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En conséquence, messieurs, votre commission vous propose d'adopter la conclusion suivante :

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CONCLUSION. Les copies, expéditions et extraits des travaux de la Société de médecine légale sur des questions qui lui sont soumises à l'occasion de procès civils ou criminels nés ou à naître, rentrent dans la catégorie des écritures, extraits, copies et expéditions dont il est question dans l'article 12 de la loi du 13 brumaire an VII, qui doivent ou peuvent être produits pour justification, demande on défense, et doivent par suite, à peine d'amende encourue par la Société, être toujours écrits sur papier timbré. Il n'y a d'exception à cette règle que pour les avis écrits à la suite d'une mission régulièrement reçue de l'une des autorités chargées de concourir à la répression des crimes et délits. Ces conclusions sont adoptées par la Société.

ATTENTAT A LA PUDEUR

RESPONSABILITÉ ATTÉNUÉE PAR SUITE DE L'ÉTAT MENTAL DU PRÉVENU.

Rapport par M. MOTET (1).

Messieurs,

Deux honorables médecins de Mirande (Gers), chargés par M. le juge d'instruction du tribunal de première instance de cette ville d'une expertise médico-légale, ont adressé, par l'intermédiaire du parquet leur rapport au Président de notre Société, pour le soumettre à votre commission permanente en lui demandant son avis. M. le juge d'instruction de Mirande, d'après le désir exprimé par nos deux honorables confrères, nous prie de rechercher si, dans les termes de la rédaction de leur travail, les experts qu'il a commis ont répondu scientifiquement à la question qui leur était posée.

(1) Séance du 13 août 1877.

Vous m'avez fait l'honneur, messieurs, de me confier l'étude de ce rapport; je suis sûr d'être l'interprète de vos sentiments, si, avant même de vous avoir développé ma pensée sur le travail qui vous est soumis, je rends hommage à la modestie de l'honnêteté scientifique, à deux médecins qui, après avoir consciencieusement étudié une affaire, n'ont pas voulu remettre leurs conclusions à la justice sans vous avoir consultés. La démarche du magistrat qui s'adresse à nos lumières nous rend justement fiers: elle témoigne de la haute confiance que l'attitude de la Société de médecine légale inspire de tous côtés, confiance qu'elle mérite par l'impartialité et la sévérité avec lesquelles elle examine toutes les questions qui lui sont déférées.

Il s'agit d'un vieillard de soixante-dix-sept ans, inculpé d'attentat à la pudeur sur sa propre fille, âgée de trois ans. L'âge de l'inculpé, ses antécédents connus, firent naître dans l'esprit du magistrat chargé de l'instruction des doutes sur l'intégrité de l'état mental de cet homme. MM. les docteurs Magnié et Derazey furent chargés de l'examiner et de déterminer, d'après cet examen, quel pouvait être le degré de responsabilité.

Je dois, messieurs, vous faire connaitre l'esprit de ce rapport, je vous le résumerai brièvement :

MM. les docteurs Magnié et Derazey se sont attachés à préciser les antécédents de l'inculpé :

Toute sa vie, on l'a considéré comme un faible d'esprit, il a été le jouet de ses camarades qui le sollicitaient à d'obscènes attouchements sur lui-même, il est resté un objet de dégoût, presque d'horreur pour tous ceux qui le connaissaient. On s'éloignait de lui avec un sentiment de répulsion.

> Sa santé n'a pas été altérée par ses excès vénériens; il a soixante-dix-sept ans, il est encore vigoureux; il n'a pas une grande activité intellectuelle, il semble même avoir plutôt de l'hébétude, mais il n'a rien des allures de l'idiot; ses réponses ne témoignent pas d'une aberration intellectuelle, il comprend la gravité de l'examen dont il est l'objet; réservé d'abord, il devient plus communi.

catif, et sa curiosité instinctive se trahit par d'indiscrètes questions. Il se complait dans le récit de ses prouesses, et détaille avec complaisance les formes qui lui plaisent le plus chez la femme: il va même jusqu'à dire que sa fille est très-bien faite, jusqu'à raconter à quels exploits il peut se livrer dans le cours d'une nuit. »

MM. Magnié et Derazey se demandent s'ils ont affaire à un satyre; ils discutent les faits à un point de vue scientifique, et sont amenés à reconnaître que M. de la R... ne présente rien de plus qu'une perversion instinctive, qu'une excessive lubricité; ils n'admettent pas l'état morbide qui enchaîne, maîtrise la volonté, et rend l'homme irresponsable de ses actes.

Ils n'admettent pas non plus une passion aveugle, mais ils sont logiquement amenés à tenir compte de l'affaiblissement de l'intelligence, de la volonté, dû autant aux progrès de l'âge qu'aux excès vénériens habituels.

Ils formulent les conclusions suivantes :

De ces observations, nous croyons pouvoir conclure:

> 1o M. de la R... jouit de toutes ses facultés intellectuelles, dans la mesure d'une intelligence fort limitée originairement.

» 2° Ses facultés intellectuelles et sa volonté, entre autres, sont affaiblies par l'âge et par les excès vénériens.

> 3° Sa responsabilité en est d'autant diminuée; mais il n'est pas irresponsable.

» Fait à Mirande, le 18 juin 1877.

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Messieurs, la lecture de ce rapport ne nous inspirait pas de doutes sur la certitude des interprétations de ses auteurs. Toutefois, elle laissait dans notre esprit des desiderata. Rien n'est difficile, en effet, comme de rendre compte de l'état mental d'un homme, de manière que, à la lecture, la conviction puisse s'établir entière, absolue. Quand il s'agit d'apprécier des faits matériels d'une constatation directe, vous vous trouvez en droit d'élever des objections, de demander souvent un supplément de preuves, vous discutez avec sévérité les détails, et vous ne donnez votre opinion qu'à bon escient. Dans le fait particulier qui vous est soumis, l'examen direct vous étant impossible, j'ai cru devoir demander à MM. Magnié et Derazey des détails qui, dans le milieu où ils vivent, pouvaient être connus de tous, et se trouver

sans inconvénient supprimés dans le rapport. Pour nous, ils étaient nécessaires, ils apportaient une lumière nouvelle, ils dissipaient ce qu'il pouvait rester d'obscurité dans une cause qui ne nous était pas suffisamment connue.

C'est ainsi que j'ai recueilli des renseignements dont l'importance ne vous échappera pas :

M. de....., vicomte de....., appartient à une ancienne famille de la Saintonge, transplantée à Mirande depuis soixante-dix ans environ, à la suite d'une condamnation aux travaux forcés du père de l'inculpé : on n'a pu me dire le motif de cette condamnation, mais ce qui est certain, c'est que celui qui l'avait encourue était un homme débauché, ayant les pires instincts, qui dévora la plus grande partie de sa fortune. Sa femme resta seule avec ses deux enfants: une fille, qui fut une personne accomplie, de l'esprit le plus distingué, des sentiments les plus élevés ; un fils, l'inculpé d'aujourd'hui, tout différent sous tous les rapports.

MM. Magnié et Derazey vous ont dit ce qu'il avait été dans sa première enfance, dans sa jeunesse ; vous connaissez son incapacité, ses perversions instinctives: voici des détails qui achèvent de le peindre. Toute sa vie, il n'a eu qu'une préoccupation, se marier; il tenait une sorte de registre sur lequel étaient inscrites, avec leur dot, leur signalement, toutes les demoiselles à marier dans un rayon fort étendu. Sans cesse repoussé dans ses demandes, il ne se décourageait pas; il s'adressait à des agences matrimoniales, il suffisait d'une de ses lettres pour couper court à toute dé marche sérieuse. Il eût certainement fini par contracter un mariage dans des conditions humiliantes pour sa famille, si la bienfaisante influence de sa sœur ne s'était pas exercée sur lui. Elle avait heureusement pu garder assez d'empire sur l'esprit de son frère pour le retenir dans ses aventureux projets. Elle mourut en 1869 et, quelque temps après,

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M. de....., libre de ses actions, épousa, à soixante-dix ans, une femme de trente-quatre à trente-cinq ans, qui n'a consenti au mariage que par suite de sa condition malheureuse; cette union lui assurait à peu près la vie matérielle; elle accepta sans illusions d'ailleurs d'une honorable famille, mais sans éducation élevée, très-simple dans ses habitudes, elle ne répondait pas au type autrefois rêvé par M. de....., mais elle lui était cependant de beaucoup supérieure; elle lui rendit cet immense service de tenir sa maison, de remplacer, dans la gestion de sa modeste fortune, sa sœur absente. Elle lui donna deux enfants; l'une est la petite fille de trois ans, victime de ses brutalités.

Il nous importait aussi de savoir si M. de..... avait été déjà poursuivi pour des faits analogues. Nous avons appris que depuis quelque temps on l'accusait de faits semblables, mais il n'y avait jamais eu de poursuites.

Avait-on observé des accidents cérébraux? La réponse est négative. Nous avons posé cette question pour être exactement renseigné sur les tendances congestives, pour savoir si des accidents apoplectiques avaient été observés. Nous ne sommes pas surpris que rien de semblable n'ait jamais été noté. M. de..... n'a jamais rien eu de cérébral; ses antécédents héréditaires ne l'y prédisposaient pas. Son caractère même ne s'est pas modifié avec l'âge, il reste ce qu'il a toujours été, vif, emporté.

Vous êtes maintenant, messieurs, en possesion de toutes les données du problème : un homme, d'une intelligence originairement faible, masturbateur cynique depuis ses plus jeunes années, le jouet de ses camarades qui le sollicitent à d'obscènes attouchements sur lui-même, en public, incapable de s'élever jusqu'à la notion de l'immoralité de ses actes, passe sa vie dans un état permanent d'excitation génitale. Il convoite toutes les femmes, il est pour tous ceux qui le connaissent un être abject qu'on fuit, contre

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