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D'HYGIÈNE PUBLIQUE

ET

DE MÉDECINE LÉGALE

HYGIÈNE PUBLIQUE

DE LA FIÈVRE TYPHOIDE DANS L'ARMÉE L'ARMÉE FRANÇAISE CONSTITUE-T-ELLE UN MILIEU TYPHOÏGÈNE? (1)

Par M. Léon COLIN

Professeur d'épidémiologie à l'École d'application du Val-de-Grâce.

Ayant reçu de M. le président du conseil de santé des armées la mission d'analyser les divers rapports adressés au conseil depuis l'année 1874, sur les épidémies de fièvre typhoïde observées dans nos diverses garnisons (2), j'ai pensé que l'Académie accueillerait avec bienveillance cette courte communication sur une question capitale dans la santé de notre armée.

On sait quel est le rôle de cette affection dans la mortalité du soldat: à l'intérieur elle constitue invariablement chaque année la cause principale de décès par maladie aiguë, et nous verrons qu'il n'est pas loin d'en être de même dans notre colonie d'Afrique.

Ce rôle, elle le maintient même aux époques d'apparition des fléaux transitoires qui pèsent si lourdement sur la mortalité de la population civile; pendant les épidémies de choléra de 1865 et 1866, dont tant de villes de garnison furent atteintes, la fièvre typhoïde causa dans l'armée beaucoup plus de décès que cette dernière maladie.

(1) Communication faite à l'Académie de médecine de Paris, le 2 octobre 1877.

(2) Le travail complet a été publié dans le Recueil de médecine militaire, et forme 1 vol. in-8 de 200 pages: La fièvre typhoide dans l'armée. Paris, J.-B. Baillière et fils.

C'est qu'en temps de paix, dans nos diverses garnisons, le soldat n'offre, relativement au choléra, qu'une somme de réceptivité analogue à celle de tout membre de la population; tandis qu'à l'égard de la fièvre typhoïde, il y a dans l'armée des conditions de prédisposition toutes spéciales, prédispositions qui doivent nous préoccuper d'autant plus qu'elles semblent actuellement en voie d'augmentation.

Depuis deux ans, le chiffre de la mortalité annuelle par la fièvre typhoïde atteint et dépasse la proportion de 3 pour 1000 hommes présents sous les drapeaux, alors que pendant une série d'années antérieures il oscillait autour de 2 seulement; c'est un accroissement de moitié.

Faut-il, de ces faits, conclure que l'ensemble de l'armée est actuellement soumis à des causes d'insalubrité plus considérables qu'autrefois, et ne voir, en l'aggravation de ses pertes par fièvre typhoïde, que l'exagération, dans nos casernes, des conditions génératrices de cette affection?

Une telle conclusion, nous en fournirons la preuve, serait singulièrement erronée. Sans viser au paradoxe, nous pouvons affirmer que, malgré cette augmentation de fréquence de la fièvre typhoïde, les applications de l'hygiène sont en voie de progrès dans l'armée.

Notre but est précisément d'établir que dans l'étiologie de cette affection, dans son entretien et sa propagation épidémique, notre armée est loin de jouer le rôle important qui lui a été trop facilement attribué.

Nous appuierons notre thèse sur trois ordres de considérations étiologiques, prophylactiques, géographiques:

1o Les premières ayant pour objet de démontrer que la genèse des épidémies militaires de fièvre typhoïde est loin de dépendre entièrement de foyers d'insalubrité propres à l'armée ou engendrés par elle; 2° les secondes établissant le peu de ténacité de cette affection parmi les troupes soustraites à certaines influences d'origine extérieure, notam

ment au séjour dans les villes; 3° les autres, enfin, prouvant la fréquence tout aussi grande de la maladie dans les armées étrangères.

I. CONSIDÉRATIONS ÉTIOLOGIQUES.

L'installation

des troupes est chaque année l'objet d'inspections médicales qui s'étendent aux moindres détails. Elle est soumise aux investigations répétées, quotidiennes des médecins de régiment. Dans leurs rapports, se trouvent dévoilées non-seulement les causes d'insalubrité qui peuvent résulter d'un aménagement imparfait des cuisines, des égouts, des latrines; mais celles encore qui se rattachent à toutes les conditions de l'habitat, depuis le cubage et l'aération des chambres, jusqu'aux fissures des parquets, seuls réceptacles des détritus organiques que parfois on ait pu invoquer. L'analyse étiologique locale est poussée aussi loin que possible. S'associant aux exigences et aux espérances de la science moderne, plusieurs de nos collègues de l'armée dirigent et assurent la récolte de ces poussières atmosphériques dont l'étude est à l'ordre du jour.

Il serait désirable qu'un contrôle aussi complet pût être exercé sur toute demeure apte au développement de la fièvre typhoïde.

La notoriété, acquise à certains foyers insalubres constatés dans les casernes, est en somme le résultat de cette surveillance incessante, et de l'empressement des médecins des corps à signaler les desiderata hygiéniques de la demeure

commune.

Mais peut-être est-il résulté, de cette notoriété même, la conviction trop générale que chaque caserne peut et doit rendre compte de l'origine de l'épidémie dont est frappé son effectif.

Peut-être a-t-on quelque tendance à exagérer le nombre et l'intensité des foyers infectieux engendrés par les diverses circonstances de la vie militaire. Que de fois n'a-t-on

pas évoqué l'influence de l'encombrement de casernes largement ventilées, alors même que depuis longtemps leur effectif était réduit à un minimun exceptionnel?

Que n'a-t-on pas dit de l'infection des casernes par les latrines et les égouts? Récemment encore, pendant la grave recrudescence automnale qui sévissait sur la garnison de Paris, notamment parmi les troupes logées au Châteaud'Eau, on a donné pour raison de l'atteinte de ce quartier son voisinage du grand égout collecteur dont un regard s'ouvrait, disait-on, dans la cour intérieure de la caserne. Dans une visite à laquelle voulut bien nous convoquer M. l'inspecteur Legouest, nous eûmes beau chercher le regard en question, nous pûmes nous convaincre de l'absence de toute communication directe entre l'atmosphère de cette cour et celle de l'égout qui, d'ailleurs, passe en avant et non pas au-dessous du quartier du Château-d'Eau.

Loin de moi la pensée de contester le rôle des conditions d'insalubrité intérieure dans la genèse des épidémies de l'armée; je trouverais trop de démentis parmi les nombreux rapports que j'ai dû examiner, et dont plusieurs démontrent la nocuité de foyers surgissant dans l'intérieur même des bâtiments militaires par l'installation vicieuse soit des égouts, soit des latrines, ou par le méphitisme de l'encombrement. Cette démonstration est convaincante, surtout quand l'épidémie s'est développée en de petites garnisons où la fièvre typhoïde était presque inconnue à la population civile, comme à Fontenay-le-Comte en 1874, à Bellac en 1876, etc.; parfois sa limitation absolue à un étage d'une caserne, à une chambre, démontre mieux encore son origine totalement intrinsèque. Mais, dans la majorité des cas, au lieu de signaler une localisation aussi nette de l'épidémie en telle ou telle caserne, sous l'influence de conditions d'insalubrité intérieure, les rapports démontrent l'intervention, simultanée ou exclusive, d'influences de voisinage, qui ont

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