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pays de droit écrit, et l'on sera convaincu que les Rédacteurs se sont conformés aux habitudes de la majorité des François» (1).

2. MOTIF. L'intérêt de ne pas porter atteinte à la puissance paternelle. «La dureté des pères envers leurs enfans, continuoit-on, est un cas rare, et en quelque sorte une exception à l'ordre naturel des choses (2). « Les pères barbares ne sont pas la masse des pères» (3).

Ceci posé, il est facile de calculer les suites de l'une et l'autre jurisprudence, et principalement les effets du changement qu'on opéreroit, en introduisant dans les pays coutumiers celle du droit écrit.

En général «< il faut bien se garder d'armer les enfans contre leur père» (4). Or, l'action qu'on propose de leur donner opéreroit cet effet, et l'opéreroit d'une manière vraiment effrayante.

Pour s'en convaincre, il suffit d'en bien saisir les suites:

<< Elle gêneroit le père, elle l'embarrasseroit, elle le forceroit de rompreses spéculations »> (5):

Elle lui ôteroit l'autorité salutaire que la loi entend lui assurer sur le mariage de ses enfans:

(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 5 vendémiaire an 10, t. I."", page 278. (2) Ibid. (3) M. Portalis, ibid., page 281. (4) M. Tronchet, ibid., page 278. — (5) Ibid.

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fans (1). ¶ Beaucoup d'enfans, au contraire, abuseroient du droit d'exiger une dot; car on doit craindre l'abus d'un droit nouveau, principalement quand on l'établit chez une nation dont les habitudes sont formées ¶ (2). « Si l'usage du droit écrit existoit partout, on n'auroit pas à en redouter l'abus; mais il est dangereux de l'introduire, lorsque la puissance paternelle et la sévérité des moeurs sont affoiblies. » (3).

Telles étoient les raisons sur lesquelles on se fondoit pour soutenir que le système des pays

coutumiers devoit devenir le droit commun de la France.

Au surplus on proposoit de le modifier par deux amendemens:

Le premier, destiné « à corriger tout-à-la-fois et les abus rares du refus du père » (4), et ¶ l'inconvenance d'autoriser une fille à actionner directement l'auteur de ses jours (5), tendoit චfaire décider par la famille s'il y avoit lieu à

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l'action, et à la faire diriger par elle (6);

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L'autre, qui avoit pour objet de ménager

l'autorité paternelle, étoit celui que la Cour

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(1) M. Réal, Procès-verbal du 5 vendémiaire an 10, tome I.er, page 277. (2) M. Portalis, ibid., page 281. (3) Ibid. (4) M. Tronchet, ibid., page 278. (5) Ibid., page 280. → (6) Ibid., pages 278 et 280; - Le Premier Consul,

ibid.

> P. 279.

d'appel de Grenoble avoit proposé dans un autre système. Il consistoit à « n'ouvrir l'action que lorsque la fille auroit atteint l'âge de vingtcinq ans les considérations qui portent le père différer jusque - là, ne doivent, disoit - on être ni dévoilées ni jugées» (1).

NUMÉRO III.

Objections et Motifs pour préférer le système du Droit écrit.

ON objecta contre le premier des deux motifs allégués, que « la plus grande partie de la France vit sous l'empire du droit romain. Il régissoit déjà la moitié de l'ancien territoire; il régit également presque tous les départemens réunis, la Savoie, le comté de Nice, la Belgique, sauf quelques statuts particuliers, et les quatre départemens nouveaux » (2).

On attaqua le second motif dans sa base

même :

On dit que « le respect pour la qualité de père doit céder cependant à la vérité des choses. On ne peut mettre toujours l'équité du côté des pères et l'injustice du côté des enfans: il existe des pères sordides et injustes. Rien ne seroit donc plus bizarre que de donner au père la

(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 4 vendémiaire an 10, t. I.er, - (2) M. Maleville, ibid., page 278.

page 280.

Tome 111.

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jouissance des biens de son fils mineur, et de ne pas donner aux filles, à un certain âge, le droit de demander une dot. Au surplus, la disposition peut être conçue de manière à ne pas devenir nuisible» (1). Si, au contraire, elle étoit rejetée, « que deviendroient les filles, lorsque, par caprice ou par un sordide intérêt, un père s'opposeroit constamment à leur mariage? Elles ne pourroient s'en venger qu'au préjudice des moeurs et à la honte des familles. On sait bien que ces cas doivent être rares; mais il suffit qu'ils existent pour que la loi doive y pourvoir. A Athènes, la loi dispensoit les enfans de fournir des alimens à leurs pères, lorsque ceux< ci ne leur avoient pas donné le moyen de fournir à leurs propres besoins; mais le mariage est aussi un besoin des filles » (2). « C'est un principe constant, que le père doit des alimens à tous ses enfans. Cette obligation va jusqu'à marier sa fille, car elle ne peut former d'établissement que par le mariage, tandis que les garçons s'établissent de beaucoup d'autres manières. C'est, sans doute, cette différence qui a porté la loi Julia à accorder auf filles une action qu'elle refuse aux garçons » (3). « La novelle 1 15

(1) Le Consul Cambacérés, Procès-verbal du 5 vendémiaire an 10, tome Ter, page 277. —(2) M. Maleville, ibid. · (3) Le Premier Consul, ibid., page 279.

autorise les père et mère à les déshériter si elles ont refusé de se marier, et qu'elles vivent dans le libertinage; mais cette novelle ajoute si verò usque ad viginti quinque annorum ætatem pervenerit filia, et parentes distulerint eam ma, rito copulare, et forsitan ex hoc contigerit in suum corpus eam peccare, aut sine consensu parentum, marito se libero tamen conjungere, hoc ad ingratitudinem filice noluimus imputari; quia non sua culpá, sed parentum, id commisisse cognoscitur » (1).

Et qu'on ne dise pas, ajoutoit-on, que l'objet de la loi Julia a été de corriger la dureté de cette puissance que les lois romaines accordoient au père; « que là le père étoit maître absolu de la personne et des biens de ses enfans ; et que tout étant contre eux, il falloit bien que ce droit rigoureux fùt modifié par quelque tempérament » (2).

¶ La loi Julia n'avoit d'autre objet que de favoriser les mariages: elle exprime elle-même ce motif; et Montesquieu, qui en a parlé fort au long, ne lui en donne pas d'autre : on peut s'en rapporter à sa perspicacité (5). « Les mab riages sont favorables, parce qu'ils préviennent

(1) M. Maleville, Procès-verbal du 5 vendémiaire an 10, t. I.er, p. 279 et 280. — (2) M. Boulay, ibid., p. 277. — (3) M. Maleville, ibid., page 279; ibid., page 281.

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