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à des lignes écrites, c'est de s'y expliquer en homme, sans ambages méticuleuses.

Cette philosophie du droit sera divisée en cinq parties.

La première traitera de l'homme, la seconde de la société, la troisième de l'histoire, la quatrième des philosophes; la cinquième définira la science de la législation proprement dite.

Quand on s'adresse à l'homme, un fait complexe frappe d'abord, c'est son individualité, dont la face la plus saillante est la liberté. Des passions qui nous sollicitent de sortir de nousmêmes, qui nous envoient à la guerre, à la chasse, au théâtre, nous attirent aux plaisirs des sens, nous ravissent à la contemplation de Dieu, aux saintes jouissances de la religion, aux méditations plus sévères de la science, voilà qui tire l'homme hors de lui-même ; et cependant il éprouve en même temps l'invincible besoin de revenir à lui-même, de se retrouver lui, toujours lui, mécontent de sa personnalité, incapable de la dépouiller, et, pour se satisfaire dans cette contradiction qui le constitue, s'attaquant à la fois à la science, aux plaisirs, à ses semblables et à Dieu.

L'homme est un animal politique, scientifique et religieux. Il vit par ces trois instincts. Inévi

tablement social, toujours en contact avec ceux · qui lui ressemblent, il constitue et applique le droit dont l'idée est toujours une et toujours progressive. Possédé du besoin et doué de la puissance de connaître et de savoir, il observe ce qui est hors de lui et lui-même, il y applique les lois de sa pensée, cherche l'unité et produit la science. Enfin naturellement religieux, nonseulement il conçoit Dieu, mais il l'aime et veut le retrouver à la fois dans son cœur, dans les cieux et dans la société : voilà l'homme..

On a donné il y a long-temps aux poètes épiques le conseil de se jeter brusquement dans leur sujet, in medias res, par un récit qui pût s'emparer du lecteur ou de l'auditoire dans le temps où les vers se chantaient, et de les plonger sur-le-champ au plus vif de l'action. L'avis est aussi bon à suivre pour l'historien des sociétés. Il ne s'engagera plus dans ces stériles discussions sur l'état sauvage, dont le dernier siècle n'a rien su tirer. D'ailleurs l'histoire civile ne peut s'occuper que de ce qui a véritablement paru, de ce qui a duré dans la mémoire des hommes. Il lui faut des monumens, des titres, des inscriptions, testamens irrécusables des hommes, des peuples et des choses historiques. Elle ne visitera pas, ou rarement du moins, la hutte des sauvages, les hordes chétives et brutales que la ci

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⚫ vilisation n'a pas encore touchées de son sceptre d'or, et qui ne nous offrent guère que de tristes anomalies, des exceptions hideuses, et des expériences tronquées de la nature humaine.

Dans le champ même de la société, j'écarterai d'abord la famille pour aller droit à l'Etat, qui est la plus grande image de la sociabilité humaine. Or l'État repose sur trois idées fondamentales: la loi, le pouvoir et la liberté.

Qu'est-ce que la loi? C'est l'expression du bien moral. Si le monde physique a des lois, le monde moral a les siennes, et l'idée de la loi est l'idée la plus haute que l'homme puisse concevoir dans l'ordre rationnel. Cette harmonie progressive qui vivifie la nature, l'homme la cherche dans la société, de siècle en siècle, il la constitue, la change et toujours il l'appelle loi.

Si la loi est la règle, elle appelle à elle les moyens et la force de l'exécuter, c'est-à-dire le pouvoir, dont le bras doit être long et vigoureux si la société ne veut pas périr.

Vient la liberté. Qu'est-ce donc que la liberté politique? qu'on veuille bien peser ceci : Si lá loi est l'expression du bien moral, si le pouvoir est la force nécessaire pour pratiquer ce bien, voilà ce semble deux idées tout-à-fait positives, qui convergent à un but positif. Quel sera donc le rôle de la liberté? Dans son essence, elle est aussi

positive que quoi que ce soit, elle est, nous le verrons, un des élémens de la nature humaine. Mais dans le jeu et dans le mécanisme des différentes constitutions politiques, la liberté ne paraît-elle pas souvent sous la forme de protestation pour résister, ou de novatrice pour enfanter le progrès? En effet, en face de la loi qui n'est pas toujours le bien, et du pouvoir qui se pervertit dans sa marche, la liberté résiste, elle devient une opposition. La loi, lors même qu'elle se développe avec quelque sagesse, appelle toujours des réformes; la liberté prêche alors les innovations, et demande le progrès. A ces deux titres, soit comme opposant, soit comme novatrice, la liberté est indestructible et nécessaire dans le mécanisme des sociétés.

Dans tout pays où la loi, le pouvoir et la liberté seront suffisamment constitués, il y aura prospérité sociale: voilà ce qui importe. Les éternelles dissertations sur la monarchie, l'aristocratie, la démocratie et la république, peuvent avoir leur importance, mais elles n'attaquent pas le fond même des choses, et c'est avoir peu de philosophie dans l'esprit, que de s'attacher avec une impatience passionnée et inexorable à la poursuite d'une forme politique. Le temps seul dispose, pour les institutions comme pour les êtres animés, de la caducité et de la jeunesse ;

il les ensevelit ou les produit au jour avec un irrésistible à-propos.

Avant de passer à la famille, nous trouverons l'Etat soutenant un double rapport avec les autres sociétés, la paix ou la guerre; question fondamentale du droit des gens. Les peuples se visitent ou se touchent par le commerce ou par les armes; mais de quelque manière que cette conférence se passe, elle est salutaire à l'humanité.

Je n'ai pas voulu reproduire cette éternelle filiation de la famille et de l'Etat tant répétée depuis Bodin jusqu'à M. de Bonald. Plus la civilisation se développe, plus l'Etat perd toute analogie avec la famille dont il est sorti sans doute, mais dont il se sépare chaque jour davantage.

Le mariage est le fondement de la famille; nous chercherons comment et en quoi il est indissoluble, et nous agiterons le problème du divorce. Viendra la propriété qui change plus facilement de maître que de nature, variable et perfectible dans ses formes, mais une et indestructible dans son principe, qui est l'individualité humaine.

De la propriété nous passerons à la succession, condition nécessaire de la famille, et nous en chercherons les lois philosophiques, tant

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