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DU

SYSTÈME PÉNITENTIAIRE ANGLAIS

AVANT-PROPOS

La Société fédérale d'Utilité publique vient d'inscrire la question suivante au programme de sa prochaine réunion:

« Quel est l'état actuel des établissements pénitentiaires et des prisons, pour les condamnés adultes du sexe masculin, dans les divers cantons de la Suisse, et quelles améliorations conviendrait-il d'y introduire ? »

Le sujet, qu'on nous permette de le dire, est à la fois fort bien choisi et fort bien limité. Bien choisi, car il en est peu qui touchent de plus près aux intérêts fondamentaux de la société. Bien limité, car le traitement à suivre envers les condamnés adultes du sexe masculin constitue une branche importante et distincte de la discipline pénitentiaire. La question a d'ailleurs pour Genève une véritable actualité. Notre pénitencier, on le sait, est. démoli depuis quelques mois; et avant de procéder, s'il y a lieu, à sa reconstruction, il sera bon de réunir les plus amples renseignements. C'est à ce titre en particulier que les délibérations de la Société d'Utilité publique mériteront sans aucun doute la plus sérieuse attention. C'est à ce titre aussi que la présente étude se recommandera peut-être aux lecteurs du Bulletin. Entreprise à l'occasion d'un débat qu'avait soulevé, l'an dernier, la Section des Sciences morales et politiques de l'Institut national genevois, elle avait pour but de recueillir quelques

faits nouveaux, d'ouvrir à la discussion quelques nouveaux points de vue. Nous ne demandions pas à l'Angleterre de nous servir de guide, car chaque pays a ses traditions et ses habitudes qu'il faut savoir respecter. Nous pensions seulement qu'il serait utile de rechercher comment un peuple doué, entre tous, du génie pratique, a résolu pour lui-même la plus pressante des réformes. A défaut d'une leçon directe, il y a dans cet effort un spectacle digne de toute sympathie; l'on me pardonnera, je l'espère, d'avoir voulu résumer ici les principaux résultats de mon travail.

P. VAUCHER.

Janvier 1863.

DU

SYSTÈME PÉNITENTIAIRE ANGLAIS

Where is a will, there is a way.

I

L'introduction du système pénitentiaire dans le RoyaumeUni est de date assez récente'. Trente ans à peine se sont écoulés depuis le jour où l'attention du public et du gouvernement fut attirée vers ce sujet par les rapports de MM. Crawford et Whithworth Russell (1834 ?). Mais, grâces aux travaux d'hommes éminents, parmi lesquels il convient de placer en première ligne le Surintendant général des prisons, Sir Joshua Jebb; grâces aussi aux lumières de l'expérience et, il faut le dire, aux exigences des colonies, ces trente années ont suffi pour amener la transformation radicale du système pénal anglais.

1. L'emprisonnement séparé avait bien été appliqué, dès la fin du XVIIIe siècle, dans les prisons de Horsham (1776), de Petworth (1782), de Gloucester (1791); mais ces tentatives étaient restées à peu près isolées.

Jusqu'alors, en effet, la répression pénale avait été, semblet-il, excessivement sommaire. Aux délits d'un ordre inférieur, l'amende, la prison, le fouet; aux délits plus graves, la prison encore, la déportation', la mort. Un tel système courait le risque d'être tour à tour trop indulgent ou trop sévère: car la durée de l'emprisonnement simple ne dépassait pas trois ans, et la déportation ne pouvait être prononcée pour moins de sept ans. La déportation avait d'ailleurs les inconvénients les plus sérieux. Abstraction faite des intérêts des colonies, dont on paraissait ne tenir aucun compte, elle portait une atteinte grave à l'égalité des peines par l'inégalité des conditions auxquelles elle soumettait les condamnés; --elle exerçait l'influence la plus démoralisante sur les convicts, et la première terreur bientôt passée, leur ouvrait pour ainsi dire une nouvelle carrière de crime; elle entrainait entin pour le gouvernement des dépenses excessives et des charges toujours croissantes. Le vieux régime n'avait en réalité qu'un avantage, celui de fournir un dérivatif commode aux misères de la mère-patrie. Mais cet avantage. même était singulièrement précaire, et les défenseurs de la tradition auraient eu mauvaise grâce à se servir d'un pareil argument.

Dès 1837, un rapport justement célèbre, présenté au Parlement par Sir W. Molesworth, avait fait ressortir tous les vices de la déportation. Plus tard, le déplorable état des colonies pénales et l'insuffisance des mesures destinées à y porter remède avaient achevé d'émouvoir les esprits les plus rebelles. Le gouvernement, de son côté, n'était point resté inactif. Sur la recommandation du comité de 1837, il avait décidé d'examiner jusqu'à quel point l'isolement pourrait

1. La peine de la déportation remontait au temps de la reine Élisabeth.

être appliqué aux condamnations à long terme. Une prison cellulaire avait été érigée à Pentonville (1840-1842), et une Commission, composée des hommes les plus éminents, avait été chargée de surveiller l'expérience. Cinq années d'épreuve ayant donné gain de cause aux partisans de l'emprisonnement solitaire, ce dernier régime semblait destiné à dominer désormais comme base légale de répression; et en effet, nombre de prisons de comtés l'adoptèrent dans les années qui suivirent, tandis que d'autres conservaient, dans des conditions diverses, le travail en commun. Mais ce n'était là qu'un premier pas. La question la plus grave, celle de la déportation, restait encore irrésolue. Les déportés, qu'une ordonnance nouvelle (1842) avait ramenés sous la surveillance immédiate du gouvernement pour les soumettre à des épreuves graduées, les déportés, dis-je, n'en continuaient pas moins à inquiéter les colonies, ou à léser leurs intérêts par la dépréciation croissante du travail. Réunis en grandes masses pendant la première partie de leur peine, ils ne pouvaient, faute d'une discipline suffisante, que se corrompre les uns les autres; et quand arrivait enfin l'heure d'une libération plus ou moins complète, les certificats divers dont ils étaient porteurs ne réussissaient pas à leur faire trouver auprès des colons l'appui sur lequel l'administration avait dû compter. A quoi bon d'ailleurs, si la partie vraiment pénale de la déportation n'était autre chose que le travail forcé, à quoi bon l'infliger si loin de la mère-patrie, en compliquant inutilement les difficultés et les frais de l'entreprise? Et

1. Lord Wharncliffe, président du Conseil; le duc de Richmond; le comte de Devon; le comte de Chichester; lord John Russell; le président de la Chambre des Communes; Sir B. Brodie; le Dr Ferguson; le major (aujourd'hui général) Jebb, surintendant général des prisons; MM. Crawford et Withworth Russell, inspecteurs des prisons.

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