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virginité n'était pas un capital: car, un capital peut, ordinairement, être aliéné et remplacé par un capital de même valeur; et si, de l'aveu de M. Dumas, aucun capital ne peut remplacer la virginité, c'est précisément parce qu'elle est une vertu inaliénable.

Cette vertu procure à la jeune fille chaste, de la considération, de l'honneur, des avantages incontestables, comme la probité en procure à l'honnête homme; mais la virginité a une valeur toute morale, et non point une valeur vénale, appréciable en argent. Aussi, lorsque la justice accorde à une fille séduite des dommages-intérêts, ce n'est pas, certes, pour effectuer le remboursement d'un capital dérobé » ; ce n'est pas pour payer le prix de la virginité, non; c'est pour infliger au coupable une réparation civile et, en même temps, pour indemniser la victime du préjudice qui lui a été causé par les conséquences matérielles de la séduction et par l'atteinte portée à son honneur.

M. Alexandre Dumas, partant de cet aphorisme: « La virginité est un capital », prétend que le séducteur « dérobe » ce capital et doit être assimilé à un voleur. i

Il nous semble, au point de vue moral et juridique, que la séduction ne peut être assimilée au vol. D'abord, la virginité, nous l'avons dit, ne

peut être comparée à un objet matériel, à une « pièce de 20 francs » ou à un « pain de 4 livres » ; puis, le voleur qui dérobe un objet, le soustrait frauduleusement à l'insu du propriétaire. Le filou qui vole un pain, l'enlève et l'emporte sans le consentement du boulanger. Or, le séducteur ne dérobe pas un objet matériel, et il n'agit point à l'insu de la victime; d'ordinaire, il surprend le consentement de la jeune fille.

La séduction, entourée de manœuvres frauduleuses, qui, selon nous, devrait être considérée comme un délit, ne peut donc être comparée au vol; elle peut être bien plutôt assimilée — juridiquement à l'extorsion de signature, à l'escroquerie et, plus spécialement, à l'abus de confiance, à l'excitation des mineurs à la débauche.

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Le séducteur, à notre avis, peut être comparé au fripon qui commet une extorsion de signature (1), parce que souvent il se sert de la force, de la violence morale, de la menace, de la contrainte pour arracher un consentement et faire signer, en quelque sorte, à une jeune fille l'acte qui doit la déshonorer.

Le séducteur ressemble à l'individu qui commet

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(1) ART. 400 du C. pénal. Quiconque aura extorqué par force, violence ou contrainte, la signature ou la remise d'un écrit, d'un acte, d'un titre, d'une pièce quelconque contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge, sera puni de la peine des travaux forcés à temps, etc. »

une escroquerie (1), pourquoi? parce que lui aussi emploie des « manœuvres frauduleuses » pour tromper la femme qu'il convoite; parce que lui » celle

aussi prend souvent une « fausse qualité de fiancé, pour escroquer la virginité d'une jeune fille, et qu'en se servant, avec fourberie, de la promesse de mariage, comme moyen de séduction, il fait naître « l'espérance d'un événement chimérique, » pour arriver à son but criminel.

Le séducteur commet surtout un abus de confiance (2) parce qu'il abuse, lui aussi, des « faiblesses ou des passions » des mineures, parce qu'il abuse de la confiance qu'il a su inspirer pour faire commettre un acte qui compromet gravement la personne séduite!

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(1) ART. 405. C. pén. Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manæuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer des fonds, etc.... sera puni d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende de 50 francs au moins et de 3,000 francs au plus. (2) ART. 406. Quiconque aura abusé des besoins, des faiblesses ou des passions d'un mineur, pour lui faire souscrire, à son préjudice, des obligations, quittances, décharges pour prêt d'argent ou de choses mobilières, ou d'effets de commerce, etc.... sera puni d'un emprisonnement de deux mois au moins, de deux ans au plus, et d'uue amende, etc. »

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Eh bien! nous le demandons maintenant, estce aller trop loin que de considérer la séduction .des jeunes filles comme un délit ?

Comment! si la loi elle-même punit de l'emprisonnement l'individu qui abuse des faiblesses ou des passions des mineurs pour leur faire souscrire un engagement préjudiciable, la loi ne doitelle pas à bien plus forte raison - punir le séducteur qui abuse des faiblesses ou des passions de la jeunesse pour faire accomplir un acte autrement grave qu'un effet de commerce!

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Un mineur, abusé, souscrit un billet de 50 ou 200 francs au profit d'un fripon; le mineur consent, iemarquez-le, mais on le trompe, on surprend son consentement. Il y a là un abus de confiance, aux termes de l'article 406; il y a un délit, cependant le préjudice est bien minime pour le mineur, bien minime pour sa famille, bien minime pour la société, et, quel que soit le dommage pécuniaire, la victime d'un tel délit n'est jamais déshonorée !

Mais s'il s'agit d'une jeune fille mineure, abusée, trompée, séduite par un libertin, quelle différence! Est-ce qu'il n'y a pas là un abus de confiance beaucoup plus désastreux? Est-ce qu'il n'y a pas un acte beaucoup plus répréhensible et un délit beaucoup plus grave, dans ses conséquences?

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Les conséquences de la séduction? mais elles sont terribles! Après un tel attentat, lorsqu'il est connu, lorsqu'il est publié par le séducteur lui-même - on voit souvent des séducteurs fanfarons, la jeune fille est flétrie et méprisée ; elle a perdu cette auréole de pureté qui rayonnait sur son front virginal; elle a perdu son honneur. Perfidement délaissée par celui qui lui avait promis le mariage, elle ne peut guère songer à trouver un jeune homme qui consente à l'épouser : elle semble condamnée alors au célibat forcé. Souvent la malheureuse fille est chassée de la maison où elle était placée. Peut-être trouvera-t-elle un asile au foyer paternel? Mais, après cette infortune, son père est dans un cruel abattement, et sa mère, qui l'avait entourée de tant de soins, est plongée dans une douleur poignante!

Si elle est orpheline, la victime de la séduction reste souvent seule, avec toutes les douleurs et toutes les charges de la maternité. Alors, que vat-elle devenir? Tantôt, dans un accès de désespoir, elle songe à en finir avec la vie, et elle allume, d'une main fiévreuse, le mortel réchaud ! -Tantôt, elle roule dans les abîmes de la misère et va mendier son pain à la porte de la Prostitution! Tantôt, se voyant sans ressources, elle se livre au vol, et va échouer dans le préau d'une prison! Tantôt, elle forme le criminel projet de donner la mort au petit être qu'elle porte dans son sein et

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