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Dans la correspondance officielle sur ce sujet, on s'en référa aux discussions de 1784 concernant l'Escaut; ce fut à tort.

La Hollande avait soutenu que les deux branches du fleuve qui traversait son territoire, étaient, en quelque sorte, artificielles. et n'existaient navigables que grâce à l'industrie des Hollandais, et aux travaux d'art qu'ils avaient exécutés et qu'ils entretenaient à grands frais; de là, sans doute, la stipulation du traité de Westphalie, que l'Escaut inférieur et les canaux de Sas et de Zwin resteraient fermés du côté de la république des Provinces-Unies. Rien de semblable n'existait pour le Saint-Laurent.

Le principe sur lequel se fondaient les prétentions du gouvernement des États-Unis a reçu une consécration non-équivoque par l'acte final du congrès tenu à Vienne en 1845; les Puissances signataires ont proclamé, en effet, à cette époque, le principe de la liberté de la navigation des fleuves, par un réglement spécial, dont nous rappelerons les articles 1 et 2.

Art. 1. Les Puissances dont les États sont séparés ou traversés par une même rivière navigable, s'engagent à régler, d'un commun accord, tout ce qui a rapport à sa navigation

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« Art. 2. La navigation de tous les cours de rivières indiquées dans l'article précédent, du point où chacune d'elles devient navigable jusqu'à son embouchure, sera entièrement libre, et ne pourra, sous le rapport du commerce, être interdite à personne, en se conformant toutefois aux réglements qui seront arrêtés pour sa police d'une manière uniforme pour tous, et aussi favorables que possible au commerce de toutes les nations. »

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Ces stipulations auxquelles la Grande-Bretagne avait pris part, pouvaient être considérées comme l'expression de l'opinion publique en Europe sur la question de la libre navigation des fleuves.

Huit États de l'Union américaine et le territoire de Michigan avaient un intérêt puissant à ce que les prétentions soutenues par le gouvernement des États-Unis obtinssent une solution favorable.

Ce qui légitimait encore ces prétentions, c'est qu'avant la guerre de l'indépendance, tous les sujets des colonies anglaises avaient obtenu, à l'époque de la guerre de 1756, du gouvernement français, le droit de libre navigation sur le Saint-Laurent.

Le droit des Américains à la navigation du fleuve était le même que celui qui fut accordé aux Anglais, par l'article VII du traité de paix signé à Paris, le 10 février 1763, entre la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne.

Le gouvernement anglais était d'avis que les prétentions du

gouvernement américain entraînaient l'examen de la question << Si <«<l'on pouvait soutenir que le droit parfait de naviguer sur le <«< Saint-Laurent s'accordait avec les principes et la pratique du « droit des gens. >>

La liberté de passage d'une nation sur le territoire d'une nation voisine est regardée, par les auteurs les plus célèbres sur le droit public, comme une exception aux droits de propriété ; mais ils font une distinction entre le passage sur un fleuve qui coule à travers deux pays pour aller se jeter à la mer, et le passage sur toute autre voie publique. En présence de la consécration du principe de la libre navigation des fleuves, par les Puissances européennes, au congrès de Vienne de 1815, dans les termes que nous avons reproduits plus haut, la Grande-Bretagne, signataire des actes du congrès, avait mauvaise grâce à contester aux États-Unis la libre navigation du Saint-Laurent, à l'usage du commerce.

Les réglements et les stipulations du congrès de Vienne, et les nombreux traités qui ont été conclus depuis l'année 1815, n'ont fait que consacrer et proclamer un droit naturel.

La liberté de navigation du Saint-Laurent pour les habitants des États-Unis et des colonies anglaises, entraînait nécessairement celle des rivières qui viennent se jeter dans ce fleuve, ou dans les lacs qui forment, en quelque sorte, sa partie supérieure ; aussi, dans le traité signé le 9 août 1842, à Washington, il fut stipulé, par les articles 3 et 7, que la navigation de la rivière Saint-Jean; des canaux dans la rivière Saint-Laurent, sur les deux rives des îles dites Long-Soult-Island et de l'ile de Bernhard; des canaux dans la rivière d'Ebsort, sur les deux rives de l'île du Bois-Blanc, et entre cette ile et les deux rives américaines et du Canada; et de tous les divers canaux et passages entre les diverses îles situées près de la jonction de la rivière SaintClair avec l'État de ce nom, etc. etc., serait libre et ouverte aux bateaux, vaisseaux et barques des deux pays.

CHAPITRE XXIX.

CÉRÉMONIAL MARITIME. 1)

Le salut est une déférence et un honneur, dit Bouchaud, qui se doit rendre sur mer.

L'Angleterre a poussé fort loin, jusqu'au 17e siècle, la prétention au salut de la part des autres pavillons. Louis XIV fit depuis respecter sa puissance sur mer malgré les prétentions des rois de la Grande-Bretagne.

§ 1.

Salut exigé, dans la Manche, d'un vaisseau français, au pavillon

britannique.

Dans l'année 1603, le roi Henri IV de France envoya le Marquis de Rosny en ambassade extraordinaire auprès du roi Jacques Ier pour féliciter ce souverain à l'occasion de son avénement au trône.

Le bâtiment que montait l'ambassadeur de France était commandé par un vice-amiral et portait pavillon au grand mât; il fit voile de Calais pour se rendre à Douvres.

Aussitôt qu'il put être aperçu des côtes d'Angleterre, deux flûtes anglaises vinrent au devant du Marquis de Rosny, en apparence par distinction et pour lui faire escorte; mais les commandants de ces deux bâtiments exigèrent, avant de consentir à ce que l'ambassadeur continuât sa route, que le vice-amiral français abaissât son pavillon afin de rendre, dirent les officiers anglais, au pavillon de leur maître l'honneur qui était dû au souverain des mers.

Les conjonctures étaient telles que l'ambassadeur et le viceamiral durent subir la loi qui leur était imposée.

Cette affaire n'eut point de suites; mais il en fut pris bonne note en France, où elle fit germer des sentiments de rancune et le désir de trouver plus tard l'occasion de se venger, en exerçant quelque représailles de cette nature.

Le langage que Louis XIV fit tenir à son ambassadeur, dans

1) Voir Livre I, titre II, §§ 61 et 62.

une circonstance que nous allons rapporter, prouve que la blessure faite à l'amour-propre du souverain de la France, en 1603, avait, par hérédité, atteint son petit-fils.

Charles II, roi d'Angleterre, voulant inquiéter les Hollandais, et même les Français, sur la pêche que les uns et les autres faisaient dans le Canal de la Manche, Louis XIV chargea, en 1664, son ambassadeur à Londres de dire à ce prince, ainsi que l'ont fait connaître les lettres et négociations de d'Estrades: « qu'il avait << tort de défendre la pêche au préjudice du droit commun qui <<< en donne la liberté à tout le monde; qu'outre l'intérêt que le <<< roi de France y avait, pour l'intérêt de ses sujets, il ne pouvait << se dispenser de donner la main, en cette rencontre, aux Hol<«< landais ses alliés, ni leur refuser son entremise, ayant des forces « maritimes si puissantes que personne au monde ne lui pouvait « faire obstacle »; et l'ambassadeur de France profita de la circonstance pour reprocher à la cour de Londres ce qui s'était passé en 1603, à l'occasion du voyage du Marquis de Rosny (connu depuis sous le nom et titre de duc de Sully).

La cour de Londres n'osa pas résister; elle ne disputait pas, alors, au pavillon français ni la suprématie, ni le premier honneur.

La marine française, trop négligée par le cardinal Mazarin, avait trouvé dans Colbert un ministre disposé et déterminé à la relever; elle était en voie de prospérité, en 1664, et cinq ans plus tard, c'est-à-dire en 1666, une flotte de 31 bâtiments, portant 1158 bouches à feu, put se joindre aux forces navales hollandaises contre l'Angleterre.

Toutefois, l'état réel des forces navales de la France en 1661 ne semblait pas autoriser le fier langage du grand-roi, quand il disait, par la bouche de son ambassadeur, qu'il avait des forces maritimes si puissantes que personne au monde ne lui pouvait faire obstacle.

Certes, la Hollande par exemple possédait, à cette époque, une marine militaire beaucoup plus considérable que celle de la France.

On comprendrait mieux le langage que Louis XIV fit tenir à la cour de Londres, s'il eut été tenu trente ans plus tard, après que son armée navale, réunie dans la Manche, sous les ordres de Tourville, et forte de 78 vaisseaux portant 4,702 bouches à feu, 20 brûlots et 15 galères, eût battu, le 10 juillet 1690, les flottes réunies de l'Angleterre et de la Hollande, et que, de son côté, le comte d'Estrées, eut bombardé, dans la Méditerranée, Oneille, Barcelone, Alicante. En 1694, la marine française possédait

110 bâtiments de ligne et 690 autres bâtiments de guerre, portant ensemble 14,670 bouches à feu, 2,500 officiers et 97,500 hommes d'équipage.

Pendant l'administration du cardinal de Fleury, la marine fut négligée.

A cette époque, l'Angleterre possédait 130 vaisseaux de 54 à 100 canons, 115 frégates, 14 galiottes, 10 brùlots et 40,000 matelots embarqués.

L'état de la marine française n'était plus, en 1730, que de 54 vaisseaux de tout rang, plus quelques flûtes et diverses galiottes.

Malgré cette infériorité relative, en 1744, quelques mois avant que Louis XV eût déclaré la guerre à l'Angleterre, le Marquis de Roquefeuil, lieutenant-général des armées navales, croisant dans la Manche, obligea tous les vaisseaux de guerre anglais qu'il rencontra, d'amener et d'abaisser leur pavillon; toute la flotte d'ailleurs sut lutter avec héroïsme et gloire, depuis l'ouverture des hostilités jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748. (Voir chap. XI, § 4.) A la page 258 du premier volume voir les forces navales de la France en 1854.

§ 2.

Salut des forteresses et des vaisseaux.

Maître de forces navales aussi considérables que celles dont nous avons présenté le tableau, Louis XIV publia, en 1689, une loi sur le salut; ce document doit être considéré comme l'un de ceux qui, pour l'histoire, portent témoignage certain de l'autorité que ce prince exerçait en Europe, à laquelle il semblait imposer et dicter la loi du salut:

« Art. I. Les vaisseaux de Sa Majesté portant pavillon d'amiral, de vice-amiral ou de contre-amiral, cornettes et flammes, salueront, les premiers, les places maritimes et principales forteresses des rois, et le salut sera rendu coup pour coup, à l'amiral et au vice-amiral; et, aux autres, par un moindre nombre de coups, suivant la marque du commandement.

« Art. II. Les places de Corfou, Zante et Céphalonie, appartenant à la république de Venise, celle de Nice et de Villefranche, appartenant au duc de Savoie, seront saluées les premières par le vice-amiral, qui se fera rendre le salut coup pour coup.

« Art. III. Les autres places et principales forteresses de tous les autres princes et républiques, salueront les premières. l'amiral et le vice-amiral, et le salut leur sera rendu savoir par l'amiral,

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