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digne de tout; il fort de fon état, il force fa deftinée : il veut être tout ce que la nature ne l'a point fait; fouvent il s'éleve au-deffus de fes talens, & prefque toujours il demeure audeffous de fes obligations: la préfomption lui fait entreprendre plus qu'il ne peut, & la lâcheté lui fait faire moins qu'il ne doit.

Sans gratitude pour les dons de Dieu, il s'attribue tout à foi-même ; l'orgueil avilit en lui le prix des vertus, & tarit la fource des graces: il ne s'humilie point de fes ténébres, il ne cherche point hors de fon propre fond la lumiere dont il a befoin pour ne point s'égarer: il fait des chûtes qu'il éviteroit s'il avoit appris à fe défier de fes foibleffes: il veille peu, parce qu'il ne voit pas qu'il a beaucoup à craindre; il s'expofe témérairement aux tentations; il ne prie point dans le danger: s'il prie quelquefois lorfqu'il s'y trouve, fa priere eft fans ferveur & fans efficace, parce qu'il ne connoît pas affez fon indigence & fes fragilités pour les fentir vivement & pour en gémir comme il faut ; il fe méprend enfin dans le choix des biens qui fe préfentent à lui ; il s'attache à ce qui périt pour n'avoir pas fondé fon propre coeur, & ce fond de defirs que rien ne peut épuifer que ce qui eft éternel.

I

PRIERE.

Névitables fuites d'une négligence auffi commune qu'elle eft funefte, à quoi m'en

gagez-vous! Ah! Seigneur, aidez-moi donc a bien démêler ce que je dois penfer de moimême. Je conçois combien cette connoiflance m'eft effentielle; mais j'en fens toute la difficulté mon amour propre m'en impofe, mes paffions m'aveuglent, tous mes penchans me tirent au-dehors, & les objets des fens me font perdre de vûe ceux de l'efprit. Si j'écoute les hommes, ils font féduits, la plupart, ou me féduifent, & leurs jugemens ne font fouvent qu'ajouter à mes ténébres. Il n'eft que vous, Seigneur, qui puiffiez les éclairer & diffiper mes illufions: mettez-moi donc dès-à-préfent moi-même devant moi, comme vous m'y mettrez au dernier jour ; faites-moi découvrir à votre lumiere ce que je fuis & ce que je vous dois, afin que je fache vivre avec juftice parmi les hommes & avec humilité devant vous que je craigne tout de mon infirmité, que je ne compte que fur votre fecours efficace & puiffant, que je ne m'attache qu'à vous, & que plein de mépris pour tout le reste, je ne borne point à des objets qui paffent, des defirs que vous m'avez donnés pour un bien qui ne finit point.

POUR LE LUNDI.

DE L'EPITRE.

Oui, je le redis: Réjouiffez-vous. S. Paul. Philip. chap. 4.

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Na raifon de redire aux Chrétiens de fe réjouir fans cefle, parce qu'ils doivent fe réjouir des maux mêmes. C'eft la penfée de l'Apôtre & l'efprit de la Religion: toutes fes maximes nous apprennent à faire notre plus grande joie des plus grandes afflictions. Chacune, fi nous y faifons bien attention, a pour nous fon utilité : les contradictions raniment la vertu qui fe négligeoit : on s'affermit dans l'amour de fes devoirs par les obftacles mêmes qu'on trouve à les remplir: les jugemens peu favorables, les reproches injurieux, les emportemens de caprice, les éclats de mauvaife humeur, les haines déclarées, les traitemens injuftes nous obligent à nous obferver de plus près, à régler nos paroles, à mefurer nos démarches, à réformer tout ce qui peut bleffer des yeux trop déli cats, ou fcandalifer des efprits foibles, à confidérer du moins fi nous fommes fans reproche devant Dieu. La tentation même, la fentibilité que nous éprouvons dans ces contretemps, nous avertiffent de ce qui nous refte encore de foibleffes. Les pertes nous

guériffent de l'avarice, & nous apprennent à méprifer des biens qui peuvent nous être enlevés Dans l'infirmité enfin, nous fentons la vanité des plaisirs, le poids de la mortalité, les défaillances de la nature, & l'incertitude de la vie. Nous voyons rompre les liens qui retiennent notre ame dans la prifon du corps; nous voyons la pouffiere retourner en pouffiere,& nous favons qu'il y a tout à gagner pour nous dans la mort même.

Ainfi, ce que le monde appelle des dif graces, des adverfités, des infortunes, des malheurs, des peines, des chagrins, a d'autres noms dans le langage de la piété : ce font des faveurs de Dieu, des graces de préférence, & les gages de fon amour les plus précieux. La main qui nous frappe nous eft toujours chere: Dieu ne nous paroît en colere que quand il laiffe notre indolence tranquille, & nos vices impunis; jamais il ne mérite mieux toute notre reconnoiffance, que quand il nous ôte le pouvoir de faire du mal, & qu'il réduit nos paffions à l'impuiffance de fe fatisfaire que quand il enleve aux pécheurs les objets de leur péché même, & qu'il leur en ôte l'occasion & les reffources. Sur ces principes, avouons-le de bonne foi: ce n'eft rien pour nous de ne pas murmurer fous la verge qui nous corrige:. c'est trop peu de n'avoir dans la tribulation que de la patience: l'Evangile nous mene plus loin, & nous ne comprenons pas la perfecEj

tion de fes maximes, non plus que nos folides intérêts, fi nous ne nous croyons pas plus heureux, à proportion que nous avons plus à fouffrir.

JE

PRIERE.

E n'ai donc ici qu'une grace à vous demander, Seigneur : que j'apprenne à vous bénir de ce qui caufe l'impatience & le défefpoir du monde, que je regarde comme le plus grand de fes malheurs de ne favoir pas combien les maux font utiles. Que je mette au rang de mes plus beaux jours, ceux qui feront plus marqués par diverfes épreuves: qu'une foi vive accoutume mon cœur à reffentir cette efpéce de joie dont il ne trouve point le goût dans la nature que j'éprouve la douceur de fervir un Maître qui fait rendre fes ferviteurs heureux dans le fein de l'affliction même, que je me plaife dans mes infirmités, que je me glorifie des humiliations, que je m'applaudiffe de voir ma vie partagée par la mifere & par les traverses, que je me félicite de ne trouver que de l'ingratitude & de la perfidie dans les créatures, que l'injuftice & la perfécution du monde ne me caufe que des tranfports; & qu'auffi fidéle, mon Dieu, à bien ufer de vos coups, qu'attentif à bien reconnoître tout leur prix,je ne croye jamais avoir plus de graces à vous rendre, que quand vous ne m'aurez pas épargné ici-bas.

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