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M. Pidoux a proposé de former une association pour l'extinction de la phthisie (1). Certes, si l'on compare la grandeur du but à atteindre aux buts que se sont proposés tant d'autres sociétés scientifiques, tant d'autres associations philanthropiques, ces sociétés et associations phthisiologiques mériteraient de réunir de nombreux adhérents. Il ne peut qu'être avantageux de réunir les données scientifiques relatives à l'étiologie de la phthisie et de concourir, avec les subventions municipales, à la création et à l'entretien de gymnases, de cours de chant, de sanatoria et de toutes autres mesures d'hygiène publique propres à prévenir le développement de cette maladie, véritable fléau destructeur de nos populations urbaines.

DE L'ÉTIOLOGIE TELLURIQUE DU CHOLÉRA D'APRÈS LES TRAVAUX DU PROFESSEUR MAX DE PETTENKOFER (de Munich),

Par M. le D' E. DECAISNE.

La théorie dite tellurique du choléra asiatique à laquelle est attaché le nom de M. le professeur Max de Pettenkofer (de Munich) a la chance malheureuse, je le confesse, d'avoir contre elle, en France, un très-grand nombre de médecins, d'être mal comprise par beaucoup de personnes et d'être entourée d'une certaine obscurité, en dépit de Voltaire qui a dit:

C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière.

Je me propose donc, à l'aide des travaux du professeur de Munich lui-même, d'éclairer certains points restés obscurs et de réfuter les principales objections faites à cette doctrine,

(1) Pidoux, loc. cit., p. 520, etc.

avec laquelle, selon moi, il faut désormais compter, au point de vue de l'étiologie du choléra.

Les divers rapporteurs des épidémies qui se sont succédé à l'Académie de médecine ont cru pouvoir démontrer que la nature du terrain n'a pas la moindre influence sur la propagation du choléra, et M. Briquet, en particulier a fait remarquer que la prédilection de cette maladie pour les terrains d'alluvion, admise généralement, n'est qu'apparente et n'existe pas en réalité. Il motive son assertion sur ce fait que les localités situées sur les terrains d'alluvion sont plus nombreuses que les autres. En effet, dit-il, il résulte de l'étude qu'il a faite des épidémies de choléra de 1848 et 1849 en France, les cartes géologiques à la main, qu'il n'a pu trouver aucun terrain épargné par la maladie. D'après lui et d'après les rapporteurs qui l'ont précédé, la fréquence du choléra serait à peu près égale partout.

On ne fait là que répéter ce que M. de Pettenkofer a dit il y a vingt ans déjà, à savoir que la formation géologique en elle-même n'a pas d'influence. Le professeur de Munich a trouvé, en effet, que le choléra se montre sur toutes les formations, que les épidémies éclatent sur le quartz aussi bien que sur le calcaire, dans une région d'alluvion aussi bien que dans celles que les géologues rattachent au keuper ou au granit. Ce qui importe, c'est l'état d'agrégation physique du terrain, sa perméabilité pour l'eau et pour l'air, enfin la quantité variable d'eau qu'il contient. Ce n'est pas par l'étude des cartes géologiques que l'auteur de la théorie tellurique a été amené à cette conclusion, mais par une statistique exacte de la marche des épidémies de choléra dans une série considérable de villes et de villages. L'analyse rigoureuse de chaque épidémie locale lui a appris que l'irrégularité toujours observée dans la distribution locale des cas de choléra, leur explosion plus ou moins épidémique, dépendent de certaine

conditions physiques du terrain et de son imprégnation par l'eau et les substances organiques.

Dans un grand nombre de cas, on a remarqué que, dans une même localité, les quartiers atteints par l'épidémie reposaient sur un terrain poreux facilement perméable à l'eau et à l'air, tandis que les quartiers épargnés reposaient sur un terrain compacte peu ou pas perméable à l'eau et à l'air.

Pour citer un cas de ce genre, nous rappellerons la distribution du choléra en 1854 dans la ville de Nuremberg.

Nuremberg repose sur une formation keupérienne, la rivière la Peignitz partage la ville en deux. Le choléra sévissait avec intensité sur la rive gauche, tandis que sur la rive droite, on n'observa que quelques cas isolés. Ce fait ne peut s'expliquer par la contagion, car les communications demeurèrent parfaitement libres entre les deux moitiés de la ville. Les habitations et toutes les autres conditions d'existence étaient absolument les mêmes des deux côtés: du côté épargné, la population pauvre était fortement représentée; seulement le côté de la ville atteint par le choléra repose sur le sable keupérien, le côté épargné sur le grès keupérien.

En 1854, on avait déjà observé si souvent de pareils cas, que, dans les conclusions du rapport officiel sur l'épidémie de 1854 en Bavière, on lit la proposition suivante: « Un terrain compacte (imperméable à l'eau et à l'air) exclut le développement d'une épidémie de choléra. » De divers côtés on combattit cette assertion. On fit, en particulier, remarquer que de violentes épidémies de choléra sévissent de temps à autre à Malte qui n'est qu'un rocher presque nu émergeant de la Méditerranée.

M. de Pettenkofer se rendit à Malte en 1868 pour étudier sur place l'épidémie et le terrain. Il constata que le terrain de Malte, ce rocher sur lequel reposent les villes de

Valetta, Floriana, Senglea, etc., est aussi poreux que du sable désagrégé. Avec une scie et un couteau, on peut le couper plus facilement que du bois et, quand il est sec, il peut absorber plus du tiers de son volume d'eau c'està-dire autant que le sable des terrains d'alluvion. Ce rocher de Malte fournit les pierres à filtrer pour l'eau potable de la marine anglaise. C'est du sable, mais qui a une certaine consistance, comme un terrain sablonneux qui se solidifie en hiver et acquiert pour ainsi dire la dureté du rocher quand l'eau qu'il renferme vient à geler. On pourra, sur ce point, consulter le travail de M. de Pettenkofer (1).

Sur les cartes géologiques on ne fait pas ordinairement de distinction entre la porosité plus ou moins grande des roches. Le géologue donne, sur sa carte, la même couleur à toute la surface qui appartient à une même formation, lors même que les conditions physiques d'agrégation de la substance varient sensiblement suivant les différents endroits.

La contrée de Nuremberg appartient, par exemple, à la formation du keuper, et le géologue représente sur sa carte avec les mêmes teintes les deux côtés de la Peignitz, c'està-dire qu'il ne différencie en aucune façon le sable keupérien du grès keupérien. Cependant, pour l'hygiéniste, il est fort important de savoir si le keuper existe sous forme de sable ou sous forme de rocher plus ou moins compacte.

Il est donc impossible, avec une carte géologique pour base, de juger de la distribution du choléra par rapport à la nature du terrain, comme l'ont fait divers auteurs, et l'on ne peut tirer de conclusions valables du résultat de pareilles recherches.

Si un terrain poreux est nécessaire au développement

(1) Die Cholera Epidemien auf Malta und Gozo (Zeitschrift für Biologie, vol. VI, p. 143).

du choléra dans une localité, il ne s'ensuit pas que ce développement n'exige pas d'autres conditions. Même sur un terrain d'alluvion ayant partout la même constitution, la maladie se propage souvent d'une façon fort irrégulière, dans la même localité, sans qu'on puisse l'expliquer par les conditions hygiéniques dans lesquelles vivent les habilants.

Dans les trois épidémies qui ont sévi jusqu'ici à Munich (1836, 1854 et 1873-1874), les différents quartiers de la ville se sont chaque fois comportés différemment, quoique le terrain de Munich soit uniforme dans toute la ville. C'est une couche d'éboulis de calcaire des Alpes, la même qui recouvre tout le plateau Souabe-Bavarois. Munich se trouve du côté gauche de l'Isar, sur trois terrasses qui se suivent en montant à partir de la rivière d'une façon très-marquée. A chaque épidémie, les quartiers de la ville situés sur ces trois terrasses se sont comportés d'une manière différente, et chaque fois, c'est la plus basse qui a eu le plus à souffrir.

. Cela ne tient pas à la manière de vivre des habitants ni aux conditions sociales dans lesquelles ils sont placés, mais à la nature du terrain. On peut s'en convaincre par la manière dont l'épidémie a sévi chaque fois sur la garnison de la ville. Cette garnison est répartie dans sept casernes dispersées sur les trois terrasses. Les soldats de ces diverses. casernes furent chaque fois atteints à un degrés très-différent, toujours au même degré que la population civile des environs. Dans les casernes qui se trouvaient dans une rue atteinte par l'épidémie, un grand nombre de soldats étaient frappés; dans celles situées dans une rue épargnée, les soldats échappaient au fléau. De même l'invasion des cas de choléra dans la population civile et dans la population militaire coïncidait avec la localité.

La vie des soldats est partout la même : ce sont des

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