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tueux qui tiennent du vol, de l'escroquerie et de l'abus de confiance, où le plaignant lutte d'infamie avec le défendeur, ou les pratiques obscènes s'enchevêtrent avec les réclamations les plus répugnantes, quoique fondées (1). La dignité de la justice repousserait la connaissance de tous ces délits, le tribunal chargé de les constater de les discuter et de les juger publiquement serait une scandaleuse école de mauvaises mœurs. Une femme qui marche lentement le long d'un trottoir et s'arrête aux devantures des magasins, engage presque les passants à la suivre et à lui adresser la parole; la traduirez-vous pour ce fait en police correctionnelle? Il y a toutes les nuances possible entre le fait de promener un petit chien, et l'invitation verbale à monter chez soi. Où commencera le délit de raccrochage? Comment le définirez-vous? Utopie; utopie! La voie publique, le bal public seront toujours, quoi qu'on fasse, le terrain des rencontres fortuites; d'ailleurs, qui oserait affirmer que les amours de hasard sont toujours éphémères? Quel moraliste, quel jurisconsulte entreprendra de définir la coquetterie reconnue légitimement séduisante, et la provocation indiscrète, scandaleuse et punissable?

Quant à la proposition d'obliger les tenant-maisons à verser un cautionnement et à assurer eux-mêmes l'intégrité sanitaire des filles qu'ils exploitent, elle me paraît avoir un défaut capital, ce ui de leur accorder la reconnaissance légale de leur profession et, plus encore, de leur conférer une sorte de fonction publique. Les proxénètes munis de leur quittance vivront donc régulièrement sous l'égide de la loi comme les autres citoyens, ils seront protégés par les pouvoirs sociaux dans la mesure de leur soumission. Qui pourrait se flatter de surmonter à cet égard les répugnances des législateurs? Aucune mesure législative n'a pu être prise, ni en l'an IV, ni depuis; le code pénal de 1810 ne mentionne même pas le nom de la prostitution. En 1814, en 1816, en 1849, en 1822, des administrateurs éminents, s'entourant des conseils des jurisconsultes, ont essayé de formuler des projets spéciaux, appropriés autant que possible aux exigences de la morale: après examen approfondi, ils se sont vus contraints de reconnaître l'impossibilité de l'œuvre (2).

L'idée de rendre les proxénètes responsables de l'intégrité sanitaire des filles qu'ils exploitent est admissible par un théoricien, mais quiconque a vu de près cette classe d'industriels, ou plutôt ces industriels déclassés, sait bien qu'ils manquent absolument d'intelligence et de sens moral. La responsabilité que voudrait leur confier M. Mireur est incompatible précisément avec leur grossière ignorance et leur ignoble perversité. Et d'ailleurs la loi elle-même se

(1) Voyez Prostitution à Paris et à Londres, 1872.

(2, Achille Morin, cité par Lecour, in Prost. à Paris et à Londres, 1872, p. 35.

déshonorerait en les admettant à contracter un engagement quelconque avec les représentants de l'autorité publique.

M. Mireur justifie les innovations qu'il propose en démontrant que les mesures adoptées jusqu'à ce jour ne suffisent pas à préserver la société des ravages de la syphilis.

Il faut ici distinguer: certaines statistiques militaires ont démontré l'efficacité de l'énergique répression de la prostitution clandestine, jointe aux visites sanitaires, au traitement imposé aux prostituées inscrites; ce qui est démontré, c'est que cette efficacité n'est pas absolue. Sous l'influence de la police sanitaire, le niveau de l'infection publique s'abaisse sensiblement, puis il reste stationnaire. Fort bien, mais qu'est-ce que cela prouve? C'est que la police sanitaire n'atteint pas toutes les sources, incessamment renouvelées, de l'infection. Aussi tous les hygiénistes, et M. Mireur lui-même, réclament des mesures de prophylaxie publique de la syphilis, indépendantes de la prostitution. Ils réclament une entente internationale pour la visite des matelots de la marine marchande, la rigoureuse application des règlements sanitaires qui concernent l'armée de terre et de mer, la modification des règlements des Sociétés de secours mutuels, la libre admission des syphilitiques dans les hôpitaux, la création de dispensaires pour le traitement gratuit des indigents syphilitiques, la surveillance des nourrices et des nourrissons au point de vue de la propagation de la syphilis, etc., etc. Puisque toutes ces institutions prophylactiques sont déclarées nécessaires, est-il surprenant que les dispensaires de salubrité ne suffisent pas à éteindre la syphilis ?

Pour moi, je demande que les statistiques militaires exactement recueillies dans toutes les villes permettent de suivre pas à pas la marche de l'infection syphilitique et servent partout de contrôle au service des bureaux des mœurs et des dispensaires (1); je demande qu'un règlement uniforme soit appliqué dans toutes les villes, qu'un inspecteur général des services sanitaires spéciaux soit institué et que l'autorité publique n'abandonne pas à une sorte d'anarchie toutes les institutions relatives à la prostitution et à l'endémie syphilitique.

En résumé, bien que je n'accepte pas le nouveau système imaginé par M. Mireur, je n'en reconnais pas moins le mérite de son livre, qui prendra certainement un rang très-distingué parmi les ouvrages spéciaux.

(1) Le vœu que j'ai formulé à cet égard dans mon premier Mémoire sur la prostitution publique, imprimé en 1862, vient enfin de recevoir satisfaction. A dater du 1er janvier 1874, les statistiques médicales militaires fourniront par trimestre, avec les effectifs exacts des garnisons, le nombre des malades de chaque espèce fournis par chacune d'elles.

Sous le titre d'État actuel de la prostitution parisienne, il était à espérer que M. Lecour, chef de la première division à la préfecture de police, donnerait au public une œuvre sérieuse et utile.

J'ai cherché dans cette nouvelle publication de l'homme le mieux placé pour bien connaître le fond des choses des renseignements précis sur les règlements appliqués à Paris et qui devraient servir de modèles aux administrations municipales de nos grandes villes, j'y ai cherché les preuves des heureux résultats réalisés sous l'influence de ces règlements au double point de vue sanitaire et moral; par exemple, les statistiques comparatives des militaires de la garnison de Paris démontrant la diminution progressive de l'infection syphilitique, le nombre des prostituées ramenées à la vie régulière et rendues à leurs familles, l'extension des services hospitaliers, des dispensaires gratuits pour les syphilitiques et des maisons de refuge pour les filles repenties, la diminution des horribles repaires où l'on tolère encore l'adjonction du débit des boissons alcooliques à la prostitution au voisinage des casernes, les mesures prises pour abolir l'infâme métier de souteneur, etc., etc. Enfin quelque chose d'analogue aux rapports présentés par sir John Pakington ou sir W.-H. Stoggett à la Chambre des communes en 1873, au sujet des nouvelles lois anglaises sur les maladies contagieuses.

Je regrette de le dire, j'ai été complétement déçu ; cette brochure ne tient rien de ce que promet son titre : De l'état actuel de la prostitution parisienne.

Quoique trompé par la couverture de cet opuscule, je dois dire que je l'ai lu avec un certain plaisir. D'abord l'auteur s'y montre fort spirituel, ensuite il arrive à prouver (sans le vouloir, il est vrai) que l'admirative contemplation de ses œuvres, dans laquelle vivait la police de la prostitution, est sérieusement troublée dans la cité modèle. C'est un pamphlet de circonstance qui n'ayant pas pu trouver place dans un journal de médecine, faute de caractère scientifique, ni dans une revue quelconque à cause de son sujet spécial, a pris le parti de se couvrir d'un titre acceptable. M. Lecour est certainement capable de rendre de meilleurs services à l'hygiène administrative. Jose espérer qu'il y réussira lorsqu'il sera convaincu qu'en exposant les défauts de l'administration parisienne, on n'a pas voulu le prendre personnellement à partie et qu'on ne méconnaît ni les droits de son expérience ni ceux de son dévouement au bien public et de ses talents. Dr J. JEANNEL.

Congrès international d'hygiène
Session de Paris

Ce congrès a tenu déjà plusieurs sessions, notamment une session à Bruxelles, dont nous avons longuement rendu compte. La

session de Paris promet d'être très-nombreuse, car il y a déjà 1050 membres inscrits. Voici l'ordre de ses travaux : Jeudi, 1er août. Séance générale d'inauguration. Vendredi, 2 août.

- Discussion du rapport de MM. J. Bergeron, Bertillon et Marjolin sur la première question du programme : hygiene du nouveau-ne.

Samedi, 3 aout.

--

Discussion du rapport de MM. Schlosing, Durand-Claye et Proust sur la deuxième question: alteration des cours d'eau.

Lundi, 5 août.

Discussion du rapport de MM. Bouchardat et A. Gautier, Bouley et Nocard, sur la troisième question: hygiene alimentaire.

Mercredi, 7 août. Discussion du rapport de MM. E. Trélat et O. du Mesnil sur la quatrième question : logement des classes necessiteuses.

Vendredi, 9 août. Discussion sur le rapport de MM. Gubler et Napias sur la cinquième question: hygiene professionnelle.

Samedi, 10 aout. Discussion sur le rapport de MM. Fauvel et Vallin sur la sixième question prophylaxie des maladies infectieuses et contagieuses.

Nous citerons les communications suivantes faites dans les séances dn congrès :

Edvin Chadwick; Des attributions du ministre de la santé publique. (Cette communication sera faite le 5 aoùt). - P. Hinckes Bird; De l'air des égouts, etc. (Cette communication sera faite le 7 aout.) Dr Bambas; De l'emploi des substances alimentaires en Grèce. D' Goyard; Influence du tabac sur le développement des organes et des fonctions.. Barbe; De l'hygiène au point de vue de l'ouvrier mineur. Billaudeau; Enseignement de l'hygiène élémentaire des ecoles primaires. Barthelemy. Hygiène des terres arables. - Bouley; Prophylaxie de la rage. - D Marmisse; Mortalite des médecins. hoch; Enseignement populaire de l'hygiène pratique. De Grosz; Organisation des allaires de l'hygiène publique de Hongrie. François, (Jules); Rapatriement des blessés et malades des armées. Tollet; Des logements collectifs. —Javal; Hygiene de la vue. -Landolt; Methode simple pour déterrminer I eclairage des salles d'études. A. Robin; Appareils destines à empecher les accidents dans les manufactures. Manouvriez; Amblyopie des preposes des fabriques de marc et distilleries. - De Beauvais; Regime alimentaire de la prison de Mazas, etc. Drysdale; De l'accroissement trop rapide de la population en Angleterre et en France Kuborn; De l'organisation de l'hygiene publique en Belgique et de l'institution des Sociétés de médecine publique. Chambrelent; Assainissement et mise en valeur des fandes de Gascogne.

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Le Gérant HENRI BAILLIÈRE.

JARIS. IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

D'HYGIÈNE PUBLIQUE

ET

DE MÉDECINE LÉGALE

HYGIÈNE PUBLIQUE

NOUVELLE MALADIE PROFESSIONNELLE
CHEZ LES POlisseuses dE CAMÉES

Par M. A. PROUST

Agrégé de la Faculté de médecine, Médecin de l'hôpital Lariboisière, Secrétaire adjoint du Comité d'hygiène publique de France (1).

L'Académie se rappelle peut-être que j'ai eu l'honneur, il y a plusieurs années déjà, de lui communiquer quelques remarques sur le rôle de l'absorption des molécules pulvérulentes dans l'étiologie des maladies professionnelles. Dans les cas d'anthracosis et de sidérosis auxquels je fais allusion, il s'agissait de la pénétration de molécules inertes, troublant seulement les organes qu'elles encombrent par leurs propriétés mécaniques.

Nous avons affaire aujourd'hui à des exemples d'un tout autre ordre. L'absorption et l'accumulation des substances étrangères agissent ici par leurs propriétés toxiques; ce n'est point un seul tissu qui est atteint; les manifestations morbides, se montrant sur divers appareils, dénotent l'imprégnation de l'économie tout entière.

Ces exemples sont d'autant plus importants que souvent l'intoxication s'établit d'une façon insidieuse, et souvent même, comme dans le cas que je vais rapporter, sans que la malade soupçonne un instant la cause réelle des accidents. L'impotence motrice, l'atrophie, sont déjà arrivées à un degré fort avancé, et la femme qui est affectée de ces

(1) Ce mémoire a été lu à l'Académie de médecine.

2o SERIE, 1878.

TOME L.

PARTIE.

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