Page images
PDF
EPUB

à son bord et que les usages admis, aussi bien que les traités, rendent confiscable, si le bâtiment qui la portait a pu être soupçonné d'avoir l'intention de la conduire dans un port ennemi.

Dans le premier cas, peut-on rendre le navire neutre recous, victime de la méprise ou de la violence de l'ennemi, et de s'être défendu contre lui ?

Dans le second cas, la partie de son chargement qui appartiendrait à la catégorie des articles dits de contrebande de guerre, ne doit-elle pas seule donner matière à contestation ?

Dans tous les cas, dirons-nous, le bâtiment neutre est libre; son pavillon couvre la marchandise qu'il porte, à l'exception de la contrebande de guerre, et celle-ci peut uniquement donner lieu à un jugement en confiscation; or, la confiscation du navire neutre recous ne pourrait avoir lieu que dans le cas où la contrebande de guerre formerait les trois quarts au moins de son chargement; mais, jusqu'au jugement qui le condamnera, peut-être, le navire neutre ne perd ni son caractère ni ses droits. D'après les maximes du droit des gens, et les doctrines qui ont trouvé place dans les traités publics, un navire neutre doit être respecté par tous les peuples; s'il a été opprimé par l'une des nations belligérantes, ce n'est pas une raison pour que les autres nations belligérantes se rendent complices de cette oppression, ou soient autorisées à la faire tourner à leur profit.

C'est placé sous l'influence de ces principes divers, que le conseil des prises français a prononcé son jugement dans l'affaire de la Statira, dont nous allons avoir à parler.

Le navire la Statira, portant pavillon américain, fut recous sur un navire anglais par le corsaire français le Hasard, du port de St.-Malo, et conduit au port de Perros-Guirec, près de Paimpol; il avait à son bord 60 barils de térébenthine et 40 barils de goudron; ces deux articles ne sont pas compris parmi les articles de contrebande de guerre, mentionnés au traité de 1778 entre la France et les États-Unis d'Amérique; mais ce traité porte, art. 2, que les deux gouvernements contractants s'engagent mutuellement à n'accorder aucune faveur particulière à d'autres nations en fait de commerce et de navigation qui ne devienne aussitôt commune à l'autre partie.

Or, ce fut cette clause dont l'interprétation appliquée à la position spéciale de la Statira, entraîna la confiscation de la térébenthine et du goudron, attendu, est-il dit dans l'arrêt du tribunal, que, dans un traité postérieur à celui de 1778, les États-Unis avaient consenti (ainsi que le déclarait un arrêté du

Directoire du 12 ventose an V

1 mars 1798), à considérer ces

deux articles comme contrebande de guerre.

La décision du tribunal des prises ordonna, le 6 thermidor an VIII (26 juillet 1800), la main-levée de la Statira, en adjugeant la térébenthine et le goudron au corsaire recapteur.

La main-levée donnée de la Statira était chose juste; le nonconfiscation du goudron et de la térébenthine eût été tout aussi juste, car l'affirmation résultant de l'arrêté du Directoire du 12 ventose an V, reposait sur un fait faux, par suite d'un malentendu que nous ne saurions expliquer, ou par suite d'informations erronées; il n'existe de traités entre les États-Unis et la GrandeBretagne, antérieurs à l'an V, que celui de 1783 pour la reconnaissance de l'indépendance et la fixation des limites; celui de 1794, pour le commerce et la navigation, lequel, dans la série des articles de contrebande place la poix ou résine, mais non le goudron ni la térébenthine; enfin, le traité de 1796, qui explique divers articles du traité de 1794 concernant les peuplades indiennes. Les traités conclus par les États-Unis avec la Hollande, en 1782, la Suède, en 1783, la Prusse, en 1785, l'Espagne, en 1795, n'ont pas inscrit, non plus, ces deux articles au nombre des marchandises de contrebande de guerre.

Le fait eût-il été vrai, qu'on ne comprendrait pas encore que l'article 2 du traité de 1778 ait pu être interprété comme il l'a été; aurait-on pu sérieusement considérer comme une faveur commerciale et de navigation accordée à une autre nation, et dont la France était en droit de réclamer le bénéfice pour son propre commerce, l'insertion qui aurait été faite par les États-Unis, dans un traité avec une nation quelconque, parmi les articles de contrebande de guerre, de la térébenthine et du goudron ?

C'est à tort que le Directoire a donné l'assurance qu'un traité signé par les États-Unis, depuis l'année 1778 jusqu'en juillet de l'année 1800 (thermidor an VIII), reconnaissait le térébenthine et le goudron comme contrebande de guerre.

C'est à tort que, dans la conviction même où s'est trouvé le Directoire, on a interprété, comme on l'a fait, l'art. 2 du traité de 1778.

C'est à tort, enfin, que l'on a ordonné la confiscation de marchandises que les traités conclus entre la France et les États-Unis n'ont pas réputées contrebande de guerre.

§ 5.

Recousse d'un bâtiment neutre: Le Kity recous par le corsaire le Brave.

Pour les motifs indiqués au paragraphe précédent, le conseil des prises de France, reconnaissant que d'après le droit commun et général, un navire neutre recous sur l'ennemi ne devient confiscable qu'autant qu'il ne peut justifier de sa neutralité, et que sa cargaison ne peut être saisie qu'autant qu'elle est contraire aux traités ou au droit public généralement admis et observé, se prononça en faveur du navire le Kity.

Le Kity, portant pavillon américain, avait été recous, au commencement de l'an VI (1797), par le corsaire français le Brave, qui le conduisit à Algésiras. L'affaire fut portée devant le consul de France à Cadix, lequel, par jugement du 7 prairial an VI (26 mai 1798) ordonna la main-levée du navire et la confiscation du chargement, sur l'unique motif de la recousse.

Le tribunal civil du département de la Loire inférieure réforma la décision du consul et ordonna la restitution de la cargaison.

Il y eut appel devant le conseil des prises, jugeant en dernier instance; l'arrêt qui intervint le 27 thermidor an VIII (14 août 1799), confirma le jugement du tribunal civil du département de la Loire inférieure, et déclara, comme celui-ci, qu'aucune indemnité ne serait d'ailleurs accordée au bâtiment capturé et recous pour avoir été conduit à Algésiras, et avoir été soumis aux divers degrés de juridiction française en ce qui concerne les prises, attendu qu'il y avait toujours motif d'arrêter un navire neutre tombé entre les mains de l'ennemi.

La nature du chargement ne donnant ouverture à aucune espèce de confiscation, le recapteur se trouva privé de toute rémunération pour prix de la recousse effectuée par lui.

§ 6.

Bâtiment capturé contre les principes du droit maritime des nations et recous. La barque française la Victoire.

<< Pour que celui qui a repris un bâtiment puisse en être re<< connu véritable propriétaire, il est absolument nécessaire», dit Azuni, « que la première prise soit légitime, et telle qu'elle soit << dans le cas d'être déclarée valable, puisque, si le premier capteur

<< avait agi contre les lois de la guerre, la détention qu'il en aurait << faite pendant plus de vingt-quatre heures, ne le rendrait pas << légitime possesseur de la prise; et par conséquent celui qui <«< aurait fait la recousse n'acquerrait pas pour lui-même, et ne << pourrait exercer d'autre action que celle du droit de recouvrance << des prises recousses avant les vingt-quatre heures, c'est-à-dire «<le tiers de la valeur du navire repris et de son chargement. » Donc, en principe, la prise étant illégitime ne profite pas au recapteur.

Emérigon, le célèbre auteur du Traité des assurances, rapporte un fait qui vient à l'appui de cette doctrine.

Le 25 avril 1757, la barque française, la Victoire, poursuivie par un corsaire anglais, se réfugia sous la tour de l'île de Majorque, où elle mouilla à la distance d'une portée de pistolet de la côte.

Le corsaire anglais mit à la mer sa chaloupe armée et enleva la barque la Victoire, malgré trois coups de canon qui furent tirés de la tour.

Quelques jours après, elle fut reprise par un corsaire français, conduit par le capitaine Michel.

Les Sieurs Roangon et Dangallière à qui la barque la Victoire appartenaient, en réclamèrent la restitution, disant que chaque souverain ayant, en vertu des principes du droit des gens, le domaine des mers adjacentes à ses États, et la Victoire s'étant réfugiée sous le canon du fort de Majorque, le corsaire anglais n'avait pas eu le droit de s'en emparer; qu'il avait agi en pirate et que dès lors la prise était nulle et illégitime.

La circonstance était prévue par l'art. X du titre des prises de l'ordonnance de la marine du mois d'août 1681, en ce qui concerne les prises faites par les pirates, et reprises par des corsaires réguliers:

<< Les navires et effets de nos sujets et alliés repris sur les pirates, et réclamés dans l'an et jour de la déclaration qui en aura été faite à l'amirauté, seront rendus aux propriétaires, en payant le tiers de la valeur du vaisseau et des marchandises, pour frais de recousse. »

Cette disposition, confirmée par l'ordonnance du roi de France du 5 septembre 1718, a été adoptée par l'ordonnance du 17 novembre de la même année de S. M. Catholique; elle est conforme à l'équité, à la justice et à la raison universelle; les pirates ne pouvant acquérir, en aucun cas, la propriété de la chose enlevée par eux, le véritable propriétaire ne peut perdre son droit.

Le conseil des prises prononça, par arrêt du mois de décembre 1757, dans l'affaire de la Victoire, que le tiers de la valeur de la barque et de sa cargaison serait payé au capitaine Michel, recapteur, et que les deux autres tiers resteraient au profit des deux armateurs, les Sieurs Roangon et Dangallière et des assureurs.

Au titre III, § 30 du Livre premier, nous avons signalé les clauses que renferment les traités publics en ce qui concerne les reprises; nous prions le lecteur de vouloir bien s'y reporter.

CHAPITRE XVIII.

DE LA SEMONCE ET DU FAUX PAVILLON. 1)

Prise du bâtiment anglais le John William, capturé par le corsaire français le Pourvoyeur. (1798.)

L'arrêté du 2 prairial an XI (22 mai 1803) du gouvernement consulaire de la république française, renouvelant les règles prescrites par les anciennes lois, porte :

Art. 33. «Les capitaines de bâtiments armés en course seront tenus d'arborer pavillon français avant de tirer à boulet sur le bâtiment chassé, (sous peine d'être privés eux et les armateurs de tout le produit de la prise qui sera confisquée au profit de la république, si le bâtiment capturé est ennemi; et, si le bâtiment est jugé neutre, les capitaines et armateurs seront condamnés aux dépens, dommages et intérêts envers les propriétaires. Mais les équipages ne seront point privés de la part qu'ils auraient à la prise, suivant leurs conventions avec les armateurs, et ils seront traités de même que si la prise était adjugée aux dits armateurs. >>

L'ordonnance du 17 mars 1696 était plus explicite encore, en ce qui concerne le coup de semonce qui doit nécessairement précéder tout coup à boulet; la disposition qu'elle renferme à cet égard est conçue comme il suit :

<< Les capitaines des bâtiments armés en course seront tenus d'arborer pavillon français avant de tirer coup d'assurance ou de

1) Voir Livre I, titre III, §16.

« PreviousContinue »