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§ 10.

Insulte faite au consul général de France par le Dey d'Alger. 1)

Un Juif établi à Alger était en réclamation auprès du gouvernement français, pour obtenir le remboursement d'une ancienne créance non encore liquidée. Il était parvenu à intéresser le Dey Hussein à sa réclamation. Celui-ci recommanda, avec chaleur, l'affaire du Juif algérien à M. Deval, consul général de France à Alger; cet agent promit d'en référer à son gouvernement.

Les consuls résidant à Alger ayant été admis, à l'occasion de la fête du Baïram à présenter leurs hommages au Dey, ce prince se plaignit, en termes peu mesurés, de la lenteur qu'apportait le ministère français à la solution de la réclamation du Juif.

M. Deval présenta quelques objections contre l'opportunité de la demande du Juif.

Les paroles qui furent échangées, en cette circonstance, entre le consul général de France et le Dey, firent naître un grand courroux par l'esprit de Hussein: emporté par la colère, il frappa de son éventail le consul général au visage.

Cette insulte réclamait une éclatante réparation.

Deux fois déjà, en 1682 et en 1683, Alger avait été bombardé par ordre de Louis XIV; un descendant du grand roi, Charles X, donna l'ordre d'un troisième bombardement.

Les deux premiers bombardements furent un châtiment qui ne devait être suivi d'aucun changement dans la situation du pays; le troisième fut une punition qui transforma tout.

Le bombardement de 1683, qui vengea la mort de Levacher (voir plus haut § 4) devint l'origine d'un soulèvement qui fit perdre le trône et la vie au Dey Baba-Hussein, mais il lui fut donné un successeur : Meza-Morto fut élu par les soldats ; à la suite du troisième bombardement, en 1830, le Dey a perdu le trône, et ses États sont passés sous la domination de la France par la conquête.

Lorsque le roi Charles X et son conseil des ministres eurent déterminé qu'une expédition serait dirigée contre Alger, les préparatifs militaires qui se firent en France indiquaient que l'on voulait autre chose qu'un simple bombardement et que la conquête d'Alger était résolue.

Le vice-amiral Duperré reçut le commandement de la flotte,

1) Voir chap. XXXIII. CUSSY. II.

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composée de 96 bâtiments, dont onze vaisseaux et vingt-quatre frégates.

L'armée expéditionnaire fut placée sous les ordres du comte de Bouremont, ministre de la guerre.

Le 5 juillet 1830, le drapeau français flottait sur la Kasbah 1); l'honneur de la France était vengé.

Peu de jours après, le Dey Hussein quittait Alger avec son trésor particulier, ses femmes, les officiers et les gens de sa maison.

La régence d'Alger fut déclarée colonie française.

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la personne du comte Degli Oddi, consul général du Saint-Siège

à Corfou.

La police judiciaire de Corfou est informée, dans le courant de l'année 1830, que des billets passés à l'ordre du comte Degli Oddi, consul général du Saint-Siège dans les Iles Joniennes, et portant la signature de personnes décédées depuis peu, ont été présentés aux héritiers de celles-ci, mais qu'ils ont été repoussés par eux comme billets faux.

Sur le simple soupçon que le comte Degli Oddi est l'auteur, ou tout-au-moins le complice des faux, non encore constatés, un mandat d'amener est décerné contre ce fonctionnaire étranger, sans égard pour le caractère public dont il est revêtu, et le comte Degli Oddi est jeté en prison.

Quarante-huit heures plus tard, sur la garantie et caution personnelle du directeur de la police, ami particulier du comte Degli Oddi, cet agent politique étranger, commis par un prince souverain à la surveillance (à laquelle on l'avait enlevé) des intérêts de ses sujets sur le territoire de l'État septinsulaire, reçut pour prison sa propre maison où il resta gardé à vue par des constables, afin d'y attendre que l'affaire fut instruite. En admettant que l'émission des billets faux put être réellement imputée au comte Degli Oddi, c'eut été, tout-au-plus, cette dernière mesure qui aurait pu être adoptée, et non pas la mesure toute brutale dont

1) Kasbah, Kasaubah, ou Cassauba.

il fut l'objet dès le principe sur un vague soupçon, de la part de l'autorité judiciaire jonienne.

Sans la circonstance entièrement accidentelle, des relations d'amitié qui existaient entre lui et le directeur de la police, fonctionnaire anglais, M. Degli Oddi serait resté, sans aucun doute, sous les verroux de la geole, écarté de vive force et sur un simple soupçon, des affaires dont la direction lui avait été confiée par un souverain étranger, et que le gouvernement septinsulaire, en lui remettant l'exéquatur, lui avait reconnu le droit de suivre.

Sur un soupçon, sur un bruit de ville, le consul général du Saint-Siège avait donc été enlevé à la garde, qui n'appartenait qu'à lui seul, de l'office de son consulat, lequel pouvait occasionnellement renfermer des dépôts importants dont le comte Degli Oddi était responsable, et qui dans tous les cas renfermait des archives dont le secret ne peut être violé par les autorités locales, dans aucun pays, secret qui fait l'objet, dans un grand nombre de traités, d'une clause spéciale.

Si l'immunité personnelle absolue (excepté dans le cas de crimes atroces qui compromettent la sûreté de l'État, ou d'injures faites au souverain territorial ou aux princes et princesses de sa famille ), n'était pas une des prérogatives accordées aux consuls envoyés, le libre exercice de leurs fonctions ne saurait être entier; la sûreté de leurs papiers, des actes passés dans leur chancellerie, des dépôts confiés à leur garde et à leur responsabilité, ne seraient plus qu'illusoires. Que dit le traité de 4769, entre l'Espagne et la France? « Les consuls étant sujets du prince qui les nomme et les établit, jouiront de l'immunité personnelle, de sorte qu'ils ne pourront être arrêtés, ni mis en prison, excepté pour les cas de crimes atroces. »

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Quand un État n'a pas, pour légitimer l'arrestation d'un consul, à s'autoriser de la nécessité de veiller à sa propre sûreté, compromise par les menées ou les attentats de cet agent politique, il commet un acte que la justice, la raison et le droit des gens réprouvent également.

Dans le cas où un gouvernement quelconque se croit en droit de sévir contre un consul étranger qui se serait rendu coupable de menées ou d'attentats de nature à troubler la tranquillité du pays, il doit ou demander le rappel du consul, ou le renvoyer à son souverain, pour qu'il soit puni par lui, après avoir d'ailleurs donné à cet agent le temps nécessaire pour faire choix d'un individu auquel il puisse remettre les archives et la gestion du poste, provisoirement; ou, enfin (en élargissant ici, jusqu'à l'ex

tréme limite, le droit de l'autorité territoriale), s'il est indispensable pour l'instruction de l'affaire dans laquelle le consul étranger s'est trouvé compromis (par exemple des menées politiques nuisibles à l'État), que le consul auquel un crime de cette nature est imputé, soit présent, le gouvernement lésé doit s'entendre, à cet effet, avec le gouvernement auquel le consul appartient. Le consul, conservant sa maison pour demeure jusqu'au jour du jugement, doit, si le tcibunal le condamne, être renvoyé dans son pays: sujet perpétuel du prince qui l'a envoyé et qui l'a initié aux affaires de l'État, le consul ne peut être puni que par son souverain; c'est le droit de celui-ci ; c'est aussi son devoir, si la preuve de la culpabilité de son agent est acquise.

Ces principes, en faveur desquels il nous serait facile d'invoquer de nombreuses autorités, devraient être la règle invariable de tous les États.

Dans l'affaire du comte Degli Oddi, soupçonné d'être l'auteur des billets argués de faux, et repoussés comme tels, par les héritiers des individus dont ils portaient la signature, la tranquillité des États-Unis Joniens n'était point en cause; un soupçon de déloyauté a frappé le comte Degli Oddi, et ce soupçon a déterminé son arrestation violente et son incarcération; son arrestation et sa captivité dans les prisons de la ville de Corfou, étaient donc une double atteinte portée au caractère consulaire et au droit des gens, aussi bien qu'à l'indépendance du souverain qui lui avait confié la charge de consul général; la mise à exécution du jugement qui l'aurait condamné aux fers, aux travaux forcés (ainsi que c'eût été le cas si la culpabilité avait été démontrée), eut été un attentat manifeste contre le droit des gens, une insulte à la majesté souveraine du prince dont le comte Degli Oddi était le sujet et l'agent politique.

Certes, le gouvernement anglais, nous l'avons dit au Livre I (titre 1, §§ 23 et 24), ne se montre pas favorable aux consuls, en général; cependant voici comment, en 1828, un de ses publicistes, le rédacteur du Courrier, l'un des journaux les plus sérieux et les plus remarquables de la Grande-Bretagne (journal réputé ministériel à cette époque), s'est expliqué à l'occasion de l'arrestation du consul hambourgeois à St.-Ubes : « Les fonctions <«< consulaires requièrent que les consuls ne puissent être soumis « à la juridiction criminelle, ni molestés, ni mis en prison, s'ils <<< ne violent pas eux-mêmes, par des crimes énormes, le droit « des nations; et quoique l'importance des fonctions consulaires ne << soient pas telle, qu'elles puissent assurer à la personne des

« consuls l'inviolabilité et l'indépendance absolues dont jouissent « généralement les ministres publics, cependant étant placés sous << la protection particulière du souverain qui les emploie et les «initie à ses affaires, s'ils commettent un crime, par égard pour « ce souverain, ils doivent lui être renvoyés afin d'être punis « par lui. »

Cette doctrine est celle du traité de 1769, entre la France et l'Espagne; c'est également celle de plusieurs publicistes éminents, notamment de Vattel, dont les Anglais invoquent plus particulièrement l'autorité.

Les autorités anglaises qui administrent les lles Joniennes répètent si fréquemment aux consuls étrangers qu'ils ne sont rien, ou quasi rien, et qu'ils ne doivent se mêler que des faits purement commerciaux qui intéressent leurs nationaux, que les collègues du comte Degli Oddi ne jugèrent pas à propos de faire une démarche en commun pour protester contre l'arrestation et l'incarcération du consul général du Saint-Siège; devenus, tous, ou timides, ou indifférents pourvu qu'ils ne fussent pas personnellement inquiétés dans l'exercice de leurs fonctions d'agent commercial, ils craignirent (en adressant à l'autorité anglaise, dans les Iles Joniennes, une remontrance, ou une protestation collective, contre une mesure à laquelle le Lord haut-commissaire, Sir Frédéric Adam, semblait avoir donné son approbation), de voir leur propre service se hérisser de difficultés de la part de l'administration locale. Le consul de France seul s'expliqua hautement, dans des conversations particulières qu'il eut avec divers fonctionnaires publics contre le procédé inouï de l'autorité judiciaire ; il parla confidentiellement à plusieurs personnages haut placés de l'atteinte qui avait été portée au droit des gens dans la personne du comte Degli Oddi, en citant, à l'appui de ce qu'il avançait, l'autorité du publiciste anglais à l'occasion de l'arrestation, à St.Ubes, en 1828, du consul hambourgeois, et celle de Vattel, etc., ses observations faites dans l'intimité ont-elles eu plus d'effet que si elles eussent été faites officiellement ? Nous le croyons: on eut repoussé l'intervention du consul, simple agent commercial, aux termes de la constitution, tracée sous l'influence des agents de l'Angleterre ; les objections confidentielles de l'homme du monde, de l'étranger auquel on accordait quelque considération personnelle et auquel en donnait fréquemment des témoignages d'estime, eurent, peut-être, l'heureux résultat de décider l'autorité supérieure à faire reconduire et à installer le comte Degli Oddi dans sa maison consulaire, sous la surveillance des constables et sous la

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