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A révolution qui bouleversa la fin du siècle dernier, en

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part sur le sol de la France, pour leur en substituer de nouvelles, dont le mérite est loin d'être incontestable, avait opéré du même coup une scission profonde entre les âges précédents et le nôtre, en sorte que, si ceux qui jouissaient du repos de la tombe, ne pouvaient plus entrer en communication avec leur postérité, leur postérité n'était guère tentée de se rapprocher d'eux, par la force de la mémoire et la puissance du souvenir.

Quand la terreur causée par des guerres civiles, et le fracas étourdissant produit par les guerres extérieures eurent fait place à un calme relatif, et que les esprits moins inquiets purent se livrer à l'étude, l'antiquité classique attira d'abord tous les regards; et les trésors littéraires de Rome et de la Grèce furent exploités avec un zèle et un enthousiasme, que les aspirations républicaines, violemment étouffées par l'Empire et prudemment dissimulées sous la Restauration, ne devaient pas contribuer à refroidir.

Si l'ère chrétienne et le moyen-âge furent momentanément négligés, il faut chercher la raison de ce phénomène, soit dans les ténèbres qui planaient encore sur ces époques, soit plutôt dans le dédain et la haine légués aux générations contemporaines, par une génération incrédule et railleuse. Mais la science moderne ne pouvait poursuivre des recherches rétrospectives sérieuses, sans rencontrer le Christianisme et l'Eglise. Comment fermer plus longtemps les yeux à la lumière du jour, et s'obstiner à ne pas voir celle que M. de Maistre comparait à « un lustre immense suspendu depuis plus de dix-huit siècles

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entre le ciel et la terre (1). » Le pinceau de Chateaubriand en fit admirer le génie; et les chercheurs en étudièrent les beautés, en archéologues plus encore qu'en disciples.

Mais si toute science offre des difficultés, la science sacrée en présente de plus grandes encore. Nous ne voulons pas répéter ici le mot de S. Paul: l'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'esprit de Dieu; c'est folie pour lui, et il ne peut le comprendre, parce que c'est par l'esprit qu'on doit en juger (2). Mais il nous est bien permis de rappeler, en pareille matière, certaine phrase tombée récemment de la plume de Mgr Gay, évêque d'Anthédon : <«<Au regard des choses et des personnes ecclésiastiques, le bon vouloir n'équivaut point à la compétence; il ne la remplace point; et le défaut de compétence amène souvent à compromettre les intérêts sacrés qu'on veut défendre (3). » Que dire quand le bon vouloir disparaît pour faire place aux préjugés et à la passion? C'est alors que l'ingérence de l'esprit laïc est vraiment à redouter.

Les anciens Romains avaient confié à leurs pontifes la charge de conserver par écrit le souvenir de leurs exploits. Il en était de même dans les premiers temps de la monarchie française; et l'histoire nationale était considérée comme un dépôt sacré, que l'on confiait à la garde de la religion. S. Grégoire de Tours, avait composé les dix livres de son Histoire, bien avant « qu'il y eut dans chaque monastère de fondation royale un religieux chargé d'écrire suivant l'ordre des temps, tout ce qui se passait sous chaque règne dans l'étendue du royaume, ou du moins dans son monastère (4); » bien avant que Suger eut chargé l'abbaye de Saint-Denys, de recueillir les Chroniques de France, et de conserver dans ses archives le souvenir des rois, dont elle recevait les corps dans ses

caveaux.

Plus tard les laïcs, employant la plume dont l'Eglise leur avait appris à se servir, essayèrent à leur tour de faire la guerre au temps, pour lui arracher quelques lambeaux du passé. Les développements auxquels ils se livrèrent contrastent agréablement avec la sécheresse de nos an

(1) Lettres à un gentilhomme russe; première lettre.

(2) I Cor. I1, 14.

(3) Lettre du 17 octobre 1882, insérée dans l'Univers du 19.

(4) Histoire de la Littérat. française, par J. Demongeot; ch. XVI. L'histoire dans les cloitres.

ciens chroniqueurs; mais il serait à souhaiter qu'ils eussent toujours fait preuve de la même simplicité et de la même bonne foi. Qu'est-il arrivé? Pierre de Saint-Julien de Balleurre l'écrivait en ces termes, le 1er juillet 1588, à l'abbé de Cluny : « Ceux qui depuis ont voulu ou restaurer l'histoire Gallique et Françoise: ou les remettre en estat : se sont si différemment liguez, et si opiniastrement bandez, en désir de contredire les uns aux autres (mesmement les Allemans contre les François) que leurs contradictions animeusement soustenues, par leurs partialités, nous ont quasi privé de la certitude et vérité de notre histoire (1). » Les choses n'ont pas l'air d'avoir beaucoup changé depuis; à voir la tendance qui règne dans des publications bruyamment prônées, on dirait que l'histoire n'est plus qu'une vaste conjuration contre la vérité.

Si l'histoire profane ne peut sans de grands inconvénients être abandonnée à des mains laïques, l'histoire ecclésiastique devrait à plus forte raison rester le partage exclusif du prêtre. Le prêtre ne l'a que trop appris à ses dépens mais les circonstances ne lui permettent pas toujours de jeter les regards en arrière, et de contempler le sillage lumineux et pur imprimé depuis des siècles par la barque de l'Eglise sur la surface orageuse des flots. Au sortir de la révolution par exemple, comment le clergé pouvait-il songer au passé, quand il avait tant à faire pour répondre aux besoins du présent, et aux exigences de l'avenir? Comment étudier les actes des saints, quand il fallait à grande peine recruter des chrétiens? Comment scruter les origines de nos sanctuaires, quand il s'agissait avant tout d'en relever les ruines? Le clergé français n'était pas assez nombreux, il n'avait pas assez de loisirs, pour mener de front une besogne aussi vaste et aussi compliquée. Lorsque ses membres se multiplièrent et purent consacrer quelques moments à l'étude, alors ils se heurtèrent contre un nouvel obstacle, et s'aperçurent qu'ils n'avaient plus à leur portée la forte et laborieuse discipline des anciennes universités, pour se préparer à l'accomplissement de la tache qui leur incombait toujours soit manque d'expérience, soit modestie, ils s'abstinrent pour un temps de communiquer au public le résultat de leurs lentes et consciencieuses investigations.

(1) Meslanges historiques; Epistre.

Le moment vint pourtant où ils s'enhardirent. Les œuvres magistrales, commencées par les siècles précédents et interrompues pendant de longues années, les Acta Sanctorum et le Gallia christiana par exemple, furent repris avec une nouvelle vigueur; et des productions originales, comme l'Histoire de l'Eglise, par l'abbé Rorhbacher, ou par l'abbé Darras, attestèrent que Fleury et Béraut-Bercastel avaient trouvé des successeurs et des émules.

Pendant que ces grandes et belles publications s'en allaient réjouir les savants au fond de leur cabinet, des Revues de toute nature en popularisaient les conclusions, et les faisaient pénétrer dans la masse des lecteurs.

«En 1859, l'archevêque d'Auch instituait par ordonnance synodale un Comité d'histoire et d'archéologie qui devait avoir pour objet l'étude des anciens monuments et des souvenirs relatifs aux annales ecclésiastiques de la province et la recherche des matériaux nécessaires pour écrire l'histoire du présent. Le but était de renouer la tradition du diocèse interrompue par les agitations politiques. . . . Dès 1860, on publiait un Bulletin trimestriel, dont le premier volume reçut des juges autorisés l'accueil le plus flatteur (1). Le Comité se constitua en Société historique de Gascogne, à Auch, en 1869, et publia dès lors, sous le titre de Revue de Gascogne, un recueil mensuel qui, sous la direction intelligente de M. Léonce Couture, a rendu d'importants services à la science historique.

« L'illustre prélat à qui l'église de France a été principalement redevable de la liberté de l'enseignement secondaire et supérieur, ne pouvait rester étranger au mouvement qui couvrait notre pays de sociétés savantes. En 1863, Mgr Dupanloup fondait à Orléans l'Académie de Sainte-Croix; autorisée par le gouvernement en 1869, elle a publié quatre volumes de Lectures et Mémoires d'un grand intérêt (2). »

En 1880, un comité se réunissait sous les auspices de Mgr Cotton, évêque de Valence, et se proposait de fonder sous le titre de Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'Archéologie religieuse du diocèse de Valence, une publication périodique utile à la science et à l'Eglise. M. l'abbé Ulysse

(1) Revue des Sociétés savantes, 1862, deuxième série, tom. VII, p. 110. 2) Bulletin d'Hist. ecclesiast. et d'Archéol. relig. du diocèse de Valence; Sept. Oct. 1880, p 5.

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