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A une époque où la qualité de ministre public était contestée aux consuls, par le plus grand nombre des publicistes, ainsi que par tous les États, les atteintes dont ils ont été l'objet de la part des autorités du pays où ils exerçaient leurs fonctions, sont cependant restées rarement impunies. Wicquefort qui de tous les publicistes s'est montré le moins disposé à reconnaître aux consuls le caractère de ministre public, en disant, dans son ouvrage « L'ambassadeur et ses fonctions », publié à la fin du 17° siècle : « Les consuls ne sont que des marchands, ce qui est incompa« tible avec la qualité de ministre public »; Wicquefort fournit deux exemples remarquables d'atteintes portées au caractère consulaire, qui ont été suivies de réparations de la part des autorités qui se les étaient permises, ou qui les avaient tolérées. D'autres atteintes, disons mieux, des attentats réels, sont devenus funestes aux gouvernements qui s'en sont rendus coupables; l'État d'Alger notamment a dû payer bien cher la conduite atroce, et la conduite insolente de son souverain envers deux consuls français : en 1683, un bombardement a vengé la mort du Père Levacher; en 1830, le Dey a perdu ses États pour avoir insulté le consul général du roi de France.

§ 1.

Consul vénitien arrêté sur le territoire ottoman.

En l'an 1538, Sélim II, empereur des Turcs, résolut de s'emparer de l'ile de Chypre; il négocia, à cet effet, avec Venise; en apprenant que le sénat avait fait connaître sa détermination de s'opposer vigoureusement à toute tentative de violence de la part de Sélim, ce prince fit arrêter le Bayle Marc-Antoine Barbaro 1), à Constantinople, ainsi que les consuls vénitiens à Alexandrie et à Alep.

Le premier vizir Méhémet, qui n'approuvait pas la guerre, fit bientôt remettre en liberté les consuls résidant à Alep et à Alexandrie; le Bayle resta captif. Sélim craignant une coalition des princes chrétiens, qui l'empêchât d'achever la conquête du royaume de Chypre, voulut reprendre les négociations; il ordonna, à cet effet,

1) Le chef, protecteur et juge suprême des marchands vénitlens à Constantinople reçut, depuis la fin du 13e siècle, la dénomination de Bayle, qui remplaça, pour ce magistrat, celle de Podestat; il remplit dès lors les fonctions de consul général; c'est de lui que relevaient tous les consuls vénitiens institués dans les diverses échelles du Levant avec le temps, le titre de Bayle (Baïlo ou Balio) passa aux ambassadeurs de Venise près la Porte-Ottomane; il a été conservé jusqu'à l'extinction de la république.

au premier vizir d'entrer en communication avec Marc-Antoine Barbaro. Il prit prétexte de la circonstance de divers bâtiments turcs arrêtés par les croiseurs vénitiens, et pria le Bayle d'écrire à cet égard au sénat pour obtenir leur restitution et la remise des prisonniers, attendu que, malgré la rupture, les négociants vénitiens continuaient, en toute liberté, de faire leur commerce par tous les pays de l'obéissance du Sultan. Le premier vizir fit d'ailleurs connaître au Bayle, que Sélim II serait fort satisfait que la république envoyât au plutôt à Constantinople, un ministre qui tout en réglant les affaires commerciales, serait chargé de faire quelque proposition de paix.

Le Bayle fut autorisé à expédier un exprès à Venise.

Le sénat envoya à Constantinople Jacomo Rugazzoni.

Le Conseil des Dix lui remit un ordre secret par lequel le Bayle était autorisé à accepter les propositions qui seraient faites par le Divan pour peu qu'elles fussent compatibles avec la dignité de la république. Mais Sélim II prétendant se faire donner, par le traité, ce que ses armes n'avaient pu encore lui procurer, le Bayle romprit la négociation et fit partir Rugazzoni de Constantinople.

L'ile de Chypre était en partie conquise par le Sultan : le sénat suivit l'avis de la France qui lui conseillait d'en finir et de sortir de la guerre par un bon accommodement. Le Bayle, toujours prisonnier, et sachant que la Porte désirait la paix tout autant que Venise, chercha à renouer les négociations; il s'attendait à voir le Divan s'empresser de l'écouter loin delà; les rigueurs de sa captivité redoublèrent; on fit murer les fenêtres de la chambre qu'il occupait, et l'on augmenta le nombre des hommes d'armes chargés de le garder et de l'empêcher d'avoir aucune communication avec le dehors, notamment avec l'envoyé du roi Charles IX de France. Toutefois, le premier vizir qui comprenait la nécessité de finir une affaire aussi mal commencée, fit rendre la liberté au Bayle et continuer avec lui les négociations suspendues; Ebrahim Bey, premier truchement au Divan, et un médecin juif, nommé Salomon, furent chargés de traiter avec le Bayle; le traité fut signé le 15 mars 1573.

§ 2.

Consul hollandais à Cadix.

Au commencement du 17e siècle, le consul que la république des Provinces-Unies des Pays-Bas avait institué à Cadix, fut in

sulté par le gouverneur de la ville et arrêté par son ordre. Les États- Généraux s'en plaignirent à la cour de Madrid comme d'une violation du droit des gens; ils obtinrent une satisfaction publique.

§ 3.

Consul vénitien à Ancone: 1634.

En 1634, la république de Venise, dit Wicquefort, pensa rompre avec le Pape Urbain VIII, à cause de la violence que le gouverneur d'Ancone avait faite au consul qui y résidait de la part du sénat.

Ce consul, du nom de Michel Oberti, était de Bergame, d'une famille qui avait exercé cette charge pendant plusieurs années.

Le gouverneur qui le soupçonnait d'avoir donné des avis, d'après lesquels les galères de la république avaient pu s'emparer de quelques barques de Raguze qui avaient fraudé les droits, persécuta le consul vénitien au point que celui-ci se vit contraint de partir pour Venise, afin d'y exposer sa situation au sénat.

A peine fut-il parti, que le gouverneur d'Ancone fit prendre possession de la maison consulaire, dont il fit enlever les meubles, les papiers de toute nature, même ceux qui concernaient uniquement l'emploi du consul absent.

Le sénat, informé de ces procédés inouïs, porta des plaintes à Rome et réclama une prompte réparation, avec une si grande chaleur, que l'ambassadeur de France, craignant de voir naître, de cet incident, une rupture déclarée, s'efforça d'ajuster le différend.

Pendant ce temps, le gouverneur d'Ancone continuait d'agir contre le consul absent, en le faisant citer devant les tribunaux pour s'y entendre condamner au bannissement pour avoir, était-il dit dans l'acte d'accusation, fait décharger des marchandises, en temps de contagion, contre les réglements.

Le consul Michel Oberti pouvait prouver, s'il eut été présent, qu'il n'avait agi, en aucune circonstance, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation du magistrat; mais Oberti était absent: la passion l'emporta sur la justice, et il fut condamné par contumace, ainsi que le désirait le gouverneur d'Ancone.

Cette nouvelle circonstance accrut l'irritation du sénat : l'ambassadeur de France ne réussit qu'à grand'peine à empêcher un éclat.

A la suite de nouvelles négociations, un accommodement fut

convenu : « L'arrêt de bannissement serait annulé, Oberti serait « rétabli dans ses fonctions, mais immédiatement rappelé par le sénat « qui nommerait à sa place tel consul qui lui conviendrait, etc. »>

Sur ces entrefaites, et avant que l'arrangement pût être mis à l'exécution, Michel Oberti mourut; le sénat nomma à sa place son frère.

A son arrivée à Ancone, le successeur de Michel fut arrêté par ordre du gouverneur, et jeté en prison; il lui fut en outre signifié qu'il n'obtiendrait sa liberté qu'en fournissant caution et à la condition expresse qu'il quitterait immédiatement Ancone pour n'y plus rentrer.

Les ministres de France à Venise et à Rome, par les soins desquels l'arrangement avait été conclu, et qui avaient engagé leur parole que le sénat de Venise aurait le droit d'envoyer à Ancone tel consul qu'il lui conviendrait de choisir, furent fort scandalisés de la conduite du gouverneur d'Ancone. De son côté, le sénat, pour témoigner son indignation, refusa toute audience au Nonce, et défendit à son ambassadeur à Rome de se présenter devant le Pape, jusqu'à ce que satisfaction eût été donnée.

Le gouverneur fut contraint de se soumettre à faire des excuses. La conduite de ce haut fonctionnaire serait, de nos jours, punie plus sévèrement, on n'en saurait douter.

§ 4.

Consul français mis à mort à Alger.

En 1682, lorsque l'amiral Duquesne bombardait la ville d'Alger, par ordre de Louis XIV, le consul français Levacher qui, ecclésiastique, était resté en qualité de missionnaire dans la ville, devint l'objet des persécutions et de la vengeance des Musulmans.

Les Algériens exaspérés à la vue des ravages résultant du bombardement, accusèrent le père Levacher d'avoir fait des signaux à la flotte française, et s'emparèrent de sa personne. Ils lui firent offrir, pour échapper à la mort, de renoncer à sa Religion et d'embrasser l'Islamisme; sur son refus, la milice d'Alger se saisit de lui, et, dans son aveugle rage, le fit entrer de vive force, dans un canon de gros calibre, déjà chargé, auquel on mit le feu.

Cette barbarie méritait et appelait une vengeance : Duquesne était tout disposé à la faire terrible.

Un second bombardement contraignit le Dey à implorer la paix par un ambassadeur qu'il envoya à Versailles. (Voir § 10.)

La tradition a désigné, comme ayant servi à un genre de supplice que des mœurs d'une atrocité inouíe pouvaient seules imaginer, un canon d'un calibre extraordinaire, connu à Alger sous le nom de Consulaire; ce canon à une longueur de 7 mètres 98 centimètres. Il avait été fondu, dit-on, en 1542, par un Vénitien. Il est tombé entre les mains des Français, le 5 juillet 1830, lors de la prise d'Alger; il avait été placé sur le môle, en commémoration de l'achèvement des fortifications; sa portée à toute volée était de 2,500 toises ou 3,000 mètres.

Ce canon figure actuellement sur un piédestal, dans le port de Brest, au milieu de la place d'armes ; il forme le fut d'une colonne qui s'élance d'un piédestal de six pieds six pouces de haut.

§ 5.

Consul français insulté à Zante en 1737.

Un des principaux habitants de la ville de Zante, capitale de l'ile de ce nom, avait insulté, dans le mois de juillet 1737, le consul de France, et couvert de boue le tableau consulaire aux armes royales de France, placé sur la maison de consul.

Aussitôt que le gouvernement vénitien eût été informé de l'injure faite à la France dans la personne de son consul, il fit partir pour Corfou un général qu'il chargea de faire une enquête et de procéder à la réparation que réclamait l'attentat dont le Zantiote s'était rendu coupable.

Quand le crime eut été établi et prouvé, un jugement fut prononcé, jugement terrible, qui condamna le Zantiote à étre écartelé devant la maison du consul de France; l'exécution de cette sentence sévère suivit immédiatement.

§ 6.

Affaire d'attributions.

Le 2 juin 1800, le consul général de Danemarck, à Paris, présenta au tribunal des prises un mémoire tendant à obtenir la mise en sûreté ou le cautionnement du produit de la vente d'une prise faite sur des sujets danois.

Cette circonstance donna lieu à poser la question suivante :

Un consul étranger, reconnu par le gouvernement français, peut-il, par des actions ou des demandes, intervenir dans des contestations particulières, mues entre des négociants français et des négociants de sa nation?

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