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SOCIÉTÉ DE MÉDECINE LÉGALE

LES RAPPORTS MÉDICO-LÉGAUX SOUMIS AU TIMBRE

Par M. HORTELOUP,

Avocat à la Cour de Cassation et au Conseil d'État (1).

Messieurs,

Il y a quelques mois, M Nicolin, avoué à Charolles (Saôneet-Loire), consultait votre Société. Il s'agissait de savoir si une expertise était entachée de nullité parce que l'un des experts n'avait pas assisté à l'une des opérations de l'expertise.

Une commission de trois membres, composée de MM. les docteurs Horteloup let Gallard et de M. Émile Horteloup, fut chargé d'étudier la question et vous présenta un rapport concluant de la manière la plus formelle à la validité de l'expertise, c'est-à-dire dans un sens favorable à la prétention de votre correspondant.

Ce rapport fut approuvé par la Société et, sur la demande qui lui en fut faite, M. le secrétaire général adressa à M. Nicolin l'expédition du rapport de votre commission. Conformément à l'usage constamment suivi en pareil cas par votre Société, cette expédition fut faite sur papier non timbré.

Mais au moment de se présenter devant le tribunal, M⭑Nicolin désirant produire votre travail aux débats et profiter ainsi de toute l'autorité qui s'attache à un avis émané de votre Société, présenta l'expédition qu'il avait reçue à

.le receveur de l'enregistrement pour obtenir le visa pour timbre. Ce dernier prétendit alors que cette pièce était de celles pour lesquelles la loi exige la formalité préalable du

(1) Séance du 13 août 1877.

timbre et que par suite l'amende était encourue du moment où cette expédition avait été faite sur papier non timbré.

M⚫ Nicolin a fait part de cette prétention à votre Société, et vous avez chargé une commission composée de MM. Manuel, Chaudé, d'Herbelot, Boudet et Émile Horteloup, d'étudier la question qu'elle soulève. Je viens vous rendre compte des travaux de votre commission.

Ce qu'il convient de vous faire remarquer avant tout, messieurs, c'est que, en dehors de l'intérêt théorique, le point qui vous est soumis présente pour la Société un intérêt matériel direct. Il ne peut être en effet douteux un seul instant que si la prétention du receveur de l'enregistrement de Charolles est exacte et si les copies des rapports faits à la Société qui sont transmises à vos correspondants doivent être écrites sur timbre, l'amende prononcée par la loi en cas de contravention sera encourue par la Société de médecine légale elle-même, qui pourrait et devrait être poursuivie directement par l'administration.

En effet, la loi du 13 brumaire an VII, qui doit servir de base à l'examen de la question qui vous est soumise, veut que tous les contrevenants à ses dispositions soient condamnés aux amendes qu'elle détermine. Il suffit, par suite, que l'on ait contrevenu à l'une de ses dispositions pour que l'on soit passible de l'amende qui en forme la sanction. Le véritable contrevenant serait donc, non votre correspondant qui userait de votre avis et voudrait en faire timbrer l'expédition, mais bien la Société elle-même qui, en n'obéissant pas aux prescriptions de la loi et aux obligations qu'elle lui impose, se rendrait personnellement passible de la peine portée par la loi.

Mais quelle est l'obligation que la loi lui impose?

L'article 1" de la loi du 13 brumaire an VII pose le principe du droit de timbre et est ainsi conçu: « La contribution du » timbre est établie sur tous les papiers destinés aux act

civils et judiciaires, et aux écritures qui peuvent être » produites en justice et y faire foi. Il n'y a d'autres excep>>tions que celles notamment exprimées dans la présente. »>

Le législateur distingue ensuite deux sortes de contributions de timbre (art. 2) : le timbre applicable aux effets négociables et de commerce et gradué en raison des sommes à y exprimer, sans égard à la dimension du papier, et le timbre imposé et tarifé en raison de la diminution du papier dont il est fait usage.

C'est de ce dernier seulement que nous avons à nous occuper ici.

Une fois le principe général posé, la loi établit deux catégories d'actes soumis au timbre de dimension. D'une part, ceux qui doivent être écrits sur du papier préalablement timbré, et d'autre part ceux qui peuvent être écrits sur papier non timbré, mais qui doivent être soumis au visa pour timbre ou timbrés à l'extraordinaire, seulement quand ils sont produits devant les tribunaux ou devant une autorité administrative quelle qu'elle soit. Enfin la loi, dans son article 16, énumère les actes qui sont exceptés du droit et de la formalité du timbre et qui n'y sont même pas soumis quand il en est fait usage?

Mais en dehors de ces exceptions, dans lesquelles il est absolument impossible de faire rentrer le cas qui nous occupe, quelles sont les règles qui doivent servir à distinguer l'une de l'autre les deux premières catégories.

C'est l'article 12 de la loi qui, en déterminant quelles sont les pièces assujetties au timbre préalable, établit par suite quelles pièces peuvent au contraire être visées pour timbre postérieurement à leur confection :

« Sont assujettis au droit de timbre établi en raison de la » dimension, dit l'article 12, tous les papiers à employer » pour les actes et écritures, soit publics, soit privés, sa» voir, etc. >>

Que veulent dire ces mots « à employer, sinon que tous les actes qui peuvent être énumérés et indiqués doivent être écrits sur du papier préalablement soumis au timbre? L'article 12 en effet ne dit pas : « Sont assujettis au timbre..... » tous les papiers employés pour,..... » mais bien à employer, indiquant par là qu'au moment où le papier est employé il doit être déjà timbré.

L'article 12 énumère ensuite dans sa première partie un certain nombre d'écrits, tels que les actes et procès-verbaux des notaires et huissiers, des agents chargés de verbaliser, des avoués, etc., etc. Cette énumération comprend en outre « les consultations, mémoires, observations et pièces signés » des hommes de loi et défenseurs officieux près les tribu»naux et les copies ou expéditions qui en seront faites ou signifiées. »

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Enfin, la première partie de notre article se termine par cette formule: « Et généralement tous actes et écritures, » extraits, copies et expéditions, soit publics, soit privés, » devant ou pouvant faire titre ou être produits pour obli» gation, décharge, justification, demande ou défense. »

Nous n'avons pas à nous occuper ici de la seconde partie de notre article, qui déclare l'obligation du timbre applicable aux registres, livres et minutes de lettres qui sont de nature à être produits en justice et dans le cas d'y faire foi.

Mais en pesant avec attention les termes et l'esprit de la première partie de l'article 12, et particulièrement de la formule générale qui la termine, votre commission a pensé qu'il est impossible de soutenir que les expéditions des travaux de la Société ne rentrent pas dans la catégorie des pièces que le législateur a eues en vue, alors tout au moins que ces travaux n'ont pas un caractère purement scientifique et sont rédigés en vue d'une espèce déterminée.

On voit en effet combien la loi est large et quelle a dû être l'intention du législateur.

Cette intention, c'est évidemment d'astreindre à l'obligation du timbre préalable toute pièce qui a au moment de sa confection ou qui peut acquérir par la suite un caractère public. Ce qui le prouve, c'est que, non content d'indiquer nommément la plupart des actes ou pièces qu'il soumet au timbre, le législateur, pensant avec raison qu'une semblable nomenclature doit être nécessairement incomplète, a eu soin de rechercher une formule générale dans laquelle rentrent tous les actes ayant ou pouvant avoir un caractère analogue à ceux qu'il indique. C'est donc bien plutôt dans la formule générale qui la suit et en résume l'esprit, que dans l'énumération elle-même, qu'il convient de rechercher la règle à appliquer, et l'on peut dire que le législateur aurait pu se dispenser de l'énumération qu'il a cru devoir faire et se borner à sa formule générale. Tout écrit qui y entrera sera soumis au timbre préalable.

Ce sont ces principes, messieurs, qui ont guidé la jurisprudence, lorsqu'elle a dû se demander si les écrits émanés des hommes de loi devaient ou non être faits sur papier timbré. La Cour de cassation, en effet, statuant sur des espèces où il était difficile de faire directement rentrer les pièces incriminées dans aucun des termes dont se sert notre article 12, quand il mentionne les consultations, mémoires, observations et pièces signés des hommes de loi et défenseurs officieux, s'est à plusieurs reprises déterminée d'après cette seule considération : l'écrit incriminé est-il de ceux qui peuvent être produits pour justification, demande ou défense (1)?

Ces principes posés, messieurs, et étant reconnu que les copies et extraits de vos travaux ne sont pas nommément indiqués dans l'énumération de la première partie de l'ar

(1) Civ. cass., 23 novembre 1824 et 8 janvier 1822. Dalloz. V⚫ Enregistrement, no 6096.

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