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dans le sens de l'enlèvement. Ainsi l'a décidé, après expertise, un jugement du 12 Février 1851 (Sonnex c. de Budé.) Notons en passant qu'il s'agissait, dans la cause, d'arbres de moyenne grandeur, pouvant s'élever, les uns de 15 à 20 pieds, les autres de 20 à 25 pieds.

190. Il n'est pas nécessaire, d'ailleurs, que l'arbre de haute tige ait acquis toute sa croissance, pour que le voisin puisse le faire arracher, s'il n'a pas été planté à la distance légale. Ce n'est pas l'âge de l'arbre, mais uniquement son essence qu'il faut considérer. Il ne suffirait donc pas que celui qui a sur son fonds un jeune arbre de haute tige, promît de le tenir taillé à la hauteur ordinaire des haies, pour échapper à l'action du voisin. (Arrêt du 6 Avril 1857, réformant un jugement du 17 Février 1857, Dalloz c. Liaudit.)

191. Les arbres de pépinière échappent-ils à cette prescription de la loi? On pourrait soutenir, pour l'affirmative, que ces arbres n'étant point destinés à croître indéfiniment sur le sol où ils sont élevés, mais bien à être arrachés pour être transplantés ailleurs, le voisin ne peut se plaindre, si ces arbres ne sont pas à la distance légale. Néanmoins, en y réfléchissant, la négative paraît seule admissible. Les arbres de pépinière, en effet, font partie du sol où ils croissent; leur enlèvement, quoique probable, n'est qu'éventuel, et il se peut fort bien que quelques-uns d'entr'eux échappent à la transplantation. En tout cas, la proximité de ces arbres peut nuire au fonds voisin. Il y a donc intérêt, pour le propriétaire de ce fonds, à exiger que la distance soit observée, d'autant plus que les premières années de la croissance de l'arbre comptent pour la prescription de trente ans, lorsqu'il n'a pas été changé de place

192. Quant aux arbres aménagés en espaliers contre les murs, tels que les poiriers, abricotiers, pêchers, l'usage est

de les considérer comme arbres de basse tige, pouvant, par conséquent, être plantés à dix-huit pouces du fonds voisin ; mais il va sans dire que le mur contre lequel on établit des espaliers, doit au moins être mitoyen; s'il ne l'est pas, le maître de ce mur a seul le droit de le faire servir à cette destination. Ainsi, il a été jugé spécialement que les pêchers en espaliers doivent être considérés comme arbres de basse tige. (Jugement du 11 Janvier 1854, Gard c. Thioly.) Toutefois, nous croyons que les arbres aménagés de cette manière, s'ils sont en plein vent considérés comme arbres de haute tige, tels que les poiriers et les pommiers, devraient être taillés à la hauteur du mur.

193. L'âge des arbres, dans le doute, se constate par le nombre de couches que le tronc présente près de la racine, quand il est scié. Les arbres, en effet, s'accroissent chaque année en grosseur par la formation d'une nouvelle couche entre l'aubier, qui est le bois proprement dit, et le liber, c'est-à-dire cette partie de l'écorce qui est la plus voisine de l'aubier.

194. La question de propriété d'un arbre de haute tige peut s'élever quand cet arbre a été planté sur l'extrême limite et que son tronc a pris son développement des deux côtés de la ligne séparative. Si, dans ces circonstances, le propriétaire de l'un des fonds a seul recueilli les fruits ou produits annuels ou périodiques de l'arbre, pendant trente ans; si, par exemple, il l'a seul émondé, sans réclamation de l'autre propriétaire, nous croyons que l'arbre lui-même lui appartient, et qu'il a le droit de le conserver dans la place. qu'il occupe; mais il devrait être réputé appartenir aux deux fonds, chacun pour moitié, dans le cas où aucun des propriétaires qui y prétendent droit ne pourrait établir sa propriété exclusive.

Que si cet arbre se trouve avoir cru dans une haie mitoyenne, il est mitoyen comme la haie elle-même, et chacun des propriétaires a le droit d'exiger qu'il soit abattu (Code civil, art. 673). bien qu'aucun d'eux ne puisse demander que la haie mitoyenne le soit également. Jusque-là, chacun des propriétaires a droit à la moitié des produits, qui doivent se partager aux époques fixées par la nature, par la convention, ou par l'usage établi. La circonstance que les branches s'étendraient davantage sur l'un des fonds que sur l'autre et lui causeraient plus de préjudice, ne saurait modifier ce principe, du moment que celui qui avait le plus d'intérêt à se plaindre, ne l'a pas fait.

En cette matière, on peut d'ailleurs, pour savoir à quel fonds l'arbre doit être attribué, suivre cet ancien axiôme du droit coutumier, applicable également aux constructions: «Le pied saisit le chef. (Institutes de Loisel, Livre I, titre II, art. 24). En d'autres termes, celui-là seul sur le terrain duquel le tronc s'est développé, est propriétaire de l'arbre, lors même que, par la suite du temps, l'arbre aurait développé ses branches principalement sur le fonds voisin, ce qui a lieu le plus souvent lorsque le fonds du voisin est au midi.

195. La propriété des arbres de haute tige, celle des arbustes et des haies, est d'ailleurs susceptible d'être acquise, comme celle du terrain lui-même, par la prescription de dix ans entre présents et de vingt ans entre absents, lorsque l'acte d'acquisition de celui au profit duquel a couru la prescription, indique expressément que le fonds lui a été vendu avec les haies et les arbres qui l'entourent et le closent, si d'ailleurs cette stipulation a été suivie de la possession réelle, manifestée par la récolte exclusive des produits, la taille ou l'émondage. Cette clause constitue à son profit.

quant aux arbres ou à la haie, le juste titre requis par l'article 2265 du Code civil, pour prescrire la propriété contre un tiers. (Jugement du 27 avril 1827, Léchaud c. Achard.)

196. Celui sur la propriété duquel avancent les branches. des arbres du voisin peut contraindre celui-ci à couper ces branches. Si ce sont les racines qui avancent sur son héritage, il a le droit de les y couper lui-même. Telle est la disposition de l'art. 672 du Code civil.

Le double droit consacré par cet article existe, soit que l'arbre ait été planté dans l'origine à la distance légale, soit que le propriétaire du fonds sur lequel il a cru ait prescrit le droit de le conserver à une moindre distance, même près de la ligne séparative. (Jugement du 19 avril 1850, Marcelin c. Dansse; 15 mars 1834, Gard e. Thioly; 4 janvier 1825, de Constant c. Duval.)

Le droit accordé, par une convention spéciale, d'avoir des arbres près de la ligne séparative, n'empêcherait pas celui sur le fonds duquel pénètrent les racines, de les y couper, en ouvrant une tranchée le long de la propriété voisine. (Jugement du 14 juin 1833, Hiertzler c. Vallon.)

197. Cependant, il est généralement admis que le propriétaire de l'arbre dont l'élagage des branches est demandé, ne peut être contraint à faire cette opération à une époque où elle serait nuisible à l'arbre. Le propriétaire peut toujours choisir pour l'élagage l'époque la plus favorable, soit le printemps et l'automne, à moins qu'averti en temps utile, il n'ait refusé de se conformer à la demande qui lui était adressée. Au surplus le juge, par application de l'art. 1244 du Code civil, au titre des Obligations, a toujours la faculté d'accorder un délai modéré, lorsqu'il ne doit pas en résulter un dommage pour le fonds voisin.

198. Il paraît qu'il existait dans l'ancienne république

un usage en vertu duquel un propriétaire pouvait élever des arbres fruitiers dans les haies bordant ses propriétés, moyennant le droit d'ombrage accordé au voisin, soit le droit de celui-ci à une portion des fruits des dits arbres. Cet usage a même été reconnu par un jugement du 28 août 1824 (Dumonthay c. Poncet, propriétaires à Chancy), lequel a déclaré que l'art. 674 du Code civil n'était pas applicable à ce cas particulier.

Nous n'avons trouvé, dès lors, aucun jugement ou arrêt qui ait constaté cet usage; bien au contraire, la jurispru dence postérieure, dont la tendance constante, a été de met tre tout le territoire du canton sous la même législation coutumière, a refusé, on peut le dire, de sanctionner cet usage: nous renvoyons, à ce sujet, à ce qui est dit au commencement de ce chapitre. On peut donc affirmer actuellement que l'existence d'arbres fruitiers dans les haies séparatives est moins le résultat d'un usage constant que celui d'une tolérance de fait, entre propriétaires désireux de vivre en bonne intelligence.

Il est, d'ailleurs, remarquable que M. J. Pictet, ancien président du Tribunal civil, qui a signé la minute de ce jugoment, n'ait pas mentionné l'usage dont s'agit dans son Manuel des Agriculteurs. Voici, en effet, comment il s'exprime dans une note de cet ouvrage : « Il n'existe dans le pays, dit-il, aucun usage particulier à l'égard de la plantation des arbres; par conséquent, ce sont les dispositions de l'article 671 du Code civil qui doivent servir de règle chez nous pour la distance de la propriété du voisin à laquelle on peut faire des plantations; celle de deux mètres peut être suffisante pour les arbres fruitiers, qui ne s'étendent pas au loin, surtout si l'on admet le droit d'ombrage; mais elle eût dû être plus grande pour les arbres forestiers. »

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