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tent les ports de pêche. Cet isolement relatif et cette continuité d'un même genre de vie pendant plusieurs générations ont pu développer chez eux, par sélection et par transmission héréditaire, des caractères de race.

> Leur genre de vie est rude. La pêche du corail se fait sur des barques montées par un patron, cinq à huit matelots et un ou deux mousses. Ces barques demeurent à la mer aussi longtemps que le temps le permet, et sont quelquefois quinze jours sans toucher terre; elles n'embarquent d'autres vivres que des galettes et de l'eau; la ration journalière d'un homme est de 20 à 30 galettes d'une demi-livre chacune; ces galettes étant très-dures, les hommes mangent tout le long du jour en travaillant. Lorsqu'ils sont à terre, ils font cuire des haricots ou des lentilles, quelquefois additionnés d'un peu de lard. Ils ne fument ni ne boivent aucune liqueur alcoolique, et ont pour cette sobriété une bonne raison: ils n'ont point d'argent. Ils contractent deux fois par an un engagement de six mois, touchent la moitié de la prime le jour de l'engagement, et l'autre moitié à la fin de la campagne. Le jour de paye on festoie, on fait les acquisitions indispensables de vêtements et d'ustensiles de ménage, le restant de la prime est remis entre les mains de la femme pour l'entretien de la famille. Cette prime étant généralement insuffisante, les hommes s'associent à deux ou trois pour faire une sorte de ménage polyandrique, où la femme et les enfants sont entretenus à frais communs.

> Les femmes sont robustes, d'un beau type physique, trèsfécondes; elles font le ménage, raccommodent les filets et ne sont employées à aucun travail de force.

› Les enfants élevés sur la plage prennent de bonne heure le goût de la vie en mer et l'habitude des travaux rudes; ils aident les hommes à radouber les barques, et dès l'âge de douze ans sont embarqués comme mousses. Pendant toute la durée de mon séjour, des épidémies de scarlatine et de croup ont fait parmi eux de nombreuses victimes; j'ignore quelle est la mortalité moyenne du bas âge. > On m'a présenté quelquefois de jeunes garçons de dix à douze ans, surmenés par le travail prématuré; leur large carrure, le relief de leurs muscles donnaient l'image d'un hercule enfant; mais ils souffraient de palpitations, l'exagération du choc et de la matité précordiale permettait de soupçonner une hypertrophie du cœur.

› Les jeunes gens atteignent leur développement complet de seize à vingt ans; ils sont alors superbes ; la proportion académique des formes, la vigueur et la grâce des mouvements accusent l'heureux résultat de la vie au grand air, du régime sobre et de l'exercice incessant.

› Dans l'âge viril, la constitution athlétique se prononce, le système musculaire tend à prédominer, les muscles sont saillants, les leviers

osseux robustes sans exagération, la poitrine haute et ample. L'état intellectuel et moral n'est pas en rapport avec ce magnifique développement physique. Leur intelligence se compose d'un petit nombre de notions rudimentaires, afférentes à la profession de marin; nous avons dit la nature de leurs relations conjugales; leurs mœurs à bord sont encore plus contre nature. Traités à coups de trique par le patron de la barque, ils sont sans énergie morale contre la souffrance, invoquent la madone, appliquent sur le siége de leurs maux des chapelets et des images de saints. Violents et brutaux, ils se battent à coups de couteau, et leurs rixes amènent journellement des blessés à l'hôpital.

> Ils sont intéressants dans leurs maladies.

› Les maladies aiguës sont rares; quelques fièvres éphémères ou rémittentes en été, des bronchites, des pneumonies, des rhumatismes articulaires en hiver; la guérison est la règle. Si l'énergie morale fait défaut, la nature physique se soutient et lutte admirablement; l'appétit est surprenant; ils mangent 2 et 3 portions dans la période febrile de la pneumonie et guérissent; je n'ai perdu qu'un homme de pneumonie en deux ans.

› Leur profession les soustrait généralement à l'influence de l'endémie paludéenne; toutefois il arrive que le gros temps les oblige à chercher refuge sur quelque côte insalubre, à l'embouchure des rivières, où ils s'établissent sur la plage en plein soleil; c'est ainsi que quelques-uns sont atteints de fièvres comateuses ou délirantes, et que j'ai perdu quatre malades dans les deux années de mon séjour. En dehors de ces accidents, l'impaludisme fait peu de victimes; il passe rarement à l'état chronique; les engorgements viscéraux sont tout à fait exceptionnels.

› Les affections traumatiques sont d'une simplicité extrême; les plaies guérissent par première intention. C'est un beau champ pour la médecine opératoire.

› La race est pure de toute tare diathésique et constitutionnelle. > Je n'ai connu que deux pêcheurs de corail atteints de phthisie pulmonaire. C'étaient deux frères, âgés l'un de trente-six ans, l'autre de trente ans ; ils avaient toussé plusieurs hivers consécutifs, avaient eu des hémoptysies, et présentaient l'un et l'autre, au sommet d'un poumon, les signes d'une induration localisée avec excavation; robustes d'ailleurs, bien musclés et continuant à exercer leur profession de marin. Leur père, patron de barque et sain, avait pris femme dans une famille d'artisans entachée de tuberculose.

› Les autres maladies chroniques que j'ai notées comme causes de mort sont deux cas d'affection valvulaire du cœur, un cas de maladie de Bright avec rein contracté, et trois cas d'athérome arté riel généralisé.

» L'athérome artériel a attiré mon attention, non-seulement par sa fréquence, mais encore par sa précocité; l'âge de la mort est, dans ces trois cas, quarante-cinq, cinquante et cinquante-quatre ans. Le dernier est bien présent à mon souvenir; c'était un vieillard décrépit et imbécile qui mourut de pneumonie dans le dernier degré du marasme sénile, avec un athérome artériel généralisé et une atrophie symétrique des lobes cérébraux moyens.

> Ces hommes, dont j'ai montré le rapide développement et la robuste virilité, ont une vie moyenne singulièrement courte. Le plus âgé des corailleurs que j'ai connus avait soixante ans; c'était un ancien patron de barque, vivant dans une condition relativement aisée. Le simple matelot, l'hilote, dure moins longtemps; le terme de sa profession nautique est de quarante à quarante-deux ans ; passé cet âge on ne l'embarque plus; il est réputé vieux, et de fait il porte les marques de la vieillesse; ses tempes sont sillonnées d'artères flexueuses, ses artères radiales roulent sous le doigt; sa peau flétrie, ridée et amincie est mobile sur le relief de ses muscles, encore durs et saillants, mais amaigris. Repoussé par les entrepreneurs de pêche, il s'emploie comme portefaix dans le port et s'achève par l'ivrognerie, ou bien il s'engage comme garçon de ferme chez les colons défricheurs, et est bientôt victime de la cachexie paludéenne. ›

Quelles conséquences hygiéniques peut-on tirer de cette étude? Il serait puéril de recommander aux manouvriers de ne pas se livrer à leurs travaux, aux pauvres d'introduire la viande dans leur régime. Mais en favorisant les moyens qui feront entrer une plus grande quantité de substances azotées dans l'alimentation publique, on influencera certainement la santé générale. L'organisme du pauvre est en lutte continue pour acquérir et pour s'assimiler les moyens d'existence. Car c'est surtout pour lui qu'on peut parler du travail de la digestion.

En résumé, l'athérome n'est pas la rouille, mais la fatigue des artères. Le travail musculaire qui n'est pas réparé par une alimentation convenable détermine l'athérome précoce. Dans ces conditions, le régime végétal favorise la dégénérescence crétacée des artères.

M. THÉVENOT. Quelques médecins anglais ont signalé la dégénérescence athéromateuse des artères non plus sous l'influence de l'eau, du régime ou de l'alimentation, mais, chose plus singulière, sous l'influence de certaines médications longtemps prolongées. Voici dans quelles circonstances. Les gynécologistes anglais donnent, dans les cas de fibromes de l'utérus, le chlorure de calcium. Ils le donnent à la dose de 6 et 8 grains par jour, continuée pendant des mois. Ils affirment que sous l'influence de ce médicament ils voient le fibrome diminuer et se calcifier, ce qui est un

mode de guérison. Mais, paraît-il, ce traitement n'est pas sans danger, car voici ce qu'on lit dans le Traité clinique des maladies des femmes de Barnes :

< Cependant Wils a remarqué que, continué longtemps, le chlorure de calcium peut amener la dégénérescence calcaire des artères en général; c'est un danger assez grand pour imposer de la réserve dans l'usage de ce médicament; c'est sans doute à cette propriété qu'il doit d'arrêter le développement des fibroïdes. Peut-être la tumeur a-t-elle pour le chlorure de calcium plus d'affinité que les autres tissus; puis il ajoute un peu naïvement : « Si l'on pouvait limiter à la tumeur le dépôt des matières calcaires, le remède n'aurait pas d'inconvénient. »

Quel degré de confiance faut-il accorder à ces faits? c'est ce que je ne saurais dire. S'ils sont exacts, ce ne serait pas seulement le chlorure de calcium, sans doute, qui pourrait avoir cette funeste propriété. J'ai voulu signaler ces faits à l'attention de mes collè gues, et leur demander s'ils n'auraient pas quelques observations qui viendraient confirmer ou infirmer celles-là.

Je rappellerai aussi qu'à propos des concrétions calcaires qu'on trouve si fréquemment à la surface des cotylédons placentaires, Carus affirme que, dans certaines contrées, ces taches blanchâtres de nature calcaire sont excessivement fréquentes, que dans d'autres on ne les observe presque jamais.

On peut supposer que la fréquence est en relation avec la nature du sol, de l'eau et l'alimentation, et il serait intéressant de rechercher si dans les mêmes contrées on trouverait plus fréquemment l'athérome artériel.

M. LABORDE croit qu'il est important, pour donner à l'athérome la valeur qu'il mérite, de bien distinguer son siége. I importe de séparer, d'une part, l'athérome des grosses artères ou des artères de la base de l'encéphale; de l'autre, l'athérome des artérioles. Il n'est pas d'homme de cinquante-cinq à soixante ans chez qui on ne trouve de l'athérome des artérioles et des capillaires des couches optiques, des corps striés, ou de la substance grise des circonvolutions. C'est là une insénescence, c'est une imminence morbide, mais ce n'est pas une maladie. Toute la pathogénie des hémorrhagies cérébrales part de ce fait.

Il n'en est pas de même de l'athérome des gros troncs artériels. Celui-là, qui d'ailleurs est plus crétacé, est un trouble morbide direct et qui n'a rien de fatal.

M. GUBLER ne pense pas qu'il suffise de faire usage de légumes calcaires pour que les artères deviennent athéromateuses, mais il pense qu'étant donnée une maladie des artères, engendrée par l'alcoolisme, la syphilis,... le sujet sera exposé à la dégénérescence

crétacée des artères, s'il a été préalablement exposé à une alimentation calcaire.

Les légumes ne sont donc pas seuls en cause, puisqu'ils doivent leur richesse calcaire à la richesse calcaire des eaux.

En somme, il y a des pays où l'on peut être légumiste, sans avoir d'athérome; là il y a peu de chaux, les poules ne trouvent pas de quoi faire leurs coquilles; les légumes n'ont pas là de calcaire, et peut-être l'athérome y est-il moins fréquent.

L'alimentation n'est qu'un moyen d'apport des matériaux; les artères saines échapperont à l'athérome; elles ne retiennent le calcaire que lorsque la vie décline.

La cause prédisposante, c'est la diminution de la vitalité de l'artère; la cause efficiente, c'est l'apport crétacé par les eaux, les légumes et l'alimentation.

M. LEROY DE MÉRICOURT dit qu'il serait intéressant de savoir si les travailleurs de l'Inde, qui se nourrissent exclusivement de végétaux, présentent communément de l'athérome artériel.

M. LACASSAGNE rappelle que M. le Dr Catelan nous a fait espérer qu'il pourrait bientôt vérifier sur la race indienne, race légumiste par excellence, la théorie de M. Gubler.

HYGIÈNE PÉDAGOGIQUE,

Par M. E. DALLY.

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PREMIÈRE PARTIE. FONCTIONS DE L'ENTENDEMENT. Les distinctions habituelles et profondes entre l'éducation dite physique et l'éducation mentale n'ont rien qui soit fondé sur la nature des choses. L'éducation, ex ducere, l'art d'extraire de cet amas confus de forces inconscientes que présente l'enfant tout ce qu'il pourra produire un jour de force ordonnée, de puissance active, de fertilité, et cela, non-seulement en vue de l'individu, mais encore en vue de la société, l'éducation est toujours une méthode de culture de nos organes. Ici c'est le cerveau, là ce sont les poumons ou les muscles que l'on cultive, que l'on façonne, que l'on développe. Le célèbre précepte de Montaigne : « Ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corps que l'on dresse, c'est un homme, il n'en faut pas faire à deux, » ré

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