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lequel on sauvegarde les siens. Il a près de lui une sœur qui exerce sur lui une influence protectrice, qui pourvoit à ses besoins, gère sa fortune et l'empêche de devenir la dupe facile d'aventurières en quête d'une proie. Tant que cette influence heureuse s'exerce sur lui, il conserve encore une certaine réserve. Le jour où elle lui manque, à soixantedix ans, il se trouve livré à lui-même, il réalise son rêve d'avoir une femme à lui. Il a cette rare bonne fortune de rencontrer une personne honnête, qui lui continue, dans une certaine mesure, la tutelle officieuse dont il ne saurait se passer. Mais cette femme, dont nous ne savons pas les secrets, qui, si elle pouvait parler, nous raconterait d'étranges choses, ne peut contenir ses appétits instinctifs. Elle ne peut empêcher que cet homme, chez lequel le sens moral n'a jamais existé, ne se livre sur son propre enfant à des attentats odieux. Le jour où la justice intervient, nul ne s'étonne, l'événement était en quelque sorte prévu, et si l'indignation publique reste entière, on sent que dans son expression elle ne fait que traduire des sentiments depuis longtemps conçus.

Cet homme, dont vous connaissez les tendances érotiques dans le passé, doit-il être considéré comme obéissant à des impulsions morbides que sa volonté aurait été impuissante à maîtriser? Doit-il être considéré comme irresponsable de ses actes?

Nos honorables confrères ne l'ont pas pensé. Ils ont cherché à démontrer que M. de... ne pouvait rentrer dans la classe des satyres, que chez lui l'excitation génésiaque habituelle n'était pas compliquée d'une agitation délirante capable d'enlever à la volonté son empire. Nous sommes de leur avis; les actes immoraux des aliénés répondent à des types mieux définis. Chez M. de....., il n'y a rien de plus qu'une débilité mentale congénitale, il n'y a pas un arrêt complet du développement intellectuel. On ne peut invoquer non

plus une démence commençante, état dans lequel la salacité, fait nouveau, non constaté jusqu'alors, a toute la valeur d'un symptôme. Les actes incriminés sont identiques aux actes connus de toute la vie de l'inculpé, qui, et nous ne croyons pas aller trop loin, ont dû donner à maintes reprises l'occasion d'intenter des poursuites.

Il est certain que, dans des conditions d'infériorité intellectuelle aussi évidentes que celles qui ressortent et du rapport, et des renseignements complémentaires qui nous sont parvenus, la responsabilité ne peut être entière, absolue, qu'il faut tenir compte d'une débilité mentale dont la preuve est faite. Mais il est certain aussi que M. de la R... ne saurait échapper à toute responsabilité pénale. Cette doctrine de la responsabilité atténuée est vraiment scientifi que, elle réserve les droits de la justice comme elle consacre ceux de la science. Trop longtemps, il nous semble, avec un esprit de systématisation étroit, on s'est maintenu dans des affirmations inflexibles qui ne répondaient pas à la vérité de situations, délicates peut-être, difficiles toujours à apprécier. Nous pensons que l'heure est venue de m pre avec des traditions erronées; et c'est au nom de la clinique, au nom d'une observation impartiale et sévère des faits, qu'il convient de formuler des conclusions conformes à la fois à la morale et aux données de la science.

En conséquence, Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la commission permanente de la Société de médecine légale de donner son adhésion aux principes posés dans le rapports de MM. les docteurs Derazey et Magnié, et d'adopter les conclusions suivantes :

1° M. de R... est atteint de débilité intellectuelle congénitale, avec perversions instinctives, sans conceptions délirantes.

2° Les excès vénériens auxquels il s'est livré toute sa vie ont entretenu une excitation génitale permanente, sans

qu'il soit permis de dire que cette disposition acquise ait jamais eu les caractères d'un état morbide.

3° En conséquence, nous ne pouvons admettre des impulsions irrésistibles, ni déclarer, si affaiblie que puisse être la volonté par les progrès de l'âge, par les excès vénériens eux-mêmes, que M. de R... ait été incapable de maîtriser ses instincts.

4° Nous pensons que M. de R... doit être considéré comme responsable de ses actes, mais qu'il y a lieu de tenir compte, dans l'appréciation du degré de responsabilité qui lui incombe, des conditions d'infériorité intellectuelle et morale constatées chez lui depuis son enfance.

Les conclusions de ce rapport ont été adoptées par la Société dans sa séance du 13 août 1877.

MEURTRE COMMIS PAR UN ÉPILEPTIQUE
RESPONSABILITÉ ATTÉNUÉE

Communication de M. le docteur MOTET (1)

Messieurs,

J'ai eu l'honneur d'être chargé, au mois de janvier dernier, par M. le conseiller Sevestre, président de la session. d'assises de Seine-et-Oise, d'un examen médico-légal dont je vous prie de me permettre de vous rendre compte. L'affaire dont il s'agit est particulièrement intéressante : c'est une affaire d'assassinat; l'accusé est un épileptique. J'avais à déterminer s'il était ou s'il n'était pas responsable du crime qu'il avait commis.

Après de longues et importantes discussions, la Société de médecine légale a admis que, pour déterminer la responsabilité des épileptiques, il fallait étudier chaque fait particulier, et que si la clinique fournissait les éléments les

(1) Séance du 12 mars 1877.

plus utiles dans l'appréciation générale des faits; l'examen individuel fournissait de son côté des données non moins intéressantes. C'est en m'inspirant des principes qui ont prévalu parmi vous que je suis arrivé à formuler une opinion que je crois, en mon honneur et conscience, à la fois scientifique et conforme à la vérité.

Je résumerai brièvement les faits, tels que les ont relevés et l'acte d'accusation et les différents interrogatoires auxquels l'accusé a dû répondre.

Le 30 juillet 1876, un terrassier nommé Levêque était à huit heures du soir couché sur le revers d'un fossé dans un terrain militaire au voisinage du fort de Domont, près de Montmorency. Cet homme n'était pas dans un état d'ivresse complète, il était seulement un peu excité par la boisson. Un sapeur du génie qui se trouvait avec quelques camarades l'aperçut, se dirigea vers lui et l'invita à sortir du terrain militaire. Levêque s'y refusa; le sapeur l'alla prendre par le bras et, sans éprouver grande résistance, il le conduisit jusqu'à la route. Levêque lui dit alors : « Si tu étais seul, je t'éventrerais. » Le garde du génie ne prit pas garde à cette menace et s'éloigna. Levêque prit sur la route une pierre qu'il allait lui jeter, lorsque plusieurs passants, parmi lesquels se trouvait un charretier nommé Cébel, s'interposèrent; l'accusé s'en prit alors à Cébel et voulut le maltraiter. Cébel, de petite taille, peu vigoureux, n'eût pu lui résister, lorsqu'un autre charretier nommé Maucourant, qui le connaissait, prit sa défense; une lutte s'engagea, Levêque fut battu. Maucourant, qui n'était pas d'humeur batailleuse, et auquel il suffisait d'avoir donné une leçon à Levêque, s'éloigna. Mais l'accusé le suivit en l'injuriant. Maucourant voulant éviter une nouvelle querelle lui dit : « Tu as ton compte, laisse-moi tranquille », et il revint sur ses pas pour rentrer à l'auberge où il demeurait. Levêque le suivit et, voulant le forcer à se battre encore, il l'attei

gnit et lui porta un coup à l'épaule. Une seconde rixe s'engage, Levêque a le dessous encore, et alors, furieux, il tire son couteau de sa poche et en porte un coup en pleine poitrine à Maucourant, dont la mort fut presque instantanée.

Qu'est-ce que Levêque? — C'est un homme de quarantedeux ans, grand, vigoureusement constitué. Il est originaire de Saint-Junien, dans la Haute-Vienne; il a laissé dans son pays les plus mauvais souvenirs. Il a été poursuivi pour violences exercées sur des membres de sa famille, à l'occasion d'affaires d'intérêt. Épileptique, il n'a pas été placé dans un asile d'aliénés, l'autorité administrative, après examen médical, ne l'ayant pas considéré comme aliéné. En 1872 il arrive à Paris, au mois d'août. Le jour même de son arrivée, il est pris d'un accès de fureur, il brise tout dans la maison d'un parent qui lui avait donné asile. Il est envoyé à l'infirmerie spéciale du dépôt de la préfecture de police, et il entre à Sainte-Anne d'abord, à Bicêtre ensuite. Les certificats attestent l'épilepsie vertigineuse, avec impulsions violentes. Au mois de novembre, n'ayant pas eu d'attaques depuis longtemps, il est rendu à la liberté.

Nous le retrouvons de nouveau au dépôt dans les premiers jours de janvier 1873. M. le professeur Lasègue l'examine et le déclare « épileptique à accès rares »; alcoolisme léger; son placement n'est pas motivé par l'état actuel. En effet, Levêque reprend ses occupations accoutumées, gagne sa vie, ne fait pas parler de lui pendant une période de trois ans et demi. De son propre aveu, il a des habitudes d'intempérance; mais cependant, il ne dépasse pas ordinaire ment l'ébriété, il ne boit que du vin, pas d'absinthe, trèspeu d'eau-de-vie. Il convient que le jour du crime, il avait, dans une promenade avec un camarade, bu un peu plus que de coutume. Il a conservé le souvenir de son altercation avec le sapeur du génie, des deux rixes qui l'ont suivie,

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