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de livrer les deux Français; cet ordre n'arriva que lorsque l'escadre commandée par l'amiral baron de la Susse avait quitté la rade de Tripoli.

Voici en quels termes le Moniteur a rétabli les faits dénaturés par le Morning-Herald:

« Il y a quelques mois, deux soldats français, qui avaient, en effet, déserté d'un régiment de hussards, se rendirent à Tripoli. Notre consul en eut avis par le pacha; mais n'ayant point à demander l'extradition de ces deux hommes, il se contenta d'inviter le pacha à ne pas les garder à Tripoli, et ne s'occupa plus d'eux jusqu'au moment où ils déclarèrent vouloir se présenter au consulat pour y faire acte de soumission. Voici comment ils se décidèrent à cette démarche. Ils étaient employés comme maréchaux ferrants au quartier de cavalerie turque. On voulait les enrôler dans cette troupe, mais leur qualité de Chrétiens s'y opposait; on résolut alors de les contraindre à se faire Musulmans. Ils s'y refusèrent énergiquement et réclamèrent la protection de notre consul général, en annonçant qu'ils étaient disposés à faire leur soumission entre ses mains.

« Malheureusement, un seul de ces deux hommes put gagner le consulat; l'autre, arrêté par les Turcs, fut jeté en prison et horriblement maltraité. M. Pelissier s'empressa de le réclamer, et le pacha parut disposé à laisser son prisonnier libre d'aller où il voudrait, sans le rendre officiellement. Mais c'est au moment même où le pacha semblait montrer de la condescendance aux désirs du consul, que le Français Rabbes, qui avait déjà fait sa soumission entre les mains du consul et en avait même reçu uu passe-port, était à son tour arrêté et entraîné par des soldats turcs.

« Le Moniteur a déjà fait connaître, d'après une lettre écrite de Tunis par un témoin oculaire, les traitements barbares que l'infortuné Rabbes a eu à subir de la part des soldats qui lui avaient tendu ce guet-apens. L'indignation que ces cruautés avaient soulevée à Tripoli expliquait suffisamment la résolution prise par le gouvernement d'envoyer notre escadre pour faire respecter notre droit de protection qu'on méconnaissait si outrageusement, et il ne s'agissait guère là d'une question d'extradition.

<< Quant à la liberté qu'on aurait ultérieurement rendue aux deux Français, elle existait si peu quand l'escadre s'est présentée devant Tripoli, que, lorsque le mudir se décida à rendre les prisonniers, il demanda un peu de temps pour les faire revenir d'un lieu éloigné où il déclara qu'on les avait internés. En ce qui

regarde la correspondance entamée par les consuls d'Angleterre, des États-Unis et de Hollande avec notre consul et le commandant de l'escadre, pour se plaindre de ce qu'on ne leur laissait pas le temps de mettre en sûreté leurs nationaux, il est bon de faire observer que toutes les précautions avaient été prises par le commandant de notre escadre pour recevoir les Européens à son bord, et que ceux qui, d'après le Morning-Herald, se plaignent le plus hautement, sont ceux dont la situation était le moins embarrassante, puisqu'ils n'avaient que leur propre personne à mettre à l'abri, n'ayant aucun citoyen de leur nation à protéger.

>> Le résultat de leurs démarches était donc d'encourager, bien contre leurs intentions sans doute, l'opiniâtreté que mettaient les autorités turques à refuser la satisfaction très-légitime qui leur avait été demandée. Leur exemple n'a pas, au surplus, été suivi par tous leurs collègues, car le consul général d'Espagne et son vice-consul se sont employés autant qu'ils l'ont pu à amener le gouverneur de Tripoli à satisfaire à la demande du commandant de notre escadre.

Nous avons su d'ailleurs, et cela suffit pour établir le droit du gouvernement français, que la Porte Ottomane s'était empressée, après les communications de notre ambassadeur, de faire partir pour Tripoli une frégate à vapeur portant au pacha l'ordre de rendre nos nationaux.

<< Nous croyons aussi pouvoir affirmer que le consul anglais n'a pas joué, dans cette affaire, le rôle que lui prête le MorningHerald, et qu'il a fait, au contraire, tous ses efforts pour démontrer au pacha l'inutilité de la résistance. »>

§ 16.

Outrages commis envers M. Barrot, consul de France, à Carthagène, Nouvelle-Grenade (Amérique).

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1833, une famille anglaise avait été assassinée à deux lieues de Carthagène; dans la matinée du 27, le consul anglais et celui des États-Unis de l'Amérique septentrionale étaient allés chercher les restes de ces malheureuses victimes. Le consul de France qui se trouvait à la campagne à quelques lieues de Carthagène, n'avait point été informé de cet événement, et n'avait pu, par conséquent, accompagner ses collègues dans l'accomplissement de leur triste devoir. Ce ne fut que

dans l'après-midi qu'il revint à Carthagène. Il se hâta de se joindre à ses collègues qui venaient d'arriver au quai de la douane, dans l'intention d'accompagner les cadavres jusqu'à l'église.

Une populace immense couvrait le quai.

Le consul de France était à quelques pas delà, attendant avec deux ou trois amis que les corps eussent été mis à terre et que la procession fut organisée. Tout à coup et sans aucun motif un agent de police, en état d'ivresse, vint lui intimer l'ordre de se retirer. Ce fut en vain que M. Barrot lui fit connaître sa qualité, et lui expliqua les motifs qui rendaient sa présence nécessaire pour prendre sa place dans le cortège. L'homme de la police s'emporta; il saisit le consul avec violence et ordonne à ses soldats de l'emmener. L'ivresse de cet homme était évidente: ses soldats refusèrent d'obéir, et la populace qu'il chercha à soulever, resta impossible. M. Barrot qualifiant la conduite de cet homme, l'alcade Alandete, avec le mépris qu'elle méritait, se retira, pour mettre fin à une scène publique aussi scandaleuse.

Au moment où il allait se mettre à table, un domestique vint le prévenir qu'un agent de police, accompagné de quelques gens armés, entrait dans la cour. C'était le même alcade qui, oubliant l'inviolabilité de l'hôtel consulaire, sur lequel flottait le pavillon tricolore, venait, au mépris des immunités d'un agent étranger, arrêter le consul de France. M. Barrot lui ordonna trois fois de se retirer et le menaça d'avoir recours à la force pour le chasser de chez lui. Une partie de ces faits se trouvent relatés dans une lettre que nous placerons plus loin, et qui appartient à la relation qu'a donnée la France maritime, à laquelle nous empruntons une partie de cet exposé.

Dès le soir même, M. Barrot adressa aux autorités supérieures une plainte détaillée, par laquelle il réclamait, comme consul de France, la réparation qui lui était dûe; on lui répondit que justice serait faite, mais sa plainte resta deux mois dans les bureaux du juge d'instruction. De son côté, l'agent de la police avait fait son rapport, et sans que le consul de France eût reçu la plus simple information qu'une instruction se suivait contre lui-même, ce fonctionnaire diplomatique fut condamné à la prison, comme coupable d'avoir résisté à la justice à main armée. La première notification qui lui fut donnée de toute cette affaire, fut l'ordre de se rendre en prison. La conduite des autorités locales reste inqualifiable; elle est sans aucune excuse possible et nous ne saurions admettre pour en attenuer l'iniquité, l'ignorance absolue qui enveloppe à la fois la population et les hommes que leurs

fonctions magistrales placent à la tête de l'État de la NouvelleGrenade. Du moment que ce pays était parvenu à former une nation dont l'indépendance avait été reconnue par les grands États européens et les grands États de l'Amérique, le gouvernement devait appeler dans ses conseils des hommes capables de donner, nous ne dirons pas à l'éducation publique, le développement qu'elle aurait dû avoir, mais aux autorités locales les instructions et directions conformes aux principes les plus simples du droit des gens, au premier rang desquels se trouve, certes, le respect dû aux agents politiques envoyés par les États étrangers.

En recevant l'ordre de se rendre en prison, ou M. Barrot devait de bon gré obéir à cette mesure inouïe, et attendre, sous les verroux de la geole, la réparation qui lui était dûe et qui ne pouvait manquer de lui être donnée; ou protester contre la violation de son inviolabilité, de l'immunité personnelle inhérente aux fonctions dont il était revêtu, et qui devait amener une rupture entre la France et la république de la Nouvelle-Grenade; il adopta, ainsi qu'il convenait qu'il le fit, ce dernier parti, et il écrivit au gouverneur de Carthagène pour réclamer ses passeports, demande qui fut repoussée. M. le commandant Gilbert, de la goëlette de l'État la Topaze qui se trouvait alors dans le port, se rendit alors chez le gouverneur ; il lui déclara que le consul de France ne reconnaissait pas aux autorités de Carthagène le droit de l'arrêter, qu'il allait, en conséquence, s'embarquer à bord de la Topaze, et que la violence seule pourrait l'en empêcher. « Quelque faible que soit ma goëlette », ajouta M. le commandant Gilbert, «je me ferai plutôt couler, une fois le consul à mon « bord, que de ne pas défendre énergiquement son inviola<< bilité. >>

Le gouverneur n'ayant tenu aucun compte de cette démarche, M. Barrot sortit en grand uniforme de son domicile et se dirigea vers le quai de la douane où un canot de la Topaze l'attendait; M. Gilbert accompagnait le consul de France, ainsi que le consul anglais, le consul des États-Unis, MM. Michel, Paragnac, etc. La populace, excitée depuis deux jours par des écrits incendiaires où tous les étrangers étaient désignés comme autant d'ennemis, remplissait le quartier où était située la maison du consul de France, et fit entendre des cris de mort; celle qui se trouvait sur le quai avait insulté les marins du canot, à la tête desquels se trouvait M. Doulé, second commandant de la Topaze. A la vue de M. Barrot et des personnes qui l'accompagnaient, les vociférations redoublèrent; mais lorsqu'il se présenta à la porte de la ville, il la trouva fermée.

M. Barrot se vit donc dans l'obligation de retourner chez lui, entouré, pressé, insulté par la multitude dont l'exaspération et le nombre augmentaient à chaque pas.

Dans une ville de guerre, où se trouvaient de nombreux postes militaires, «< on ne vit pas », dit la France maritime, « un << seul officier se produire pour rétablir l'ordre; les autorités res<< tèrent renfermées chez elles, laissant à la populace son libre <«< arbitre; il y eut même des conseillers municipaux, des officiers << supérieurs qui, au milieu de la foule, faisaient tous leurs efforts << pour l'exalter d'avantage, et demandaient à grands cris la mort << du consul. » Dieu ne voulut pas qu'un crime de cette nature fut accompli il reste inconcevable, en effet, que cette populace furieuse ne se soit pas jetée sur les victimes qui étaient venues s'offrir à sa rage.

En se présentant devant son domicile, M. Barrot le trouva gardé par des soldats qui croisèrent la bayonnette contre lui et lui refusèrent l'entrée de sa maison.

M. Barrot comprit alors qu'une plus longue résistance deviendrait une folie qui comprometterait sans utilité la vie des amis qui l'avaient accompagné, « et, poussé, traîné par le peuple, ayant << la mort sous les yeux à chaque pas, la voyant dans tous les « regards, l'entendant dans toutes les bouches, il arriva jusqu'à << la prison qui se referma sur lui. »

Le lendemain de son emprisonnement, un juge d'instruction vint l'interroger.

M. Barrot déclara avec dignité et énergie « qu'il ne reconnais<< sait que son gouvernement pour juge et qu'il ne signerait aucun « écrit et ne répondrait à aucune question.

A la rage, à l'ivresse de la populace succéda la stupeur', quand on commença à envisager les conséquencus que devait nécessairement avoir la scène ignoble du 3 août; dans les classes supérieures de la population, on reconnaissait hautement que l'instruction suivie contre le consul de France était illégale, que son arrestation était un attentat que rendaient encore plus odieux les circonstances qui l'avaient accompagné. La cour du district ordonna de mettre M. Barrot en liberté, sous serment de ne pas quitter le pays sans l'autorisation des autorisés; mais M. Barrot déclara que son gouvernement seul avait le droit d'exiger des serments de lui et qu'il resterait en prison jusqu'à ce que le gouvernement du roi des Français vint le réclamer, ou jusqu'à ce qu'on lui en ouvrit librement les portes. L'effroi semblait s'emparer peu à peu de toute la population; la cour se hâta de ré

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