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CHAPITRE XXVII.

PRESSE DES MATELOTS EXERCÉE SUR LES BATIMENTS NEUTRES PAR LA MARINE BRITANNIQUE.

Affaire de la frégate américaine le Chesapeake.

Aucune loi formelle n'a autorisé la presse des matelots bien que l'existence de ce mode de recrutement à l'usage de la marine anglaise, lorsque les enrôlements volontaires ne suffisent pas aux besoins du service, puisse se déduire de plusieurs réglements qui en limitent l'étendue et la rigueur, et notamment un acte du parlament de l'année 1779.

Aucune loi promulguée n'autorise non plus les vaisseaux anglais à exercer la presse en pleine mer; toutefois, l'Angleterre prétendit, en 1791, vouloir « conserver le droit de visiter les «< vaisseaux américains afin d'y presser les matelots étrangers ou <«< anglais qui pourraient s'y trouver »; cette prétention suspendit la conclusion d'un traité qui était, à cette époque, en voie de négociation.

Ce ne fut d'ailleurs qu'en 1807 que la marine britannique voulut faire preuve du droit que prétendait s'arroger la GrandeBretagne, sans permettre la réciprocité, en l'exerçant même à bord des bâtiments de guerre.

Quelques années avant, le commodore américain Prebbe se trouvait dans la rade de Gibraltar, avec divers bâtiments de l'escadre qu'il commandait; douze matelots de la frégate la Constitution désertèrent et se rendirent à bord d'un bâtiment anglais qui était mouillé dans le port. Le commodore écrivit au commandant anglais pour réclamer ses matelots; mais celui-ci répondit qu'il ne les rendrait pas, quoiqu'ils fussent Américains; qu'ils étaient entrés volontairement au service de l'Angleterre et que le pavillon britannique saurait les protéger.

Il ne restait au commodore Prebbe que les voies de coërcition à employer pour exercer la presse de ses propres matelots, et tirer vengeance d'un déni de justice et d'un manque de procédés aussi évidents; il s'en abstint autant par prudence que par respect pour le principe de la souveraineté sur la mer territoriale. Le

canon de Gibraltar n'était-il pas là pour soutenir le refus du commandant anglais !

La marine anglaise n'eut pas plus d'égards pour les États-Unis dans une affaire qui dût paraître plus outrageante encore au gouvernement de l'Union.

Le 22 juin 1807, la frégate des États-Unis la Chesapeake, expédiée pour la Méditerranée, met à la voile de Hampton, quitte les caps, où était à l'ancre une escadre britannique, composée de trois vaisseaux à deux ponts et d'une frégate de 38 canons. Tandis que la Chesapeake traverse cette escadre, un des vaisseaux, le Léopard, la suit elle n'était pas à trois lieues, que le capitaine du Léopard la hèle, et dit qu'il a une dépêche à remettre de la part de l'amiral Berkley ...... C'était l'ordre de prendre, sur la Chesapeake, trois hommes dénommés et supposés être des déserteurs de la frégate le Mélampus. Le commodore Bacon répond qu'il n'a pas à son bord d'hommes des noms désignés; il ajoute que son équipage n'est soumis à aucun autre contrôle que le sien. A cette réponse donnée dans les termes les plus polis, le capitaine Humphries fait répliquer par une bordée du Léopard Le commodore Bacon qui n'était pas préparé, reçut successivement trois bordées et dût céder à l'atrocité de cette attaque et baisser pavillon après avoir eu trois hommes tués et dix-huit blessés Le commandant du Léopard envoie alors à bord de la Chesapeake un officier qui fait avec rudesse et hauteur la revue de l'équipage, et enlève quatre hommes, et laisse la frégate, hors d'état de continuer sa route, rentrer dans la baie et offrir aux Américains le spectacle de l'affront sanglant fait à leur pavillon.

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Le résultat des recherches faites au ministère de la marine, et le rapport du commodore Bacon sur les quatre matelots pressés à bord de la Chesapeake, prouvèrent qu'ils étaient Américains. L'un d'eux fut pendu par les Anglais comme déserteur, et l'on prétendit dans le temps que ce fut en vue de justifier l'attaque du capitaine Humphries; nous ne saurions ajouter foi à la réalité d'une pareille atrocité, d'un fait aussi inqualifiable pour sa perfidie et sa froide cruauté.

Au reste, il importe peu que les matelots aient été des américains ou des anglais déserteurs ; l'attentat est le même au point de vue du droit maritime des nations audacieusement violé par le commandant du vaisseau le Léopard.

A la nouvelle de cet affront fait au pavillon américain, le gouvernement et tous les citoyens des États-Unis ressentirent une

égale indignation; le président de l'Union, Th. Jefferson, fit paraitre, le 4 juillet, la proclamation suivante :

Proclamation de Th. Jefferson, président des États-Unis.

<«< Au milieu des guerres qui divisent, depuis quelques années, les Puissances de l'Europe, les États-Unis d'Amérique, fermement attachés aux principes de la paix, ont tâché, par une conduite hospitalière et une observance impartiale des devoirs qu'ils avaient à remplir et des services qu'ils pouvaient rendre, de conserver avec les nations belligérantes leurs rapports accoutumés d'amitié, d'hospitalité et de commerce évitant de prendre aucune part aux motifs de leurs contestations et ne formant sur leurs querelles qu'un seul vou, celui de les voir bientôt terminées, ils ont observé de bonne foi la neutralité qu'ils s'étaient imposée, et n'ont donné à personne l'occasion de se plaindre qu'ils s'en fussent écartés. Nos ports, nos rivières, tous les moyens de soulagement pour leurs malades ou de rafraîchissement pour leurs équipages, ont été ouverts, prodigués anx nations en guerre, et cela malgré les torts fréquents, malgré les actes de violence souvent exercés par des officiers d'une des Puissances belligérantes sur les personnes et sur les propriétés de nos citoyens. Il n'est que trop vrai de dire que cet abus des lois de l'hospitalité était devenu la pratique habituelle des commandants des vaisseaux anglais qui parcourent nos côtes ou fréquentent nos ports.

« Ces outrages ont été l'objet de représentations réitérées adressées au Gouvernement anglais, qui a donné les assurances les plus positives qu'il avait envoyé les ordres sévères de les faire cesser. Mais ces assurances et ces ordres sont restés sans effet, et aucune punition ne nous avait vengés des insultes passées. Enfin, un attentat, au-dessus de tout ce que nous avions vu, vient de fixer le terme de notre indignation et de notre patience. Une frégate des États-Unis, partie pour un service éloigné et naviguant sur la foi des traités, a été surprise et attaquée par un vaisseau anglais d'une force supérieure et faisant partie de l'escadre qui mouillait dans ce moment-là sur nos rivages et couvrait cet attentat. Notre frégate a été mise hors de service en se défendant, et un grand nombre de nos matelots tués ou blessés. Cette attaque a non-seulement été faite sans provocation, mais avec l'intention avouée d'enlever de force, à ce bâtiment de guerre, une partie de ces équipages: après cette horrible exécution, le vaisseau anglais est venu tranquillement se remettre à l'ancre sur nos rivages avec l'escadre dont il faisait partie. >>

Le président finit en interdisant l'entrée de l'Amérique à tous les bâtiments de guerre anglais, jusqu'à ce que le gouvernement anglais ait fait une réparation convenable.

Ces procédés inouïs de la part de la marine anglaise, et que rendent plus inqualifiables encore les circonstances au milieu des

quelles l'attaque contre la Chesapeake a eu lieu, semblent être le prélude des atrocités qui devaient être commises deux mois plus tard à Copenhague et que nous avons décrites dans le chapitre précédent.

La guerre paraissait inévitable: les ports américains furent fermés, les côtes fortifiées, et tout rapport interdit entre la terre et la navigation britannique, jusqu'à ce que l'Angleterre eût fait faire une réparation convenable.

Des négociations furent entamées à cet effet; le cabinet britannique les fit traîner en longueur.

Elles furent rompues en 1808, et, par un message en date du 8 novembre de cette année, le président des États-Unis se vit dans la nécessité d'annoncer au congrès le refus qu'avait fait le gouvernement anglais de donner une réparation satisfaisante pour l'attentat commis sur la Chesapeake.

Dans l'année 1809, les négociations furent reprises par M. Erskine, envoyé britannique.

Une proclamation du président, portant la date du 19 août, annonça que l'acte prohibitif de toutes relations commerciales entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, la France et les possessions de ces deux Puissances, était révoqué, quant à la GrandeBretagne, attendu que l'honorable David Montague Erskine, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. britannique, avait, par ordre de son gouvernement, déclaré que les ordres du conseil des 7 janvier et 11 novembre 1807, devaient être considérés comme nuls et non-avenus quant aux États-Unis. (Voir chap. XXVI.)

On devait donc s'attendre aux États-Unis à de meilleures dispositions de la part du cabinet britannique.

En effet, un traité signé par M. Erskine stipula une réparation pour l'affaire de la Chesapeake, et replaça le commerce sur l'ancien pied entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Mais le traité ne fut pas ratifié, M. Erskine ayant, selon l'expression de M. Canning dans la chambre des communes, agi en opposition directe avec la teneur de ses instructions.

Les négociations qui furent encore reprises, depuis, n'amenèrent aucun résultat.

Les procédés de la Grande-Bretagne envers les États-Unis dont le commerce maritime était entravé de mille manières, la prétention que conservait l'Angleterre de presser les matelots américains sur mer, sous prétexte de l'exercice du droit de visite, décidèrent l'Union à déclarer la guerre à la Grande-Bretagne :

les hostilités commencèrent dans le mois de juin 1812. (Voir même chap.)

Le traité signé à Gand, le 24 décembre 1814, mit fin à la guerre.

Ce traité a été conclu sur les bases du statu quo ante bellum : les questions du droit maritime y ont été complètement passées sous silence.

CHAPITRE XXVIII.

NAVIGATION DES FLEUVES. 1)

A l'occasion de la libre navigation des fleuves, nous rapporterons d'abord deux faits qui appartiennent au siècle dernier ; le troisième que nous mentionnerons s'est produit de nos jours.

La libre navigation des fleuves, déclarée d'un accord commun par les Puissances réunies en congrès, est un témoignage de la marche de la civilisation qui a élargi les rapports entre les nations, et nécessité des moyens de communication plus faciles ; cette liberté a reçu sa consécration par l'acte final du congrès de Vienne, du 9 juin 1815; c'est l'application de ce principe qui fera l'objet des discussions que nous aurons à reproduire dans le § 4.

Le § 1er présentera, au contraire, un fait de fermeture et d'usage exclusif, consacré par l'un des actes publics du congrès de Westphalie en 1648.

§ 1.

Navigation de l'Escaut.

A l'époque du congrès tenu, dans les années 1642 à 1648, en Westphalie, pour mettre fin à la guerre dite de trente ans, le territoire connu aujourd'hui sous le nom de Belgique, ou royaume belge, formait la partie des Pays-Bas catholiques qui appartenaient à l'Espagne, laquelle reconnut alors d'une manière définitive et complète, après une lutte sanglante qui dura plus de quatre-vingts

1) Voir Livre I, titre II, § 57.

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