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Déjà, vers le milieu du 17° siècle, la neutralité parfaite de la pêche était admise au nombre des principes du droit maritime des nations; aussi Louis XIV, tout en éloignant des côtes de France les pêcheurs anglais qu'il soupçonnait de se livrer à l'espionage, accorda-t-il, par son ordonnance du 1er octobre 1692, aux pêcheurs qui seraient rencontrés, un sauf-conduit de huit jours pour retourner chez eux.

Le 5 juin 1779, le roi Louis XVI écrivait à l'amiral des flottes françaises : « Le désir que j'ai toujours eu d'adoucir les calamités de la guerre, m'a fait jeter les yeux sur cette classe de mes sujets, qui se consacre au commerce de la pêche, et qui n'a pour subsistance que les ressources que ce commerce lui présente; j'ai pensé que l'exemple que je donnerais à mes ennemis, et qui ne peut avoir d'autre principe que les sentiments d'humanité qui m'animent, les déterminerait à accorder à la pêche les mêmes facilités auxquelles je consentirais à me prêter. En conséquence, j'ai ordonné à tous les commandants de mes bâtiments, aux armateurs et capitaines des corsaires, de ne point inquiéter, jusqu'à nouvel ordre, les pêcheurs anglais, et de ne point arrêter leurs bâtiments, non plus que ceux qui seraient chargés de poisson frais, quand même ce poisson n'aurait pas été pêché à bord de ces bâtiments, pourvu toutefois, qu'ils ne soient pas armés d'aucune arme offensive, et qu'ils ne soient pas convaincus d'avoir donné quelques signaux qui annonceraient une intelligence suspecte avec les bâtiments de guerre ennemis. »

Au mois de mars 1793, le conseil exécutif, en France, autorisa la municipalité de Calais à ouvrir, avec le commandant des Dunes, une négociation tendante à l'affranchissement entier de la pêche à trois lieues des côtes; et, dans cette même année, lorsque les Anglais autorisèrent la capture des pêcheurs français, la convention nationale, par un décret du 18 vendémiaire an II (9 octobre 1793), chargea le pouvoir exécutif de protester contre cette conduite, jusqu'alors sans exemple; de réclamer les bateauxpêcheurs saisis, et, en cas de refus, de faire user de représailles. Les démarches ordonnées n'ayant pas été couronnées de succès, la convention rappela le commissaire français qu'elle entretenait à Londres, dénonçant d'ailleurs à l'opinion publique un tel acte comme contraire à tous les usages des nations civilisées, et au droit commun qui les régit, même en temps de guerre.

Au reste, alors même que l'Angleterre (écoutant plus sa haine jalouse contre la France, que les sentiments d'humanité), autorisait ses croiseurs à arrêter les bateaux-pêcheurs français, l'un

des officiers généraux de sa marine, l'amiral Saint-Vincent, signait, avec l'amiral espagnol Massaredo, une déclaration portant qu'aucune hostilité n'aurait lieu contre les bateaux-pêcheurs des deux nations et leurs équipages, soit dans le Canal de Gibraltar, soit dans la mer septentrionale.

Fidèles à ces doctrines favorables aux bateaux-pêcheurs, que le gouvernement français n'a jamais abandonnées qu'un instant, et uniquement par voie de représailles, les tribunaux français, dans deux circonstances qu'un espace de plus de vingt années sépare, ont rendu hommage aux principes d'humanité et de justice qui animaient le roi Louis XVI, en prononçant comme ils l'ont fait dans l'affaire de Jean et Sara, et dans celle de la Nostra Segnora de la Pietad y animas.

§ 2.

Prise du bateau-pêcheur anglais le Jean et Sara. (1780.)

Le conseil des prises avait déclaré bonne la rançon que le bateau-pêcheur anglais le Jean et Sara avait donnée au bâtiment français qui l'avait capturé.

La chambre de commerce de Dunkerque soumit un exposé en faveur du Jean et Sara, rappelant quelles étaient les intentions du roi au sujet de la neutralité de la pêche. Dès que l'armateur du corsaire français, capteur, apprit que le billet de rançon avait été souscrit par un bateau-pécheur, il s'empressa de donner désistement formel de sa prétention; de son côté, le conseil d'amirauté, par un arrêté du 6 novembre 1780, renouvela les défenses contenues dans la lettre royale du 5 juin de l'année précédente.

§ 3.

Prise de la Nostra Segnora de la Pietad y animas.

Le corsaire français la Carmagnole s'empara en mer, le 27 floréal an IX (17 mai 1801), du bateau-pêcheur portugais la Nostra Segnora de la Pietad y animas, capitaine Los Santos, et le conduisit à Cartaja.

Le commissaire du gouvernement chargé de porter l'affaire devant le conseil, fit connaître que la Nostra Segnora de la Pietad y animas, sortie de Penichi, uniquement pour la pêche, avait été prise à trois lieues des côtes de Portugal, ayant le Cap sur Tavira; que le bateau n'avait point d'armes et que son équipage ne présentait pas un nombre d'hommes supérieur à celui qu'exigeaient la manœuvre, un travail de plusieurs jours, et le service du filet; enfin que l'état de la saison où se trouvait le produit de la pêche, était une

conséquence naturelle des précautions à prendre pour mettre le poisson à l'abri des effets de la chaleur, et que ce poisson, recueilli par des mains laborieuses, ne pouvait être assimilé à la matière ordinaire des cargaisons provenant du commerce.

Le commissaire du gouvernement fit également ressortir le caractère de bonne foi et de simplicité de la déposition du patron de la Nostra Segnora de la Pietad y animas: « dans l'ignorance «< complète des principes qui le protégeaient, disait ce magistrat, « le capitaine Los Santos n'a point cherché à éluder la peine qu'il <«< croyait intimement attachée à sa qualité de sujet d'une Puis«sance ennemie. »

Le conseil faisant droit aux conclusions du commissaire du gouvernement, et adoptant les principes d'humanité et les maximes du droit des gens, ordonna le 9 thermidor an IX (28 juillet 1801), que le bateau-pêcheur la Nostra Segnora de la Pietad y animas, capturé par le corsaire français la Carmagnole, ainsi que le poisson qu'il contenait, ou le produit de la vente qui devait en avoir été faite, fussent restitués au maître et patron du dit bateau-pêcheur (bien qu'appartenant à une nation momentanément ennemie de la France), ou à son fondé de pouvoirs.

CHAPITRE XXI.

GUERRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. (1793.)

(QUATRIÈME PHASE.)

De la neutralité : Abandon des principes consacrés en faveur du commerce des neutres par les traités conclus de 1778 à 1787; Fidélité du Danemarck

à ces principes. ')

La voie sur laquelle, dès le début de ses troubles civils, s'était engagée la France, dont la révolution menaçait l'ordre social et semblait vouloir, sinon anéantir, du moins transformer complètement l'état politique du pays, était de nature à donner des inquiétudes sérieuses aux cabinets étrangers et aux hommes d'État conservateurs de tous les gouvernements. Dans la chambre des communes de la Grande-Bretagne, le célèbre Edmond Burke avait

1) Voir Livre I, titre III, §§ 8, 9 et 10; et Livre II, chap. VII, §§ 4 et 11.

exprimé sa désapprobation en lançant ce foudroyant anathême : << La France n'est plus qu'un vide sur la carte politique de l'Eu<< rope! >>

« Ce vide est un volcan!» avait répondu Mirabeau. 1)

Au moment où Burke s'exprimait comme nous venons de le rappeler, en termes énergiques bien faits pour frapper les esprits, la France certes était bien loin de n'être qu'un vide en Europe; la place qu'elle tenait était immense au contraire; et c'est précisement parceque cette place était immense, et parceque la France ne pouvait se mouvoir d'une façon quelconque sans que toute l'Europe s'en ressentit immédiatement, qu'en devenant par le bouillonnement des passions politiques et par l'exaltation fiévreuse des esprits, un volcan révolutionnaire dont la lave brûlante se répandit au dehors au moyen de la presse, de la tribune des assemblées délibérantes, des clubs où s'agitaient tous les mauvais instincts des masses qu'aucun frein religieux ne retenait plus, c'est précisement, disons-nous, par tous ces motifs que la France fut l'effroi de l'Europe entière; la parole de Mirabeau, en réponse à la terrible apostrophe de Burke, devint de cette sorte fatalement vraie.

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Une guerre continentale ne tarda pas à éclater contre la France la Grande-Bretagne resta neutre; et par une lettre que Lord Grenville écrivit à M. de Chauvelin, ministre de France à Londres, elle déclina même la proposition qui lui avait été faite de se rendre médiatrice entre les Puissances alliées et la France.

Après le 10 août 1792, l'ambassadeur anglais, Lord Gower, reçut de son gouvernement l'ordre de s'éloigner de Paris; lorsque le mort de Louis XVI fut connue à Londres, M. de Chauvelin quitta le royaume de la Grande-Bretagne.

1) Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Barrière, l'un des meilleurs écrivains du Journal des Débats, a publié dans le N° du 31 décembre 1850 de ce journal une note sur la politique européenne, rédigée, vers la fin de l'année 1790, par Mirabeau, pour l'empereur de l'Allemagne, Léopold II, qui venait de succéder à son frère, l'empereur Joseph II. Dans ce document, resté inédit jusqu'alors, et qui, ainsi que le fait observer M. Barrière, reçoit des circonstances actuelles, à 60 ans d'intervalle, tout l'intérêt et tout l'à-propos du moment, Mirabeau reproduit, comme il suit, la circonstance que nous avons rappelée :

<< Burke a dit que la France n'offrait plus en politique qu'un grand vide. Burke << a dit une grande sottise. Ce vide est un volcan dont on ne saurait perdre de vue <«< un moment, ni les éruptions ni la lave. >>

Mirabeau est loin, en parlant de la Grande-Bretagne, de se montrer aussi dédaigneux que Burke en parlant de la France. « L'exemple de la révolution française », dit-il dans le même écrit, «ne produira en Angleterre qu'un plus grand respect « pour les lois, une plus grande rigidité de discipline sociale. » La rigidité de discipline sociale en Angleterre a, sans aucun doute, été quelque peu altérée depuis 25 ou 30 ans; mais c'est là, du moins, que cette discipline si nécessaire existe encore au plus haut degré en Europe, et l'on peut en féliciter la nation britannique.

La cour d'Angleterre ayant refusé de reconnaître la république française, celle-ci déclara la guerre au roi Georges III; le gouvernement français délivra des lettres de marque, en faisant publier d'ailleurs que la course resterait restreinte et assujettie aux dispositions du réglement de 1778, et que les anciennes lois sur les prises maritimes continueraient à être exécutées jusqu'à ce qu'il en fut autrement ordonné. (Art. 5 du décret du 14 février 1793.) La guerre qui commençait était une guerre de principes: elle devait revêtir le caractère de l'opiniâtreté et de la passion.

L'Angleterre résolut de réduire la France par la famine, en quelque sorte, en concertant avec les Puissances alliées les moyens de fermer les ports européens au commerce maritime de la France, et de s'opposer à toute exportation, pour les ports français, de munitions navales et de provisions de bouche de toute nature.

Elle n'attendit pas, au reste, d'avoir obtenu le concours des Puissances alliées pour commencer à mettre son odieuse pensée en voie d'exécution. Dans le mois de mars 1793, elle s'empara de deux cargaisons de farine, arrivées à Falmouth sur des navires des États-Unis, Puissance neutre; ces chargements de farine, achetés avant la guerre, étaient destinés au service de la marine française. Le traité du 3 septembre 1783, le seul qui eut encore été conclu entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, n'autorisait point la conduite que tint cette dernière Puissance en cette cir

constance.

Le 17 du même mois, les croiseurs anglais arrêtèrent et conduisirent à Douvres un navire danois, le Mercure Christianland, expédié de Dunkerque avec un chargement de blé pour Bordeaux; or, le traité du 4 juillet 1780, conclu entre le Danemarck et la Grande-Bretagne, pour expliquer le traité du 29 novembre 1669, déclarait expressément que l'on ne considérait point comme contrebande de guerre, le froment, la farine, le blé ou autres grains.

A la même époque, une frégate anglaise se saisit également du navire américain, le John, capitaine Shkly, qui fut conduit à Guernesey, avec un chargement d'environ 6,000 quintaux de froment, destiné pour St.-Malo.

Le navire génois, la Providence, capitaine Ambrosio Briasco, fut attaqué et pillé, parcequ'il portait à Bayonne une centaine de passagers français de diverses professions, que le ministère espagnol avait fait embarquer à Cadix.

Enfin, du mois de février jusqu'au 15 août 1793, 189 bâtiments danois, chargés de grains, de viandes et de poissons salés, etc.,

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