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à

Pour établir ce systême, on s'attacha d'abord

la

prouver que personne civile n'étoit pas moins l'objet du consentement que la personne physique.

« Si l'on raisonnoit, a-t-on dit, d'un individu dans l'état de nature, dans l'ordre purement physique, on pourroit prétendre qu'il n'y a point erreur de personne quand on épouse la femme dont les charmes et les qualités physiques et morales ont déterminé le mariage, en un mot identiquement celle que l'on a voulu épouser. Mais il en est autrement dans l'ordre social; car cette femme, comme tous les individus, a des qualités essentielles qui constituent son existence, qui la personnalisent, pour ainsi dire; et si, croyant épouser l'individu qui a ces qualités, on en a épousé un qui ne les avoit pas, il y a véritablement erreur de personne » (1). « Ce seroit même vainement qu'on voudroit réduire l'application de la règle qui exige que le consentement ne soit donné qu'avec discernement, à l'erreur sur la personne physique; car ce seroit absolument l'anéantir, puisqu'il est bien évident que lorsqu'on se présente pour se marier, on agrée la personne

(1) M. Thibaudeau, Procès-verbal du 4 vendémiaire an 10, tome I., page 265.

physique avec laquelle on se présente: une règle si juste et si sage a donc nécessairement eu un autre objet ; et cet objet, c'est la personne sociale » (1).

Veut-on passer du droit au fait; on aura encore le même résultat.

le con

<< Il est impossible de supposer que sentement soit toujours déterminé par la vue de l'objet auquel on s'unit: quelquefois des individus qui ne se sont jamais vus, conviennent cependant de s'épouser ; ils en conviennent, parce que chacun d'eux connoît la famille, les mœurs, l'éducation de l'autre, et que ces diverses notions lui font espérer son bonheur dans l'union qu'il contracte » (2). La figure n'est même qu'un accessoire pour l'homme sage; loin de se laisser prendre par le physique, il considère principalement le moral » (3). La considération de la famille, sur-tout, est toujours d'un grand poids, car « le mariage forme des liens, non-seulement entre les époux, mais aussi entre les familles » (4).

Ce seroit donc blesser les principes des conventions, que de maintenir le mariage lors

(1) M. Maleville, Procès-verbal du 24 frimaire an 10. (2) M. Tronchet, ibid. — (3) Ibid. (4) Le Ministre de la Jus

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qu'il y a erreur sur les qualités civiles. « La bonne foi est la grande règle des contrats: dès-lors la loi ne peut décider implicitement que si les citoyens qui se marient sont trompés, ils le seront sans retour » (1).

On s'efforçoit ensuite de renverser le système opposé.

Il seroit injuste dans ses conséquences, di

soit-on.

« Ce seroit réduire l'époux à une condition trop dure, que de le forcer à garder une femme qu'il auroit épousée comme la fille de son ami, lorsque celle à laquelle il vouloit s'unir seroit arrivée et auroit détruit son erreur » (2).

Voici un autre exemple où l'injustice devient encore plus frappante : « Le mari qui n'a contracté le mariage que dans des vues d'intérêt, peut n'être pas favorable s'il vient se prévaloir de son erreur, lorsqu'il voit ses espérances trompées : mais que répondroit-on à celui qui, croyant épouser une fille pauvre, a par erreur épousé une fille riche, et veut néanmoins retourner à la personne qu'il avoit choisie » (3) ?

(1) Le Consul Cambacérés, Procès-verbal du 24 frimaire an 10. — (2) Le Ministre de la Justice, ibid. - (3) Le Consul Cambacérés, ibid.

Cependant, ce principe que le consentement est nécessaire, et que l'erreur le vicie, s'il est établi d'une manière trop absolue, n'aura-t-il pas lui-même des conséquences injustes?

<<< Il est vrai que quelques femmes pourront en être les victimes; mais peut-être n'est-il pas moins important de prévoir que beaucoup d'entre elles abuseroient du principe contraire » (1).

D'ailleurs la sévérité des principes ne sera invoquée que lorsque le mari aura été trompé sur les qualités morales comme sur les qualités civiles : «S'il est content de sa femme, il n'usera pas du droit de faire valoir la nullité du mariage » (2).

« En général, il est certain qu'un honnête homme ne répudieroit pas une épouse vertueuse; mais lorsqu'il a été trompé, même sur le caractère, faut-il qu'il demeure irrévocablement lié? On peut aussi envisager la question du côté de la femme : la laissera-t-on sous le joug du mariage, lorsqu'elle aura été trompée sur les qualités civiles d'un mari qui la rend d'ailleurs malheureuse? Tout ceci prouve combien il est dangereux de s'écarter des principes pour se déterminer par des considéra

(1) Le Consul Cambacérés, Procès-verbal du 24 frimaire an 10. - (2) Ibid.

tions. Les principes sont que le consentement fait le mariage, et qu'il n'y a pas de consentement lorsqu'il y a erreur. Puisqu'on ne sait si, dans le cas qu'on suppose, le mariage sera heureux ou malheureux, il est prudent de laisser les Tribunaux appliquer le principe suivant les circonstances; ils examineront aussi jusqu'à quel point l'erreur a influé sur le consentement, et s'il est probable que le mariage eût été contracté s'il n'y avoit pas eu erreur » (1). Mais on objecte la faveur que mérite la bonne foi de la femme.

« La loi accorde à cette bonne foi tous les effets qu'elle peut avoir, en donnant la légitimité aux enfans. Le mari ne peut essuyer de reproches, puisque c'est lui qu'on a trompé. La femme, si elle est innocente de la fraude, ne peut se plaindre que de ceux qui en ont été les artisans » (2) ¶ sa bonne foi mérite sans doute beaucoup de faveur (3); « mais la loi L ne peut pas aller jusqu'à valider, par cette considération étrangère au mariage, un mariage essentiellement nul » (4). « Ce seroit en effet blesser les principes que de restreindre l'application de la règle qui annulle le mariage au

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(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 24 frimaire an 10. (2) Le Ministre de la justice, ibid. (3) M. Tronchet, ibid. ~(4) Ibid.

Tome 111.

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