Page images
PDF
EPUB

communale, et principalement de celles où s'était conservé le régime municipal romain. Mais M. Guizot, pour un emprunt aussi important (et ce n'est pas le seul qu'il aít fait à la dissertation dont nous parlons), n'a pas cité Bréquigny.

Ce qui est dit du serment que se prêtaient entre eux les bourgeois confédérés a été de même reproduit par M. Augustin Thierry (avec plus de force, il est vrai, et plus de clarte) dans les Lettres sur l'histoire de France, et notamment à la fin du chapitre cinquième des Considérations qui précèdent les récits des temps mérovingiens.

Dans la deuxième partie de sa dissertation, Bréquigny fixe l'époque de l'établissement des communes au douzième siècle, sous le règne de Louis VI. Il a peut-être exagéré ici le rôle que la royauté a joué dans cette grande révolution. On peut lui reprocher aussi de n'avoir pas mieux précisé, à la fin de la deuxième partie et dans la troisième, les causes de la révolution communale. Il s'est borné à dire, comme en passant, que ce fut l'oppression des seigneurs qui détermina le mouvement et les insurrections dans les cités du nord de la France, et, ailleurs, à donner, comme des motifs de l'établissement des communes, ces deux raisons qui nous paraissent trop simples et trop vraies: 1° l'avantage des habitants qui demandaient le droit de commune; 2° l'intérêt des souverains qui l'accordaient. Il devient plus ferme et plus précis lorsqu'il énumère le profit que les bourgeois des villes, d'une part, et la royauté, d'autre part, ont retiré de l'établissement des communes. Il réduit à trois les avantages de la royauté: 1° une somme une fois payée au roi, pour la confirmation ou l'octroi de la charte; 2° une redevance annuelle; 3o le service militaire.

Dans la quatrième partie de son travail, Bréquigny recherche quel devait être le titre fondamental du droit de commune. C'était, dit-il, la charte de

commune elle-même. Puis il examine les conditions essentielles de cet acte, et pour discuter avec plus de méthode, il divise son sujet en quatre points : 1° l'acte fondamental de la commune devait sanctionner la confédération des habitants unis ensemble par serment pour se défendre contre les vexations des seigneurs qui les opprimaient; 2° les personnes qui devaient intervenir dans cet acte: d'abord, les bourgeois, les membres de l'association jurée; ensuite, les seigneurs contre lesquels avait été dirigée cette association; 3° si le seigneur immédiat et principal devait contribuer à l'établissement de la commune et lui donner en quelque sorte une première forme, le roi devait ensuite l'autoriser par une concession spéciale; 4o enfin, l'auteur montre comment on pouvait suppléer au titre original lorsqu'il n'était pas possible de le représenter. Tout cela, comme on le voit, concerne la forme, si nous pouvons nous exprimer ainsi, plutôt que le fond de la constitution et de l'organisation communales.

Nous avons dit que dans la cinquième partie de sa dissertation, Bréquigny recherchait quel était l'objet des principales clauses des chartes de communes. Il reconnaît d'abord dans ces chartes deux choses bien distinctes: / 1° les articles qui se rapportent exclusivement à l'organisation communale, en tant que résultat de l'association sous la foi du serment; 2o une rédaction des coutumes, un code renfermant des lois civiles et pénales. Il entre ensuite dans des développements sur ce qui est contenu dans ces deux parties si distinctes. Nous ne le suivrons point dans ces développements. Nous nous bornerons seulement à dire qu'ici encore M. Guizot a fait à Bréquigny, sans le citer, un notable emprunt, et qu'il lui doit, par exemple, ainsi qu'à Berroyer et à Laurière, cette idée que les coutumes des communes sont les véritables sources de notre droit privé. Au reste, les opinions de Bréquigny sur la juridiction et l'administration munici pales, sur les priviléges, les franchises ETC.)

T. v. 28° Livraison. (DICT. ENCYCL.,

28

des communes, les beffrois, les réserves insérées dans les clauses des chartes, etc., etc., ont été, comme il est facile d'en acquérir la conviction par la lecture de tous les ouvrages sur le régime municipal et sur les communes, très-souvent mises à contribution et reproduites.

Enfin, Bréquigny pose cette question, dans la sixieme partie de sa dissertation: Par qui et pour quelles causes les communes étaient-elles modifiées, supprimées ou rétablies? et il y répond de trois manières, savoir: I par les circonstances politiques; 2° par l'intérêt ou la volonté de celui qui avait accordé ou confirmé les chartes de commune; 3° par l'intérêt ou la volonté des bourgeois eux-mêmes.

M. Leber, qui a réimprimé les deux préfaces qui se trouvent dans les volumes XI et XII du Recueil des ordonnances (*), a fait la critique de certaines parties de la Dissertation sur tes communes. Parmi les reproches qu'il adresse à l'auteur, les trois suivants ne nous ont point paru sans fondement. Il blâme d'abord Bréquigny d'avoir trop accordé à la puissance et à l'influence de la royauté dans l'établissement des communes; ensuite, d'avoir omis tout ce qui concerne les droits d'usage dans les campagnes et la jouissance des communaux, en un mot, d'avoir passé sous silence tout ce qui tient au regime rural; enfin, de n'avoir pas toujours été, dans ses considérations, à la hauteur de son sujet. Ainsi, dit-il, Bréquigny réduit à trois les avantages que la royauté a retirés de l'établissement des communes : une somme une fois payée ; les redevances annuelles; le service militaire. N'aurait-il pas dû faire des réflexions sur l'appui que la royauté trouva dans la bourgeoisie naissante contre la féodalité, sur le rôle de la bourgeoisie? etc., etc. On pourrait répondre à M. Leber que Bréquigny a écrit sa dissertation avant la révolution, et qu'il ne pouvait pas apprécier alors à sa juste valeur,

(*) Collection des meilleures dissertations, notices, traités, etc., t. XX. Paris, 1838.

comme on le fait aujourd'hui, la grandeur et l'importance du rôle que la bourgeoisie a joué dans notre histoire. M. Guizot, qui est venu après la révolution, a complété sur ce point d'une extrême gravité la dissertation de Bréquigny.

On peut, nous ne l'ignorons pas, adresser bien des reproches à cette lumineuse dissertation; mais nous n'en persistons pas moins à dire que les ouvrages entrepris depuis cinquante ans sur le même sujet, ne l'ont pas de beaucoup dépassée; l'auteur y a touché les points les plus importants de la question, et souvent il a résolu d'une manière satisfaisante les plus graves difficultés.

Aussi, y a-t-il lieu de s'étonner que depuis Bréquigny, et après la révolution, un de nos plus grands érudits, un des hommes les plus versés dans l'étude des documents des onzième et douzième siècles, D. Brial, n'ait écrit sur les commanes, dans une préface célèbre, que des choses vagues, insignifiantes, et souvent même erronées (*). Il y prétend, par exemple, que ce qui donna naissance aux communes, et poussa les habitants des villes à l'insurrec tion, ce furent principalement la haine que de tout temps les hommes ont eue contre leurs supérieurs, et l'esprit d'irréligion qui commençait alors à faire de grands progrès, non point seulement au nord de la France, mais dans le midi, dans la Flandre et dans l'Italie. On ne doit tenir aucun compte de l'opinion de D. Brial, qui a pour lui, en définitive, d'autres titres a notre estime et à notre respect que ses considérations sur les communes.

Nous passons sans transition aux Lettres sur l'histoire de France de M. Augustin Thierry. Nous ne nous arrêterons pas longuement sur cet ouvrage, qui ne contient pas, comme quelques-uns l'ont cru, une théorie sur les communes. M. Aug. Thierry, dans ses Lettres, qui étaient destinées

(*) Voy. la préface du t. XIV du Recueil des historiens de France.

à produire sur presque tous les points les plus importants de notre histoire nationale une véritable révolution, n'a point cherché à donner un nouveau système. Il voulait seulement réformer ce qu'il y avait de faux dans les opinions émises par les historiens ses devanciers, opinions qui, avant son livre, jouissaient auprès du public d'un grand crédit. On avait dit et répété sans cesse que Louis VI était le véritable fondateur des communes, M. Augustin Thierry a montré l'exagération de cette assertion, et peutêtre a-t-il cédé un peu trop, sur ce point, à l'esprit de réaction. C'est pour mieux montrer la participation de la bourgeoisie, agissant par ellemême, indépendamment de toute influence étrangère et pour mieux faire sentir ce qu'il y avait de fort et d'énergique dans l'esprit démocratique qui se manifesta, au commencement du douzième siècle, dans toutes les villes du nord de la France, qu'il a donné sur chaque commune les beaux récits que tous connaissent et que nous avons fréquemment cités dans les ANNALES. If ne faut donc point chercher dans les Lettres sur l'histoire de France l'opinion de M. Augustin Thierry sur les communes; nous trouverons ailleurs sa théorie dans le cinquième chapitre des considérations qui précèdent les Récits mérovingiens.

Nous avons déjà eu occasion de dire que le système de M. Guizot reposait en grande partie sur la dissertation de Bréquigny.Comme pour certains points de son sujet il a pénétré plus avant que son devancier, comme il a vu plus loin, et comme aussi il a été plus méthodique quelquefois et plus précis, et qu'il a émis un certain nombre d'idées nouvelles, nous croyons devoir donner le résumé des Leçons qu'il a consacrées aux communes (*). C'est au douzième siècle, dit-il, qu'on a rapporté l'origine, la première

(*) Cours d'histoire de la civilisation en France (1829-1830), 16o, 17o, 18o et 19° leçons.

formation des communes françaises. Par une réaction contre l'opinion accréditée qui attribuait cette origine à la politique et à l'intervention des rois, deux systèmes se sont élevés. D'une part, on a soutenu que les communes étaient bien antérieures au douzième siècle; d'autre part, qu'elles étaient l'œuvre et la conquête des bourgeois eux-mêmes, le résultat de l'insurrection. C'est ce dernier système qu'a soutenu M. Aug. Thierry (M. Guizot fait allusion aux Lettres sur l'histoire de France). Ces deux systèmes sont incomplets, et ne peuvent rendre compte de tous les faits. Il y a eu en effet, ajoute M. Guizot, une grande crise au douzième siècle, comme le prouvent les actes contemporains. Mais celui qui examine ces actes avec soin y reconnaît trois classes de faits bien distincts. Les uns parlent de libertés et de coutumes municipales comme de faits anciens et incontestés; d'autres contiennent la concession de certains priviléges, de certaines exceptions particulières, au profit de tel ou tel bourg, de telle ou telle ville, mais sans les constituer en communes proprement dites; enfin, il y a des actes qui constituent des communes proprement dites, qui confèrent aux habitants de telle ou telle ville une sorte de souveraineté, une souveraineté analogue à celle des possesseurs de fiefs dans l'intérieur de leurs domaines.

Pour expliquer ces trois classes de faits bien distincts qui révèlent des régimes municipaux essentiellement différents, M. Guizot parle d'abord, et en s'appuyant sur l'autorité de M. Raynouard, de la persistance du régime municipal romain dans les villes de France, et principalement dans celles du Midi. Puis, il montre comment des villes nouvelles se sont formées par l'agglomération des serfs et par l'arrivée d'une foule d'étrangers, villes que les seigneurs, dans leur intérêt, soutenaient et protégeaient. Elles reçurent, dit-il, des priviléges qui ne constituèrent pour elles ni un régime municipal semblable à celui

des anciens municipes romains, ni un régime communal. Enfin, il ajoute que, dans d'autres villes, par suite des vexations des seigneurs féodaux, laïques ou prêtres, éclatêrent des insurrections qui créèrent les communes proprement dites.

[ocr errors]

Comme nous l'avons dit précédemment, cette distinction à établir entre les villes françaises au moyen âge, a été empruntée par M. Guizot à Bréquigny. Mais, il faut le dire, M. Guizot a précisé avec une grande clarté ce point très-important qui, dans la dissertation de Bréquigny, était simplement mentionné et indiqué.

M. Guizot a subordonné en quelque sorte, dans ses leçons, la question de l'origine des communes à la question plus vaste et plus générale de la formation du tiers état. Cependant on trouve encore dans ses considérations certaines idées qui se rattachent directement à l'établissement et à la constitution des communes; celle-ci, par exemple, qui avait été émise déjà par Bréquigny, que les chartes de commune n'ont point un caractère exclusivement municipal, qu'elles ont aussi un caractère législatif; qu'elles sont la base d'un droit écrit, de lois civiles et pénales.

Ailleurs, il a fait entre les destinées des communes françaises et des républiques italiennes une comparaison que nous devons signaler. Il montre comment, en France, toutes les villes arrivèrent, les unes plus tôt, les autres plus tard, à être dominées par le pouvoir central, la royauté. Il n'en fut pas de même en Italie, ajoute-t-il: « Les cités, les républiques italiennes, après avoir une fois vaincu les seigneurs voisins, ne tardèrent pas à les absorber. Ils se virent obligés de venir habiter dans leurs murs, et la noblesse féodale, en grande partie du moins, se métamorphosa ainsi en bourgeoisie républicaine. Mais d'où vient cette bonne fortune des villes d'Italie? De ce qu'elles n'eurent jamais affaire à un pouvoir central trèssupérieur ; la lutte demeura presque toujours entre elles et les seigneurs

particuliers locaux, sur lesquels elles avaient conquis leur indépendance. Les choses en France se passèrent tout autrement. »

Enfin, abordant l'histoire des communes françaises, et envisageant dans un court tableau leurs destinées, M. Guizot a signalé pour ces communes trois causes de décadence que nous allons rappeler :

1° L'isolement même dans lequel elles se trouvaient, et la difficulté de se confédérer entre elles.

2o La nécessité d'appeler, par suite de la lutte avec les seigneurs, une intervention étrangère, celle du roi.

3o Les troubles intérieurs qui amenaient encore en définitive, et forcément, cette intervention étrangère.

Depuis l'époque où M. Guizot a interrompu ses leçons, on a fait plusieurs dissertations sur les communes. Elles ne méritent guère de fixer notre attention. Cependant il en est une qui contient en apparence assez de résultats pour être signalée à nos lecteurs. Nous voulons parler du livre de M. Tailliar sur l'affranchissement des communes dans le nord de la France, que nous résumerons en quelques mots pour le réfuter (*).

M. Tailliar donne à l'établissement des communes du nord de la France cinq origines ou causes distinctes.

1o Les traditions plus ou moins effacées du régime municipal romain. 2o La conquête ou la revendication de la liberté par l'insurrection.

3o Les concessions royales, l'octroi ou la consécration par les princes de lois communales, ou de libertés et de franchises plus ou moins étendues.

4° La combinaison et le mélange des institutions de paix avec les anciennes libertés locales.

5° L'état originel de franchise et de liberté dans lequel les grandes villes de la Flandre se sont constamment maintenues.

(*) De l'affranchissement des communes dans le nord de la France, et des avantages qui en sont résultés, par M. Tailliar, un vol. in-8°. Cambrai, 1837.

Il ya dans ce système une grande confusion. Je reprends une à une les cinq causes qui ont contribué, suivant M. Tailliar, à produire la révolution communale.

Et d'abord, on ne peut donner comme cause les traditions plus ou moins effacées du régime municipal romain. Il y avait des villes, au nord de la France surtout, qui n'avaient rien conservé de ce régime municipal, et des villes nouvelles qui ne l'avaient jamais connu. Dans tous les cas, il n'y aurait point là une cause générale. On peut dire encore que le souvenir et les débris du régime municipal ro main n'étaient pas assez forts pour déterminer à eux seuls l'explosion. Si quelques villes essayèrent de raviver, au douzième siècle, les anciennes traditions d'ordre et d'administration, c'est qu'elles étaient poussées par un puissant motif. Connaître ce motif, ce serait connaître la cause réelle du mouvement qui se manifesta dans les villes du nord de la France, au douzième siècle.

2° L'insurrection n'est point une cause, mais un des premiers effets dans la révolution. Quelle a été la cause de l'insurrection?

3o Les concessions royales, l'octroi ou la consécration par les princes des lois communales, ou de libertés et de franchises plus ou moins étendues, marquent le terme et non les origines de la révolution.

4o Les institutions de paix, il est vrai, ont précédé la révolution du douzième siècle, mais elles avaient avec cette révolution une cause commune. Quelle est donc cette cause?

5° L'exemple des villes de la Flandre n'aurait pas suffi non plus pour déterminer la révolution. Il est évident, par les récits contemporains, qu'il n'a exercé aucune influence dans les insurrections de Laon, d'Amiens, et de bien d'autres villes encore. La révolution, on le comprend aisément, aurait eu son entier accomplissement sans l'exemple de la prospérité des riches cités de la Flandre.

On le voit, M. Tailliar s'est mépris

sur les origines ou causes, comme il dit, de la révolution communale. Il a introduit dans sa dissertation une grande confusion en voulant concilier (c'est là son but) tous les systèmes, et en cherchant plusieurs causes pour un fait qui, en réalité, n'en avait qu'une. Nous devons ajouter que les développements donnés par M. Tailliar, à la première partie de son livre, sont fondés sur cette confusion.

Nous ne parlerons point ici des travaux qui ont été entrepris sur l'histoire des villes où s'étaient perpétuées les traditions du régime municipal romain. Nous laisserons de côté Roth, Savigny, Raynouard, et ceux qui, comme Sertorius, Hüllmann, Raumer, Sismondi, Leo, Sclopis, Balbo, etc., ont plus insisté sur les villes d'Allemagne et d'Italie que sur les villes de France. Nous ne devons nous arrêter que sur les ouvrages destinés spécialement à éclaircir les origines et l'établissement des communes françai ses. Nous aurions mentionné certainement la dissertation de M. d'Eckstein, si sa théorie sur les ghildes et les associations du moyen âge en général, théorie empruntée à Wilda, n'avait été reproduite récemment en France, dans un livre de M. Augustin Thierry, avec beaucoup plus de force, de clarté et de talent. C'est à ce livre que nous avons hâte d'arriver comme au dernier terme que la science ait atteint sur la question si controversée des

communes.

Nous ne répéterons point ce que M. Augustin Thierry a dit, au commencement du chapitre cinquième des considérations qui précèdent les Récits des temps mérovingiens (*), sur les transformations que la société en général, par des causes diverses, subit dans les Gaules, depuis la chute de l'empire romain et l'invasion des barbares jusqu'au onzième siècle. Nous renvoyons nos lecteurs à ce chapitre. Nous arrivons, de prime abord, aux

(*) Récits des temps mérovingiens, précédés de considérations sur l'histoire de France. Paris, 1840

« PreviousContinue »