Page images
PDF
EPUB

et de nécessité de relâche dont il eût été si facile de vérifier la sincérité ou de constater la fausseté. Toutefois, M. le procureur général près la cour de cassation crut voir des coupables dans les hommes qui se trouvaient à la Ciotat contre leur volonté. Nous sommes, certes, bien éloigné de vouloir élever le doute le plus léger sur sa bonne foi et sur sa sincérité en cette circonstance; il nommait malfaiteurs les passagers du Carlo-Alberto, il assimilait en quelque sorte ce bâtiment à un pirate; il devait croire nécessairement, et chercher dès lors à démontrer que le navire sarde ne se trouvait point dans le cas de relàche forcée.

« Venons donc au fait», continua-t-il, «et examinons s'il y a réellement eu ce qu'on entend par naufrage ou relâche forcée, et si le navire, en raison des actes dont son équipage s'était rendu coupable, n'était point dans le cas de l'arrestation.

est

«Il n'y a pas eu relâche forcée dans le sens qui serait nécessaire pour appeler malheur cette relâche. La relâche forcée innocente quand un navire, suivant sa route, une route inoffensive et non suspecte, est retardé par un accident qui le force à aller implorer du secours là où il n'avait pas dessein d'aller. (Arrêt du 2 floréal an VII, -21 avril 1799.)

<< Dans ce cas, le navire gardant sa neutralité, ne s'étant permis aucun acte offensif, il n'y aurait pas de motif pour le retenir. Ainsi supposant que Me la duchesse de Berry, allant à Naples ou à Constantinople, évidemment de bonne foi et sans dessein d'aborder en France, ait été jetée sur nos côtes par une tempête; abordant ainsi, malgré elle, par force majeure, sans mauvais dessein, il n'est pas un Français qui ne se fût écrié sur nos rivages : «Elle est naufragée, elle n'est pas criminelle, il faut lui procurer «<les moyens de se rembarquer ! »

<< Mais ici ce n'est pas malgré lui que le Carlo-Alberto est venu sur les côtes de France; s'il avait voulu aller à sa destination supposée, à Barcelone, il avait assez de combustible à bord; ........... le Carlo-Alberto a voulu venir à Marseille, il a employé son temps à chercher les moyens d'effectuer ses lâches desseins, de se mettre en contact avec les conspirateurs de Marseille, qui étaient prévenus de son arrivée, qui l'attendaient, qui ont communiqué avec lui. Il était pourchassé par le Sphinx, bâtiment français, qui avait ordre de s'attacher à lui comme un corps à son ombre. Sa relâche a été forcée, mais forcée à l'occasion de son délit, par suite du temps qu'il avait employé à le commettre. Il est resté à la Ciotat par l'impossibilité de s'évader; il n'a pas pu s'éloigner de nos côtes, mais il n'y a pas été amené par la tempête; il y était venu

de son plein gré. Il était dans le cas du contrebandier, surpris par les douaniers et qui prétend être échoué par accident, quand il est prouvé que c'est par fraude; or, jamais cette excuse n'a été admise par nos tribunaux.

<< Ainsi la relâche forcée a été la suite du délit; et, par conséquent, elle ne peut invalider la capture des délinquants....... >> Dans cette argumentation fort serrée et qui semble n'omettre aucune circonstance, M. le procureur général admet que le CarloAlberto n'est entré à la Ciotat 4° que pour échapper au Sphinx, comme eût tenté de le faire un contrebandier, en se faisant échouer, dans la pensée de tromper les douaniers, ce qui eût été un bien misérable calcul de la part du capitaine G. Zara, et des passagers, qu'il a consultés; et 2o parcequ'il se trouvait, sans charbon (ce qui eût été une cause assez sérieuse de relâche forcée pour un bâtiment à vapeur), ayant employé sa provision de combustible pendant qu'il cherchait à rencontrer le bateau-pêcheur qui reçut, dans la nuit du 28 au 29 avril, Me la duchesse de Berry; mais M. le procureur général a omis de rappeler que la relâche était forcée, non seulement par suite du manque de charbon, mais par le fait de la rupture de la chaudière, ainsi que le constate le journal de bord, lequel porte la mention suivante :

« Mercredi 2, jeudi 3. La chaudière recommence à perdre l'eau; le matin du jeudi, la chaudière s'ouvre et perd l'eau au point d'éteindre les feux. Le machiniste déclare qu'il ne peut continuer le voyage avec cette avarie et le manque absolu de charbon. » (Ce fait a été constaté par un mécanicien français, chargé d'examiner l'état de la chaudière.)

Certes, ce sont là deux causes bien réelles de relâche forcée pour un bâtiment à vapeur. M. Dupin n'en a pas tenu compte, et il a établi que d'ailleurs les délinquants étaient en flagrant délit.

«En effet », dit-il, d'après l'art. 41 du Code d'instruction criminelle, «le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre, est un flagrant délit. Seront aussi réputés flagrant délit, le cas où le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où le prévenu est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers, faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit.»

<< Or, toutes les circonstances », continue M. Dupin, «se trouvaient réunies contre le Carlo-Alberto. Il y avait, vous a-t-on dit, trois jours que le débarquement était opéré 1), l'arrestation en ce

1) Lorsque le Carlo-Alberto a été capturé le 4 mai, à 7 heures du soir, il y avait plus de cinq jours que Me la duchesse de Berry avait quitté ce bâtiment.

cas n'était plus la défense naturelle, qui doit être contemporaine du fait; c'est de la poursuite, c'est de la vengeance à froid.

<«< Eh! quoi, selon vous, si les conspirateurs eussent incendié Marseille (et je n'en parle que parceque la défense a fait cette supposition) 1), on n'aurait donc pu arrêter le Carlo-Alberto qu'à la lueur des flammes, et le lendemain il eût été trop tard parceque le feu eût été éteint, et qu'il n'y aurait eu que des cendres! Cette logique est trop commode pour le crime: ce n'est point celle de la loi.

[ocr errors]
[ocr errors]

« Le gouvernement ne vous demande pas des services; il ne vous demande que des arrêts; des arrêts conformes à la loi, car c'est uniquement avec la loi qu'il veut sévir contre ses ennemis. Mais en présence des faits proclamés constants par la cour d'Aix, peut-on dire pour les passagers du Carlo-Alberto qu'en eux c'est le malheur que l'on poursuit, et non le crime! Ce n'est pas la

1) Cette parenthèse nous met dans la nécessité de reproduire le passage du plaidoyer de M. Hennequin auquel il est fait allusion. «Il serait absurde, a dit le mémoire produit à l'appui du pourvoi du procureur général près de la cour royale d'Aix, qu'un État n'eût pas le droit d'arrêter le navire qui attente à sa sûreté.

« Jusqu'ici parfaite harmonie entre les doctrines du pourvoi et celles de l'arrêt. C'est quand il s'agit de caractériser la nature de l'attaque qui permet de déroger au double principe du droit des gens qui protège le Carlo-Alberto (la nationalité du navire et le privilège résultant de la relâche forcée en ce qui concerne les passagers), que commence le dissentiment.

[ocr errors]

L'attaque doit-elle être présente, actuelle au moment de la capture d'un navire neutre ou battu par la tempête? Ne doit-il pas y avoir simultanéité entre l'agression et la capture? Voilà le point de dissidence.

« Le ministère public (c'est-à-dire le procureur général près de la cour [royale d'Aix), n'a point, par l'hypothèse suivante, avancé la solution du problème :

«Que la duchesse de Berry, dit le mémoire, entre demain dans le port de Marseille, à bord d'un bâtiment portant pavillon sarde, qu'elle y répande des proclamations, de l'argent, des appels à la révolte et à la guerre civile; comme d'après l'arrêt (de la cour d'Aix), elle sera censée, à bord de son navire, sur le territoire sarde, on ne pourra pas l'arrêter; ce serait violer le droit des gens et, qui plus est, la chose jugée. Or, quel est le gouvernement assez fort pour résister à de pareilles épreuves que l'impunité et l'absence de tout danger multiplieraient à l'infini ?» «Qui ne voit », continue M. Hennequin, « que, dans une pareille situation, l'attaque serait actuelle, présente, et qu'il serait permis d'aller éteindre la conspiration dans son foyer, comme il le serait évidemment d'entrer sur le territoire voisin pour démonter une batterie qui porterait la mort sur un pays qui ne se croyait point en guerre,

«L'incendie de Marseille, le criminel qui se blesse enfuyant, l'assassin qui se jette dans une barque pour échapper à la justice; ces vives images du combat, ou de son résultat immédiat, rentrent dans l'hypothèse de la simultanéité, dans l'agression et dans la capture. Or, aucune de ces hypothèses ne se rapproche de la thèse donnée, et la doctrine de la simultanéité ne suffit pas aux besoins de pourvoi. «Des conspirateurs se sont introduits sur le territoire de France par Bayonne ou par Perpignan; sera-t-il donc permis d'aller, quelques jours après, saisir sur le territoire espagnol des conspirateurs prétendus ?

« L'hypothèse est la même. Aussi la chambre des mises en accusation a-t-elle très-bien compris qu'elle pouvait tout à la fois déclarer que le Carlo-Alberto avait débarqué, le 29 avril, Me la duchesse de Berry, et que le 4 mai, jour de la saisie, ce navire ne se trouvait point en état d'hostilité. raison simple et droite. >>

Il n'y a là que du bon sens, de la

tempête qui les a jetés sur la côte de France; ce sont eux, au contraire, qui, de dessein prémédités, ont venus apporter en France un aliment de guerre civile. Les naufragés de Calais seraient les premiers à repousser l'injurieuse analogie qu'on veut établir entre eux et des conspirateurs, indignes du nom de Français. Concluons donc de doute cette discussion que l'arrestation des passagers du Carlo-Alberto n'a point eu lieu au mépris du droit des gens; et qu'en jugeant le contraire, en déclarant lenr arrestation comme non-avenue, en ordonnant leur mise en liberté, en prescrivant de les reconduire sur le territoire sarde, la cour d'Aix a violé tous les principes dont les accusés prétendent qu'elle leur a fait une juste application. >>

Après les plaidoiries des avocats et les conclusions du procureur général entendues, la cour de cassation entra en délibération, et rendit l'arrêt suivant :

«La cour de cassation statuant sur le fond:

«Attendu que le privilège, établi en faveur des navires amis ou neutres, cesse dès que ces navires, au mépris de l'alliance ou de la neutralité du pavillon, commettent des actes d'hostilité, que dans ce cas ils deviennent ennemis et doivent subir toutes les conséquences de l'état d'agression dans lequel ils se sont placés.

«Attendu qu'il résulte des faits ...... que le Carlo-Alberto avait été nolisé pour servir d'instrument au complot qu'avaient formé passagers; qu'on ne peut donc invoquer en faveur de ce bâtiment et de ses passagers le privilège du droit des gens, qui n'est établi qu'en faveur des alliés et des neutres 1), d'où il suit qu'en leur attribuant ce privilège, la décision attaquée de la cour d'Aix a faussement appliqué et par conséquent violé les principes du droit des gens.

«Attendu que les principes qui avaient été invoqués de la reláche forcée qui avait conduit le Carlo-Alberto à la Ciotat, ne sauraient être appliqués quand il s'agit d'un navire qui avait été nolisé pour servir d'instrument à un complot et qui venait, en effet, de servir à l'exécution de ce crime; etc. etc. »>

Par ces motifs la cour de cassation, par son arrêt du 7 septembre 1832, et après cinq heures de délibération, a cassé et annulé la disposition par laquelle la chambre des mises en accusation de la cour royale d'Aix avait ordonné que les passagers du

1) Le droit des gens n'établit-il donc pas, entre les belligérants, des devoirs et des droits ?

CUSSY. II.

7

Carlo-Alberto, saisis dans le port de la Ciotat, seraient rendus à la liberté.

L'affaire fut renvoyée devant la cour royale du département du Rhône, et transportée devant la cour d'assises séant à Montbrison (dép. de la Loire).

Après dix-huit audiences employées aux interrogatoires des prévenus, au réquisitoire du ministère public, aux plaidoyers des divers défenseurs, etc., M. Verne de Bachelard, président des assises, posa au jury, dans l'audience du 15 mars 1833, la question de culpabilité des prisonniers du Carlo-Alberto. Le jury délibéra pendant plus de deux heures et demi et prononça un verdict négatif; le président formula un jugement d'acquittement. Par son arrêt du 16, la cour ordonna la restitution des objets saisis sur le bâtiment.

A l'audience du 26 juin suivant, le S' Ferrari, subrécarguedirecteur du Carlo-Alberto, se présenta, en qualité de fondé de pouvoir de St Ange George Barchi, négociant à Gènes, propriétaire du bâtiment, pour réclamer la restitution de ce navire à vapeur, ancré encore, à cette époque, dans le port de Marseille, ainsi que celle d'une somme de 26,000 francs, saisie le 4 mai 1832, et déposée à la caisse des dépôts et consignations. Cette restitution étant la conséquence nécessaire et naturelle de l'acquittement de tous les accusés du Carlo-Alberto, et le ST Barchi ayant justifié de son droit de propriété, le procureur du roi n'a point contesté la demande présentée par le S' Ferrari; la cour l'a accueillie et a donné, séance tenante, main-levée du navire sarde et de la somme réclamée.

§ 12.

Affaire de la corvette américaine le Saint-Lewis, dans le port de Smyrne, à l'occasion de l'arrestation du réfugié hongrois Martin Koszta par ordre du consul général d'Autriche, M. de Weckbecker.

Les événements politiques de la Hongrie, en 1848 et 1849, la pacification de la rebellion, le sort des principaux meneurs, obligés de quitter leur pays et de se retirer, d'abord dans les États de l'empereur de Turquie, puis en Amérique, etc., n'ont point à figurer dans cet ouvrage. Si donc nous avons à parler de l'un des Hongrois qui ont dû se réfugier sur le territoire ottoman, le S M. Koszta, l'un des agents de Kossuth qui étaient devenu le chef du mouvement révolutionnaire de la Hongrie, c'est unique

« PreviousContinue »