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CHAPITRE VI.

Napoléon au camp de Boulogne. - Distribution à l'armée des décorations de la Légion-d'Honneur. — Établissement des maisons impériales d'Écouèn et de Saint-Denis. Maisons d'Orphelines.

1804-1814.

La rupture du traité d'Amiens avait suivi presque immédiatement sa conclusion; l'Angleterre, âme de toutes les coalitions qu'elle soudoyait, en préparait une nouvelle contre la France; mais, avant que les autres cabinets fussent en mesure de jeter le masque et de descendre dans la lice, celui de Saint-James crut

pouvoir prendre l'initiative; une plus longue trève eût donné à la France trop d'avantage,

et il fallait lui fermer les mers, où déjà une rivalité commerciale entre les deux peuples avait alarmé les marchands de Londres. Par une rupture déloyale et soudaine, l'Angleterre paralysait la prospérité qui renaissait en France, sous les garanties de la paix; elle frappait de mort son commerce qui, dans sa sécurité pour l'avenir, avait risqué de lointaines opérations. Protégé par ses flottes, le peuple anglais ne soupçonnait pas qu'il y eût pour lui quelques dangers à jeter un insolent défi à la France, à fouler aux pieds le droit des gens, à recommencer la guerre.

Mais il lui fallut bientôt invoquer l'appui de ses alliés, les appeler sur les champs de bataille; les préparatifs d'une descente en Angleterre, une armée nombreuse qui menaçait d'aller lui demander compte, au sein de ses cités, de tant de sang versé pour la cause de son égoïsme mercantile, les preuves d'un suc

cès possible dans cette gigantesque expédition, tout concourut à hâter la guerre sur le continent; mais les armemens du camp de Boulogne, quoiqu'ils n'eussent pas été employés directement contre l'Angleterre, ne furent pas perdus pour la France; elle en obtint un résultat immense, puisqu'ils empêchèrent la coalition formée par le cabinet de Londres, de coordonner ses efforts, d'agir simultanément contre l'ennemi commun; l'Angleterre en compromit le succès par son appel prématuré aux armes de l'Autriche et de la Russie. Le camp de Boulogne prépara la victoire d'Austerlitz.

Napoléon n'était pas dupe des démonstrations pacifiques de Vienne et de Londres; il était prêt à faire face à toutes les exigences de la politique; car il pouvait compter sur le dévouement du peuple français; et avec l'armée réunie à Boulogne il était sûr de vaincre, quel que fût l'ennemi qu'elle eût à combattre. Sa belliqueuse impatience était le gage de nou

veaux triomphes. Cette armée était l'élite des soldats qui avaient déjà vaincu l'Europe.

Quand leur général revint au milieu d'eux, il était empereur; il parut au camp de Boulogne pour visiter les travaux dont il avait ordonné l'exécution. Il retrouva son armée animée du même enthousiasme : elle demandait à s'élancer sur les côtes de l'Angleterre.

Mais avant que le signal soit donné, les braves qui avaient mérité l'étoile de l'honneur, la recevront des mains de Napoléon, au milieu même des camps, presque sous les yeux des Anglais dont les croisières surveillaient tous les mouvemens de l'armée française.

La nature a pris soin de préparer le majestueux théâtre de cette cérémonie militaire '. Près de Boulogne, entre le moulin Hubert et la ferme Teslingthon, un cirque formé par le sol, dont la surface se courbe en bassin, s'ouvre vers la falaise; au centre et sur le diamètre

28 thermidor an XII (17 août 1804).

de ce cirque s'élève un trône ombragé de drapeaux. Napoléon va s'y asseoir, ayant à sa droite ses ministres, les maréchaux de l'Empire, les colonels-généraux, les conseillers-d'état, les généraux venus de l'intérieur; à sa gauche, les fonctionnaires civils et religieux; la garde impériale occupe le reste du diamètre. D'un côté est placée la musique des régimens; de l'autre sont réunis deux mille tambours; aux extrémités se rangent le grand état-major de l'armée et les états-majors des camps. Napoléon découvrira à sa droite les deux camps et les batteries, l'entrée du port et une partie de la rade; à sa gauche, le port de Vimereux et les côtes d'Angleterre.

Soixante bataillons dont les têtes occupent la demi-circonférence du cirque, se déploient en vingt colonnes, et s'avancent devant le trône de l'empereur. On distingue dans l'intérieur, et plus près du trône, les légionnaires de tous les grades et de toutes les armes vingt escadrons en bataille, et derrière eux une foule im

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