan, à la tête des ponts Morand, Charles X et de la Guillotière, du côté des Brotteaux et des faubourgs, pour conserver les communications; les forts Montessuy, ceux de la Mouche et de Lamothe, ainsi que la caserne des Bernardines, crénelée comme unfort, étaient défendus par des garnisons suffisantes, et les différens postes de l'intérieur de la ville avaient l'ordre de se replier aux premiers coups de fusil. Partout les troupes étaient échelonnées de proche en proche, de manière à pouvoir se donner la main s'il en

était besoin; tout le matin des patrouilles de cavalerie circulèrent au milieu des groupes, sans faire mine de vouloir les dissiper.

Il était facile de prévoir que s'il y avait du désordre, son foyer serait sur la place SaintJean et à l'entour du tribunal, puisque le procès des mutuellistes qu'on allait y juger était la cause ou le prétexte de l'irritation des esprits. Or, si l'on avait eu l'intention de prévenir ou de réprimer sur le champ l'insurrection qui grondait menaçante, rien n'était plus facile; il ne fallait pour cela que faire occuper la place Saint-Jean et ses abords par de nombreux détachemens qui auraient empêché tout rassemblement sur ce point. Mais, nous le répétons, on voulait infliger une leçon sévère au peuple lyonnais. Une circonstance accrut encore la confiance aveugle des malheureux que les avis bienveillans d'une administration paternelle auraient peut-être fait rentrer dans l'ordre. On avait placé en première ligne, sur la place Montazet, dans les cours de l'archevêché et de l'hôtel de Chevrières, ainsi que nous l'avons déjà dit, une partie du 7o régiment d'infanterie légère, le même qui avait bu et fraternisé avec le peuple quatre jours auparavant,

Les républicains se croyant sûrs de la garnison, et surtout de ce régiment, qui avait donné des

preuves non équivoques de sa sympathie pour la cause populaire, se félicitèrent de cette disposition, qui leur présageait un succès assuré leur erreur fut grande et ils la payèrent chèrement; car l'autorité savait bien à quel point elle pouvait compter sur l'armée.

Soit curiosité, soit sécurité par suite du déploiement des forces militaires, il semblait que toute la population fût répandue dans les rues comme par un beau jour de fête. Les quais, les places et les ponts, qui, quelques heures plus tard, devaient être déserts et présenter l'aspect de la désolation, étaient couverts d'une foule immense qui circulait dans tous les sens, et promenait un regard inquiet sur la scène qui se préparait. La multitude se portait surtout vers le quartier Saint-Jean; on allait et venait sans obstacles, malgré les troupes formées en colonne serrée de distance en distance, et altendant, l'arme au pied, que le signal fût donné. Les bourgeois se groupaient instinctivement autour les uns des autres, comme font les troupeaux à l'approche de l'orage.

« PreviousContinue »