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semonce; et il leur est défendu de tirer sous pavillon étranger, à peine d'être privés du produit de la prise, qui sera confisquée au profit de l'État si elle est jugée valable. »>

L'ordonnance de la marine du mois d'août 1681 (art. 21 et 24 du titre des prises), et le réglement de 1692 veulent d'ailleurs que les capturés soient interrogés et que foi soit accordée à leurs déclarations; mais l'art. 24 veut également que les officiers de l'amirauté entendent « quelques officiers et matelots du vaisseau preneur, s'il est besoin. >>

Une irrégularité dans la procédure et le doute qu'elle devait élever dans l'esprit des juges du tribunal devant lequel l'affaire du Pourvoyeur fut portée, ont déterminé le conseil des prises à rendre un jugement favorable à ce corsaire. Voici le fait :

Le bâtiment anglais le John-William avait été capturé par le corsaire français le Pourvoyeur. Les gens de l'équipage du bâtiment capturé déclarèrent devant le tribunal civil du département du Pas-de-Calais, que la capture avait été précédée d'un coup de semonce tiré sous pavillon anglais; cette circonstance détermina le tribunal à déclarer la prise valable au profit de l'État, et non au profit du capteur qui se trouvait en contravention avec le texte précis de l'ordonnance du 17 mars 1692.

Appelé à se prononcer sur la validité de la prise et sur le jugement rendu par le tribunal civil du Pas-de-Calais, le conseil des prises déclara qu'il avait été fait fausse application des règles posées par l'ordonnance du 17 mars 1692, attendu que le tribunal, en adoptant, pour base de son jugement, la circonstance du coup de semonce qui aurait été donné sous pavillon étranger, s'était contenté de la déposition de l'équipage capturé, preuve insuffisante aux termes de l'ordonnance de 1681 et du réglement du mois d'octobre 1692. Dès lors, le fait n'étant pas démontré que la prise avait été faite et que le coup de semonce avait été tiré sous pavillon anglais, et le tribunal ayant négligé d'interroger les hommes de l'équipage du Pourvoyeur, et de prendre aucune des autres informations indiquées par la loi, la cour de cassation, par un arrêt rendu le 19 germinal an VII (8 avril 1798), cassa la jugement du tribunal civil du département du Pas-de-Calais, et la prise du John-William resta en la possession de son capteur.

L'art. V du titre IX, Livre III de l'ordonnance de 1681 statue que << tout vaisseau combattant sous autre pavillon que celui de l'État dont il a commission, ou ayant commissions de deux différents princes ou États, sera de bonne prise; et, s'il est armé en guerre, les capitaines et officiers seront punis comme pirates. >>

Tout capitaine de navire qui combat sous un autre pavillon que celui de l'État dont il a commission, commet un crime, qu'il soit armé en guerre ou en marchandise seulement. « C'est », dit Valin, « un dol et une fausseté dont il se rend coupable. >>

Pour prévenir tout abus de l'espèce, il était défendu autrefois aux bâtiments français d'avoir à bord divers pavillons étrangers, et tout bâtiment allié ou neutre qui se trouvait muni de plusieurs pavillons était, en vertu de l'ordonnance du 23 février 1674, poursuivi comme voleur et forban, sur la présomption qu'il pouvait s'être servi d'un pavillon étranger pour tromper quelqu'autre vaisseau et l'engager au combat.

Cet usage, pour les bâtiments armés en course ou en marchandises, de n'avoir à bord que leur pavillon national, est tombé en désuétude; les corsaires de tous les pays ont la permission, aujourd'hui, d'avoir à bord tels pavillons étrangers qu'ils jugent à propos, et de s'en servir au besoin, soit pour reconnaître plus aisément les vaisseaux qu'ils rencontrent, soit pour éviter la poursuite de ceux qu'ils croient plus forts qu'eux. Mais ce qui ne leur est pas permis, c'est de tirer le coup de semonce ou d'assurance sous pavillon étranger, et encore moins de combattre sous ce pavillon; il serait même trop tard pour arborer le pavillon national après avoir tiré le coup de canon d'assurance, ou de

semonce.

Si donc il eut été démontré que le corsaire le Pourvoyeur avait effectivement tiré le coup de semonce sous pavillon anglais, ainsi que l'indiquaient les déclarations de l'équipage du JohnWilliam, la prise faite par lui aurait été adjugée à l'État.

Pendant la guerre maritime de 1756, qu'on a nommé guerre coloniale (voir chap. IV), les corsaires anglais se sont permis de ne point observer ce principe du droit maritime; les corsaires français, par imitation, ont maintes fois agi de la même manière, prétendant d'ailleurs que tirer le coup de semonce sous un autre pavillon que le pavillon national, est un moyen licite, une ruse de guerre permise, pour surprendre les vaisseaux à la mer, pourvu, disait-on, que l'on ne combatte pas sous un autre pavillon que celui de la nation.

« Si l'usage »>, dit Valin, << et surtout un usage qui intéresse «l'honneur et la probité, pouvait l'emporter sur la loi, je n'aurais <«< rien à dire; mais ici je ne vois qu'un trait de lâcheté et de per«fidie, que l'exemple des ennemis ne saurait justifier. »

Valin a raison : l'injustice commise ne légitime point l'injustice par voie de représailles; ce ne sont pas les mauvais procédés

de l'ennemi, ni les actions que réprouvent la morale, l'équité, l'honneur, la probité qui doivent être imités. La loi doit servir de frein aux mauvaises passions: elle doit, dans un but de moralisation, s'opposer en toutes circonstances à leur développement ; or, la loi se serait faite complice du mal, elle aurait favorisé le développement des mauvaises passions si elle avait autorisé, comme licite, l'emploi d'un pavillon étranger pour surprendre et attaquer les bâtiments ennemis; elle a enlevé, au contraire, toute prime à ce genre de déloyauté en déclarant que la prise faite à la suite du coup de semonce tiré sous pavillon étranger, et avant d'avoir arboré le pavillon national, ne profiterait pas au capteur et serait adjugée à l'État. 1)

CHAPITRE XIX.

DÉLAI, APRÈS LA SIGNATURE DU TRAITÉ DE PAIX, PASSÉ LEQUEL LES BATIMENTS CAPTURÉS SONT RESTITUÉS A LEURS PROPRIÉTAIRES. 2)

§ 1.

Observations diverses.

De nombreux traités, dont nous avons signalé l'existence (voir Livre I, titre III, § 6), ont stipulé en faveur des marchandises placées à bord de bâtiments d'une nation devenue ennemie, dans l'ignorance où se trouvaient les expéditeurs de la rupture de la paix et du commencement des hostilités. Ces stipulations ont leur origine dans la justice naturelle et universelle; elles ont consacré, par leur reproduction répétée, un principe du droit maritime des nations, qui devrait être inviolable, mais que n'ont pas toujours respecté, malheureusement, les États maritimes. (Voir Livre I, titre III, § 6.)

Les traités publics fixent également un délai, calculé selon la distance des lieux, dans la limite duquel les prises faites après la signature et la proclamation de la paix, pourront être déclarées

1) Voir au chap. XXIV, § 1, l'abus qui a été fait du pavillon suédois, par un båtiment de la marine royale d'Angleterre.

2) Voir Livre I, titre III, § 37.

légitimes, et passé lequel les prises qui pourraient encore être faites seraient restituées aux propriétaires des bâtiments capturés.

Il n'est pas possible, en effet (voir Emérigon, Traité des Assurances, chap. 12, section,19), que les hostilités cessent toutes et partout à la fois, au moment même de la conclusion de la paix; les corsaires qui sont à la mer ignorant l'événement de la paix, il est d'usage, dans les traités de paix, de stipuler un temps plus ou moins prolongé selon la distance des lieux, à l'expiration et au-delà duquel les prises faites, de part et d'autre, sont déclarées nulles et sujettes à restitution. Mais avant le temps prescrit, si le capteur a été informé de la publication de la paix, la prise est également illégitime; puisque la connaissance présumée par l'échéance du terme, opère la nullité de la prise, a fortiori la connaissance positive doit-elle produire la même effet.

« La preuve de l'existence de la paix doit, néanmoins, se tirer << par une autre voie », dit Valin, « que celle de la déclaration qui en serait faite par le capitaine du bâtiment capturé, au moment de la «prise ou aussitôt après, car enfin une telle déclaration peut être << suspecte, soit avant, soit après l'expiration des délais. La différence « qu'il y aura alors, c'est que, si c'est avant l'expiration, la prise << n'en sera pas moins bonne, quoique le fait soit reconnu vrai « dans la suite, à moins qu'il n'y ait preuve que le capteur savait « réellement alors, que la paix était faite; au lieu que, si c'est << après les délais expirés, la prise sera véritablement sujette à «restitution; mais ce sera sans dommages et intérêts, à moins << qu'il n'y ait preuve également qu'au temps de la prise, le cap<«<teur était instruit de la paix. »

L'assertion de l'existence de la paix conclue, donnée par le capitaine du bâtiment capturé, ne saurait donc être suffisante, en principe, pour décider le capteur à abandonner sa prise, si cette assertion n'est pas appuyée de documents, de déclarations ou de proclamations qui soient revêtues d'un caractère authentique et officiel.

C'est par suite de l'absence de documents de cette nature que, le 2 floréal an XI (22 avril 1803), le conseil des prises se détermina à rendre une décision favorable au corsaire la Bellone, contre le bâtiment anglais le Porcher, qu'il avait capturé avant l'expiration du délai fixé par le traité préliminaire de paix, signé le 1er octobre 1801, entre la France et la Grande-Bretagne.

Le jugement rendu par le conseil des prises fut donc selon la justice, le droit et l'équité; il eut été plus complet, plus équitable encore, si l'acte de félonie du capitaine de la Petite Renommée eut été puni par une condamnation en dommages et intérêts au profit des armateurs anglais du navire la Nymphe. C'est en flétrissant moralement et en punissant matériellement, par des amendes, les actions honteuses et perfides que se permettent trop fréquemment les corsaires, que les gouvernements peuvent diminuer les maux qu'entraine l'usage immoral des lettres de marque et le droit qu'ils accordent, en les délivrant, à des bâtiments armés de courir sus, dans un but de cupidité et par amour du gain, aux bâtiments inoffensifs.

CHAPITRE XX.

DE LA LIBERTÉ ET DE LA NEUTRALITÉ PARFAITE DE LA PÊCHE. 1)

§ 1.

Les bateaux-pêcheurs ne sont pas soumis à la capture ni à la confiscation; Négociation avec l'Angleterre en 1793 ; — Refus de sa part.

Si l'on ne consultait que le droit des gens positif, les bateauxpêcheurs seraient soumis, comme tout autre bâtiment de commerce, au droit de prise; une sorte de convention tacite entre toutes les nations européennes les en affranchit, et plusieurs déclarations officielles ont confirmé ce privilège en faveur « d'une << classe d'hommes dont le travail pénible et peu lucratif, ordi<«<nairement exercé par des mains faibles et agées, est si étranger << aux opérations de la guerre. »

C'est cette doctrine que professa le comité de salut public de la république française lorsqu'il renvoya, sans échange, les pêcheurs anglais qui se trouvaient en France, au mois de thermidor an III (juillet 796), ne les considérant pas comme prisonniers de guerre.

1) Voir Livre I, titre III, § 36.

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