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Lyon, d'Orléanset de Paris demandèrent qu'on les déterminât (1).

La Section du Conseil d'état, en proposant la disposition des Rédacteurs, s'en rapportoit aux Tribunaux sur le discernement de la capacité du sourd-muet; sa rédaction portoit: Sont incapables de contracter mariage.. les sourds-muets de naissance, à moins qu'il ne soit constaté qu'ils sont capables de manifester leur volonté (2).

Au Conseil d'état, on attaqua le fond de la question; on demanda « pourquoi le mariage seroit interdit au sourd-muet » (3).

Alors la Commission et la Section expliquèrent leur système.

« Elles avoient suivi la déclaration de 1736, qui parle des sourds-muets de naissance» (4). « On ne pourra se dispenser, dirent-elles, de régler la manière dont ils devront exprimer leur consentement » (5) : « la loi doit s'en expliquer; car les sourds-muets ne pouvant être admis indistinctement à contracter, il est impossible de leur donner, pour le plus impor

(1) Voyez Observations des Cours d'appel d'Amiens, page 5; de Caen, page 5; de Lyon, page 21; — d'Orléans, page 7; (2) I.re Rédaction, chap. I.er, art. 3, Procès-verbal du 26 fruct. an 9, t. I.er, p. 234. (3) Le Premier Consul, Ibid. p. 234. (4) M. Réal, ibid, p. 235.-(5) Ibid.

- de Paris, page 31.

tant des contrats, la capacité indéfinie qu'on ne peut leur laisser à l'égard des autres ; et même, si on suivoit rigoureusement les principes, il faudrait, pour les y admettre, exiger la preuve qu'ils connoissent les suites que doit avoir, par rapport à la femme, aux enfans, à la société, l'engagement qu'ils contractent, et qu'ils se soumettent à toutes ces obligations. Les sourds-muets éduqués ont sans doute ce degré d'intelligence; mais tous doivent manifester qu'ils sont instruits de la nature de l'engagement qu'ils contractent; car l'intérêt détermine plus souvent que le goût à épouser un individu affecté d'une infirmité aussi gênante: on doit donc être en garde contre cet intérêt et contre les séductions qu'il essaie pour extorquer un consentement dont les conséquences ne sont pas aperçues par celui qui le donne » (1).

Or, c'est là tout ce que veut l'article proposé: il n'interdit pas absolument le mariage au sourd-muet; il exige seulement que, pour se marier, le sourd-muet soit capable de donner un consentement ↓ (2).

Il fut répondu qu'à la vérité « le mariage étant un contrat, et tout contrat se formant par le consentement, on conçoit que celui qui

(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 26 fruct, an 9, tom. I.er, pages 235 ei 236. — (2) M. Réal, ibid., page 254.

ne peut exprimer son consentement, ne peut pas se marier; mais le sourd-ruet de naissance,

en voyant son père et sa mère, a connu la société du mariage; il est toujours capable de manifester la volonté de vivre comme eux ; et alors, pourquoi aggraver son malheur, en ajoutant des privations à celles que lui a imposées la nature » (1)? « Pourquoi la privation de l'ouïe et de la parole seroit-elle un empêchement au mariage plutôt que d'autres infirmités qui peuvent également y avoir rapport (2)? Il y auroit plus de motifs pour déclarer incapables de mariage ceux qui sont atteints de maladies héréditaires ou de vices de conformation, à l'instar de quelques Législateurs anciens, qui défendoient le mariage aux infirmes, aux hommes contrefaits, de peur qu'il n'en provînt des enfans foibles, malades, à charge à eux-mêmes et à la société » (5).

« La jurisprudence, ajoutoit-on, n'a jamais eu de difficultés à lever que par rapport à la comparution de sourds-muets en justice » (4). Et encore depuis la découverte de l'art de les faire expliquer, on suppose tellement la

pos

(1) Le Premier Consul, Procès-verbal du 26 fructidor an 9, tome I.er, p. 234. — (2) Ibid.

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(3) M. Fourcroy, ibid., p. 254

(4) M. Portalis, ibid, page 235.

sibilité de les comprendre, qu'on ne leur nomme plus de curateur lorsqu'ils sont traduits en justice; on ne leur donne qu'un interprète pour expliquer aux juges les signes qui suppléent en eux à l'organe de la parole » (1). « Cet usage peut être blamable, parce qu'il importe de maintenir les formes instituées pour la sûreté des accusés; mais il seroit injuste de frapper les sourds-muets d'interdiction dans les facultés que leur a laissées la nature » (2).

• Leur mariage, au reste, n'a jamais causé d'embarras. Il sont entourés d'une famille d'amis, qui attestent le consentement qu'ils expriment par leurs signes » (3). «Tous les sourdsmuets peuvent manifester leur volonté » (4).

Si l'on objecte qu'ils sont exposés aux surprises, il faut penser aussi « qu'il ne suffit pas d'être en garde contre l'intérêt que des étrangers peuvent avoir de séduire le sourd-muet ; qu'il convient également de ne pas perdre de vue l'intérêt que peut avoir sa famille à l'empêcher de se marier » (5). « La loi n'a pas le pouvoir de changer la nature ni la destinée

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(1) M. Regnaud ( de Saint-Jean-d'Angely), Procès-verbal du 26 fructidor an 9, tome I.er, page 235. (2) M. Portalis, idid. (5) M. Portalis, ibid. (4) M. Defermon, ibid., p. 234. -(5) Le Premier Consul, ibid, page 236,

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des hommes. Celle du sourd-muet l'expose inévitablement, par rapport au mariage, à divers dangers dont la loi ne l'affranchira jamais. Elle doit donc se borner à le déclarer incapable de se marier, lorsqu'il ne peut manifester son consentement; si elle se rend plus difficile, elle met le sourd-muet dans un état d'interdiction plus pénible même qu'un mariage hasardé» (1). Un sourd-muet qui seroit privé de sa famille, se trouveroit trop heureux d'avoir le secours d'une compagne : elle l'abandonnera toujours moins que des mercenaires » ( 2).

Ainsi le système de la Commission et de la Section est vicieux, en ce que, ¶ par une disposition générale, il exclut du mariage le sourdmuet et ne l'admet que par voie d'exception (3). Il faudroit, au contraire, renverser cette rédaction pour poser la règle générale que les sourds-muets sont capables de se marier, et convertir ensuite en exception les incapacités particulières où ils peuvent se trouverb (4).

Mais cette discussion se termina par la suppression de l'article *.

(1) M. Portalis, Procès-verbal du 26 fructidor an 9, tome I.er, ibid. - (2) M. Ræderer,

page 236.

page 234.

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(3) M. Defermon, ibid,

(4) M. Portalis, ibid., page 235.

* Voyez page 40.

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